Ce n’est pas un hasard si, le lendemain des élections, les cours des actions des deux principaux fournisseurs d’électricité, RWE et E.on, ont grimpé en flèche. Ses dirigeants espèrent que la nouvelle coalition renforcera le nucléaire et les profits qu’il engendre, notamment en autorisant l’exploitation des vieilles centrales pour de nombreuses années encore.
Les banquiers et les industriels sont satisfaits, eux aussi, du fait que le SPD a été discrédité par ses propres actions, de sorte qu’ils n’auront plus besoin de chercher un compromis avec lui. Dans le contexte de crise économique profonde et de menace de licenciements économiques massifs, les travailleurs, les chômeurs, les retraités, les étudiants et la jeunesse – en bref, l’écrasante majorité de la population – vont souffrir. Désormais, les partis capitalistes contrôlent aussi bien le Bundestag que le Bundesrat, la deuxième chambre constituée par des représentants des 16 Etats fédéraux. Enfin, le Président fédéral est également de leur côté.
Après 11 ans au gouvernement, le parti social-démocrate (SPD) voit ses suffrages s’effondrer – et se retrouve dans l’opposition. Dans le même temps, l’archi-libéral FDP revient au gouvernement pour la première fois depuis 1998, lorsque le dernier gouvernement de coalition CDU/CSU/FDP avait été renversé par une coalition du SPD et des Verts.
Le FDP est le plus pur des partis bourgeois, dans le sens où il représente directement les grands capitalistes. Il va exercer une influence décisive au sein du nouveau gouvernement, car c’est lui qui a fourni à Angela Merkel le nombre de voix nécessaires pour lui permettre de rester en fonction.
Si le SPD a perdu 11.2% des votes, depuis les dernières élections générales, la CDU/CSU a également reculé. C’est seulement grâce à la nette progression du FDP (+4,7%) et aux particularités du système électoral que les capitalistes ont conquis une majorité relativement confortable : 332 sièges sur 622.
Cette élection a été marquée par deux « records » négatifs. D’une part, le taux de participation (70,8%) fut le plus faible, toutes élections confondues, depuis la deuxième guerre mondiale. D’autre part, jamais un parti n’avait perdu autant de voix depuis 60 ans : avec 23% des suffrages, le SPD fait encore moins bien qu’en 1953, où il avait recueilli 28% des voix. C’est la plus mauvaise performance du SPD depuis 1893 ! En 1998, il avait recueilli plus de 20 millions de voix. Cette fois-ci, il en a recueilli moins de 10 millions. La chute est vertigineuse.
Tel est le résultat de 11 ans de « réformisme sans réformes » – et en réalité, de contre-réformes au détriment des travailleurs, des chômeurs et des retraités. Quand la coalition SPD-Verts menée par Gerhard Schröder a perdu sa majorité, en 2005, les dirigeants du SPD ont cherché à s’accrocher au pouvoir grâce à une « Grande Coalition » avec le CDU/CSU. Le résultat en fut une crise majeure du SPD – une crise aux dimensions historiques.
Les travailleurs ont en mémoire certains faits dévastateurs. Par exemple, lors de la campagne électorale de 2005, le SPD s’égosillait contre la « Taxe Merkel », qui proposait d’augmenter la TVA de 2%. Mais finalement, la Grande Coalition s’est entendue pour augmenter la TVA de… 3%. Etrange « compromis » que celui où vous finissez par concéder à l’adversaire plus que ce qu’il demandait lui-même, à l’origine !
Sur presque tous les fronts, les dirigeants du SPD ont fait le « sale boulot » pour le compte du patronat. Par conséquent, ils sont responsables d’avoir précipité le SPD dans une crise profonde. Comment s’étonner, par exemple, du peu d’enthousiasme des travailleurs à l’égard de candidats du SPD tels que Franz Münterfering et Frank Steinmeier, qui ont été les architectes directs du programme de contre-réformes drastiques connu sous le nom d’« Agenda 2010 » ?
Pendant la campagne électorale, les dirigeants du SPD ont catégoriquement refusé d’envisager une collaboration avec Die Linke. En fait, ils espéraient être nécessaires à une nouvelle Grande Coalition. Comment un militant du SPD pouvait-il trouver la volonté de se battre pour une telle perspective ? Une anecdote suffit à illustrer l’état d’esprit des militants de base du SPD : la veille des élections, une permanente du SPD tout à fait loyale à son parti m’a déclaré qu’elle préférait une majorité CDU/CSU/ FDP qu’une nouvelle Grande Coalition, qui risquerait de détruire son parti.
Immédiatement après cette défaite historique, des personnalités de la gauche du SPD, des dirigeants des Jeunesses Socialistes et des structures de base du parti ont réclamé un changement politique fondamental, au sein du SPD, ainsi qu’une direction nouvelle et plus crédible. Cependant, reste à voir si la gauche du SPD sera suffisamment forte et déterminée pour engager une lutte sérieuse, au sein du parti, avant la Conférence Nationale de Novembre prochain. Reste à voir, notamment, si elle présentera son propre programme et ses propres candidats contre les dirigeants de la droite du parti. En 1995, Oskar Lafontaine avait défié et battu l’aile droite de l’époque, grâce à un discours clairement à gauche qui avait mobilisé la base du parti et préparé la victoire de 1998. Lafontaine a par la suite rompu avec le SPD, en 2004. Il dirige désormais Die Linke. Or, à ce stade, il semble qu’il n’y ait personne, dans la gauche du SPD, qui veuille défier l’aile droite.
D’un autre côté, le fait que Die Linke ait atteint un résultat à deux chiffres (11,9%) est d’une signification historique, pour l’Allemagne. Il faut remonter aux années 30 pour trouver un parti ouvrier d’une force comparable, à la gauche du SPD.
Dans ce contexte, les principaux médias et dirigeants de droite ont une fois de plus lancé une frénétique campagne anti-communiste visant Die Linke. Mais ils n’ont pas atteint leurs objectifs. Die Linke a gagné plus d’un million de voix – de 4,1 à plus de 5,1 millions. Die Linke a non seulement consolidé sa base historique à l’Est, avec environ 28% des voix, mais il s’est aussi créé une base dans le reste du pays, gagnant de 10 à 15% des voix dans les classes populaires des quartiers déshérités de l’Ouest. A l’Est, l’ancienne RDA, Die Linke a définitivement éclipsé le SPD, qui a chuté de 30,4 à 17,9% des voix. Die Linke a su attirer les votes des travailleurs et des chômeurs (31% de ces derniers), consolidant ainsi sa base de classe. A l’Est, il n’y a dans les faits plus de majorité pour les partis bourgeois. A l’Ouest, Die Linke est passé de 4,9 à 8,3% des voix.
Ce qui est significatif et exprime une instabilité croissante, c’est le fait que les deux « gros » partis traditionnels – SPD et CDU/CSU – ont vu leur soutien chuter. Alors que par le passé, ils réunissaient à eux seuls entre 80 et 90% des voix, ils n’atteignent désormais que les 60%, nationalement. A droite comme à gauche, ce sont les plus petits partis, qui apparaissaient comme les plus conséquents, qui ont gagné et profité de la déception de l’électorat à l’égard de deux grands partis. Cela montre que les liens traditionnels et les anciennes loyautés sont de plus en plus dissolus.
Les cris triomphants des dirigeants de droite ne doivent pas cacher le fait qu’avec un taux de participation de 70,8%, la somme des votes de droite, soit 48,4%, ne représente en réalité que 34,3% de l’électorat. Or, lors de la victoire historique des partis bourgeois, en 1983, ils avaient recueilli 55,8% des suffrages, pour un taux de participation de près de 90%. Ils jouissaient donc du soutien de 49,7% de l’électorat. Cela montre que la base de soutien pour la droite de Merkel est considérablement plus faible que celle du gouvernement Kohl, dans les années 80.
Autre caractéristique de cette élection : les partis d’extrême droite et néo-fascistes ont beaucoup souffert. Ils totalisent 2% des voix. Même à l’Ouest, le NPD Hitlérien – qui a réussi à se construire une certaine base – est passé de 3,6 à 3,1% des voix. A l’Ouest, l’extrême droite stagne aux alentours de 1,1%.
Le nouveau gouvernement Merkel fera payer l’addition aux travailleurs pour la crise et les opérations de sauvetage des banques. Par ailleurs, des licenciements économiques massifs augmenteront brusquement le chômage dans les prochains mois. Tout cela créé les conditions d’un développement de la lutte des classes, en Allemagne. Les dirigeants syndicaux, qui espéraient que leurs amis à la tête du SPD resteraient au gouvernement, n’auront d’autre choix que de mobiliser leur base pour résister aux attaques.
Die Linke fait face à d’énormes responsabilités, désormais. De plus en plus de jeunes et de travailleurs ont les yeux fixés sur ce parti. Des milliers vont le rejoindre, dans la période à venir. Die Linke doit à présent renforcer sa base dans les entreprises, les syndicats, les quartiers, les écoles, la jeunesse. Surtout, Die Linke a besoin d’un programme véritablement communiste. Il doit soulever la question de la nationalisation des principaux leviers de l’économie comme un moyen décisif pour sortir de l’impasse du capitalisme.