Le 7 février dernier, le ministre québécois de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Simon Jolin-Barrette, a déposé son projet de loi 9 de réforme du système d’immigration. Cette réforme de l’immigration faisait partie des propositions phares de la CAQ pendant la campagne électorale. À l’image de toute la politique de la CAQ à l’égard des immigrants, cette réforme s’annonce déjà comme une mascarade visant à monter une partie de la classe ouvrière contre une autre et à attiser la xénophobie à des fins politiques.
Notamment, le projet de loi prévoit l’annulation de toutes les demandes d’immigration présentées avant le 2 août 2018, dans le cadre du Programme régulier des travailleurs qualifiés, et qui étaient en cours de traitement. Sans attendre l’adoption du projet de loi, le ministre a annoncé qu’il annulerait immédiatement toutes les 18 000 demandes visées. Comme ces dossiers représentent chacun une famille, ce sont 50 000 personnes qui sont directement touchées par cette mesure. Le comportement du gouvernement dans ce dossier démontre à nouveau que la CAQ n’a pas grand scrupule à casser du sucre sur le dos des immigrants et des minorités si cela lui permet de marquer des points politiques.
« Dog-whistle politics »
Le texte du projet de loi 9 précise que les mesures proposées visent à « favoriser l’intégration des personnes immigrantes, plus particulièrement par l’apprentissage du français, des valeurs démocratiques et des valeurs québécoises exprimées par la Charte des droits et libertés de la personne ». Ainsi, sous prétexte de faciliter le processus d’immigration, le gouvernement caquiste balaye du revers de la main les projets de milliers de personnes qui, pour certaines, sont déjà installées au Québec et y travaillent. « On est prêt à mettre à la porte des gens qui vivent au Québec, qui ont appris le français. Il y a des gens qui ont une famille, une épouse, des enfants, » témoigne un Algérien en attente d’une réponse depuis un an et demi. Difficile de voir comment supprimer des demandes d’immigration aidera des nouveaux arrivants à s’intégrer!
Le projet de loi 9 prépare également le terrain en vue du fameux « test des valeurs » que la CAQ souhaite imposer aux immigrants. D’après le ministre Jolin-Barrette, les « valeurs québécoises » incluent « l’égalité entre les hommes et les femmes, la primauté du droit, les valeurs démocratiques, la non-discrimination fondée sur l’identité de genre et sur l’orientation sexuelle ». Ainsi, il existerait des « valeurs québécoises » particulières qu’il serait nécessaire d’avoir pour être autorisé à vivre au Québec. La CAQ tente ainsi d’entretenir l’idée d’un « nous », les Québécois, contre « eux », les immigrants. C’est ce qu’on appelle en anglais des « dog-whistle politics », soit l’utilisation d’un langage codé pour alimenter la xénophobie.
Ces annonces sont dans la lignée des précédentes attaques du gouvernement de la CAQ contre les immigrants et les minorités. Legault avait déjà annoncé sa volonté de baisser les seuils d’immigration à 40 000 personnes par année, au lieu des 50 000 actuellement. Le projet d’interdiction du port de symboles religieux pour les employés du secteur public en position d’autorité est aussi un exemple des attaques contre les minorités, et tout particulièrement contre la communauté musulmane.
À peine un mois plus tôt, lors de sa première visite officielle en France, Legault s’était exprimé pour marquer sa volonté d’accueillir plus d’immigrants français et européens. « Actuellement, il y a beaucoup trop d’immigrants au Québec qui ne sont pas qualifiés ou qui ne parlent pas français. Donc, des Français, on en prendrait plus. De même que des Européens », a-t-il affirmé. Si la langue est vraiment le critère, il est difficile de voir pourquoi des Allemands ou des Italiens seraient plus qualifiés que des Algériens ou des Congolais, par exemple. Il est évident que l’intention de Legault est en fait de jouer le jeu du nationalisme identitaire en différenciant entre le « bon » immigrant européen (comprendre: blanc) et le « mauvais » qui vient d’ailleurs (comprendre: arabe ou noir).
Une bataille Québec-Ottawa?
Par ailleurs, il semble que la CAQ souhaite se servir de ce projet de loi pour faire mousser les sentiments nationalistes en fomentant une confrontation avec Ottawa. En effet, la nouvelle loi accorderait au ministre de l’Immigration le pouvoir de fixer les conditions d’attribution de la résidence permanente, ce qui empiéterait sur la compétence fédérale en matière d’immigration. « Le régime libéral a affaibli le Québec en tournant le dos à plus de 40 ans de défense de nos intérêts. Ils ont renié les pouvoirs du Québec en matière d’immigration, chèrement acquis […] depuis les années 70. Il est inadmissible et inacceptable que le gouvernement du Québec ait abdiqué un pouvoir du Québec », a affirmé le ministre Jolin-Barrette. Le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales, Dominic Leblanc, a rapidement fait savoir qu’Ottawa refuserait de permettre au Québec de fixer les critères de sélection des immigrants, des propos qui ont suscité la protestation du premier ministre François Legault.
Il est important pour les travailleurs de voir au-delà de ce spectacle politique. D’un côté, les libéraux fédéraux ont l’habitude de jouer de façon opportuniste la carte des amis des « communautés culturelles ». Cependant, seulement quelques semaines auparavant, Justin Trudeau, jamais en reste en matière d’hypocrisie, s’était dit prêt à travailler avec le gouvernement québécois pour réduire le nombre d’immigrants. De l’autre, le nationalisme réactionnaire et opportuniste de la CAQ n’est pas au service des travailleurs québécois, mais bien des intérêts politiques immédiats de la CAQ et de ses partisans dans le patronat. D’ailleurs, le Conseil du patronat du Québec lui-même a félicité la CAQ pour son projet de loi 9, car « les besoins du marché du travail seront pris en compte » et parce que la voix des employeurs « a été finalement entendue ». Quand la voix des patrons est entendue, on peut être certains que celle des travailleurs est enterrée. Dans ce bras de fer entre les représentants du colonialisme canadien à Ottawa et les gestionnaires du patronat québécois à Québec, la classe ouvrière québécoise ne devrait mettre son argent sur aucun des côtés.
Que faire?
Suite à l’annonce des annulations, les réactions n’ont pas tardé. Le 20 février, l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration a demandé une injonction contre le gouvernement pour le forcer à continuer de traiter les 18 000 dossiers. Elle dénonce l’illégalité des annulations, puisque la loi n’a pas encore été adoptée. Certes, l’injonction a été accordée. Cependant, celle-ci n’est qu’une mesure d’urgence valable pour 10 jours, et rien ne garantit que les dossiers seront tous traités avant l’adoption du projet de loi, suite à quoi la CAQ aura les mains libres. Les travailleurs ne peuvent faire confiance aux tribunaux pour défendre leurs intérêts.
De plus, une manifestation a été organisée en soutien aux immigrants le samedi 23 février, et une pétition a également été lancée. Lors d’un rassemblement organisé par QS en solidarité avec les travailleurs et travailleuses immigrants touchés par la suppression des 18 000 dossiers, le député solidaire Andrés Fontecilla a appelé à la mobilisation, en proposant notamment d’appeler les députés de la CAQ pour faire pression.
Cependant, la mobilisation ne peut s’en tenir à cela. Ultimement, c’est le mouvement ouvrier organisé qui dispose du plus grand pouvoir de renverser la décision de la CAQ. Parmi les 50 000 immigrants concernés, certains se trouvent déjà au Québec et y travaillent. Les syndicats possèdent de ressources importantes et d’une capacité de mobilisation qui a fait ses preuves. Ils doivent se mobiliser et organiser des manifestations de masse pour réclamer le traitement des dossiers. Un bon point de départ serait que les syndicats se joignent à la manifestation contre le racisme prévue le 24 mars prochain. Des grèves de solidarité avec les travailleurs menacés d’être renvoyés dans leur pays d’origine doivent être sérieusement discutées dans les syndicats. Il faut appuyer nos camarades menacés par la CAQ!
Un peu partout dans le monde, les mesures xénophobes et anti-immigration sont un outil de choix des classes dirigeantes et de leurs partis. L’idée est de faire des immigrants des boucs-émissaires pour les problèmes de la société et de diviser la classe ouvrière en la détournant des véritables coupables, les capitalistes. La force de la classe ouvrière réside dans son unité et dans sa solidarité, au-delà de toutes différences d’origines.