Le Parti conservateur uni (UCP), dirigé par Danielle Smith, formera un gouvernement majoritaire en Alberta suite aux récentes élections provinciales. Les sondages indiquaient une course serrée et, dans un certain sens, elle l’a été. Il aurait suffi de 1500 voix de plus en faveur du Nouveau Parti démocratique (NPD) pour faire basculer le résultat. Au moment décisif, l’UCP a obtenu 52,6% du vote populaire et 49 sièges, alors que le NPD le suivait avec 44% et les 38 sièges restants.
Le résultat, même si c’est le plus serré de l’histoire de l’Alberta, est tout de même décevant pour tous ceux qui voulaient se débarrasser de l’UCP. La haine à l’égard du parti n’a fait que croître depuis son arrivée au pouvoir en 2019. Une grande partie de la population était motivée à mettre fin à son règne. En fin de compte, le NPD n’a pas réussi à capitaliser sur ce sentiment et se retrouve une fois de plus avec la médaille d’argent dans une course à deux. Tous ceux qui participent à la lutte contre l’UCP se demandent quoi faire devant ce résultat.
Les fous au pouvoir
Bien que l’UCP ait obtenu un second mandat, le parti n’est plus le même qu’il y a quatre ans. Le cabinet de l’ancien chef Jason Kenney de 2019, composé principalement de conservateurs plus professionnels et plus sophistiqués, a essentiellement disparu. Aujourd’hui, la grande majorité des élus du parti viennent de la vieille tradition du « Wildrose », ou même de la faction « Take Back Alberta », qui est plus à droite, irresponsable et composée d’amateurs. Lors d’un récent scandale, dans lequel Danielle Smith tentait de s’immiscer dans le système judiciaire lors de la poursuite des contrevenants aux restrictions liées à la COVID-19, Tyler Shandro, ancien ministre de la Justice proche de Kenney, a été la seule personnalité publique à s’opposer à Smith et à défendre le caractère sacré de la justice bourgeoise. Il a perdu sa course par 25 voix seulement. Sans ces conservateurs professionnels, rien n’empêchera ces nouveaux députés enragés de semer la pagaille et d’attaquer avec fureur quiconque se met dans leur chemin. Les attaques, les privatisations et les scandales qui ont émané du parti vont sans aucun doute se poursuivre, voire s’aggraver, sous le règne de Smith.
Les quatre dernières années d’austérité, de scandales et de corruption ont montré ce qu’est l’UCP. Smith a clairement exprimé ses opinions au cours de ses années de lobbying et à la radio. Elle veut privatiser les écoles, les hôpitaux et d’autres services sociaux, menaçant directement l’avenir de la classe ouvrière de l’Alberta. Elle n’hésite pas non plus à piller les budgets et les actifs du gouvernement pour les donner à ses anciens patrons qui l’ont engagée comme lobbyiste, comme nous l’avons vu avec le programme R-star, soit un cadeau de 20 milliards de dollars aux barons du pétrole. Le mouvement syndical et toute personne qui souhaite défendre les systèmes de santé et d’éducation publics ne doivent en aucun cas accepter passivement le mandat de Danielle Smith. Il faut résister bec et ongle à l’UCP à chaque attaque envers le secteur public.
Le virage à droite du NPD a échoué lamentablement
Cette défaite du NPD ne l’empêche pourtant pas de revendiquer une victoire partielle! La chef du parti, Rachel Notley, a affirmé : « Bien que nous n’ayons pas obtenu le résultat que nous souhaitions, nous avons fait un grand pas dans cette direction ». Notley s’est également vantée de la « croissance sans précédent de notre parti », citant l’augmentation du nombre de voix et de sièges. Bien que cette élection soit un meilleur résultat que celle de 2019, la plupart des sondages prévoyaient une victoire facile pour le NPD l’an dernier, alors que l’UCP était empêtré dans des crises et luttes internes. Certaines personnalités du NPD qui ne pouvaient pas se mentir sur les résultats ont adopté une approche encore plus lâche. Tout en reconnaissant qu’il s’agit d’une défaite, ils cherchent à blâmer les autres. Ils blâment l’apathie, l’électorat lui-même, bref, tout le monde sauf le NPD! En fait, cette défaite était facilement évitable et la responsabilité en incombe aux dirigeants du NPD, qui ont orchestré le virage à droite du parti.
La défaite électorale prouve ce que nous, à La Riposte socialiste, avons expliqué à propos de cette stratégie perdante de faire campagne à droite en se présentant comme les meilleurs gestionnaires du capitalisme. Peu avant l’élection, nous disions :
« Non seulement cette stratégie est mauvaise parce qu’elle n’aidera pas les travailleurs si le NPD est élu, mais c’est précisément cette approche qui a permis à l’UCP d’être sauvé. Le NPD a beau faire la cour à l’establishment conservateur et tenter de prouver qu’il sera un représentant adéquat pour le capitalisme, ce n’est pas une stratégie pour gagner l’appui de la population. Au contraire, cela ne fait que démoraliser les travailleurs et les jeunes, permettant ainsi à Danielle Smith de jouer son jeu populiste. Cela a déjà coûté cher au NPD, selon les prévisions des sondages. Cette approche pourrait être fatale lors des élections, car de nombreuses personnes pourraient ne pas être suffisamment inspirées pour voter pour le NPD. Dans l’état actuel des choses, les “budgets équilibrés” n’inspirent aucunement qui que ce soit. »
Cette prévision s’est avérée vraie. Le virage à droite n’a pas convaincu les travailleurs et les jeunes de se mobiliser pour le NPD. C’est une démonstration amère de l’échec lamentable des réformistes qui acceptent le système capitaliste. En Alberta, cela signifie accepter la domination des barons du pétrole et leurs demandes de subventions, de faibles impôts et d’austérité. Si le NPD avait une perspective socialiste, s’il refusait d’accepter les limites du système capitaliste, il aurait promis un renversement complet de l’austérité de l’UCP et se serait préparé à exproprier les grands capitalistes qui dirigent la province. Une grande partie de la base électorale du NPD aurait été inspirée par ces promesses et se serait ralliée au parti. Ainsi, l’écart entre les deux partis aurait pu se refermer. Mais le NPD s’est plutôt engagé dans la voie complètement opposée.
Les dirigeants du NPD ont soutenu qu’une campagne trop à gauche aliénerait les « conservateurs modérés ». Pendant la campagne, certains membres du NPD ont affirmé que Notley était la véritable héritière de la tradition progressiste-conservatrice. Le Parti progressiste-conservateur était un parti de la classe dirigeante, le parti de Ralph Klein, l’ex-premier ministre détesté qui a sauvagement sabré et sous-financé le secteur public. Quel est l’intérêt de gagner en étant autant à droite? Il serait préférable pour le NPD de perdre en se battant pour de bonnes choses, plutôt que de gagner en se battant pour de mauvaises choses. Mais il y a pire encore : perdre en se battant pour de mauvaises choses. Et c’est ce qui vient de se produire.
La défaite du NPD est également une condamnation de la stratégie adoptée par les dirigeants syndicaux « d’attendre les élections » avant de faire face aux attaques de l’UCP et, espérons-le, un rappel à l’ordre. Cela démontre clairement que la classe ouvrière doit s’opposer activement et immédiatement aux attaques de la classe dirigeante et des gouvernements de droite. Pas demain, pas l’année prochaine et certainement pas dans quatre ans, lors des prochaines élections. Attendre passivement n’a rien fait pour les travailleurs dont les emplois ont été supprimés ou privatisés, rien pour les étudiants dont la taille des classes n’a fait qu’augmenter et rien pour les patients qui sont morts inutilement dans les salles d’attente d’hôpitaux en manque de personnel et de financement.
Comment lutter contre l’UCP et gagner
Malgré le gouvernement majoritaire de l’UCP, il n’est pas inévitable que son programme soit appliqué. Les travailleurs de l’Alberta ont la possibilité de changer le cours des événements et de vaincre ce gouvernement.
Anticipant les attaques de l’UCP, le président de la Fédération du travail de l’Alberta (AFL), Gil McGowan, a écrit : « Je m’attends à d’autres absurdités de la part de Smith … vous pouvez donc vous attendre à plus de lobbying constructif et pragmatique de notre part ». Nous devons dire la vérité : cette approche mènerait à la défaite. Jusqu’à présent, le « lobbying constructif et pragmatique » n’a rien fait pour contrer les attaques de l’UCP. Il en va de même pour les recours juridiques de l’AFL contre les lois implantées par l’UCP. Le parti est allé de l’avant et a privatisé les services hospitaliers petit à petit et augmenté le nombre d’écoles privées tout en affamant le secteur public. Nulle part n’a-t-on vu des syndicats réussir à convaincre un gouvernement capitaliste de droite d’aider les travailleurs avec du lobbying. Le seul langage qu’ils peuvent comprendre est celui de l’action de masse des travailleurs – les manifestations et les piquets de grève. Les attaques à venir doivent être combattues avec les méthodes de lutte de classe.
La politique peu inspirante et conciliatrice du NPD lui a valu une défaite. Il en va de même pour le « lobbying constructif et pragmatique » de l’AFL. Si les luttes à venir contre l’UCP sont menées avec cette même approche, nous obtiendrons les mêmes résultats. La lutte contre les conservateurs doit se mener dans la rue pour perturber le gouvernement et l’empêcher de ruiner davantage la province. Chaque attaque doit faire l’objet d’une réponse proportionnelle. Si les travailleurs du secteur public sont menacés de licenciements ou de réductions salariales, ils doivent riposter avec des grèves, des occupations et des manifestations de masse. Si le gouvernement continue d’attaquer la classe ouvrière et les opprimés, comme il a dit qu’il le ferait, et comme il le fait depuis quatre ans maintenant, le mouvement syndical doit se préparer à une grève générale pour faire tomber le gouvernement.
Nous avons vu ailleurs dans le pays que ce genre d’action est tout à fait possible. En novembre de l’année dernière, le gouvernement de Doug Ford a utilisé la clause nonobstant pour imposer une loi de retour au travail et une épouvantable convention collective aux travailleurs de l’éducation membres du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP). En réponse, le SCFP a défié la loi spéciale et a entamé une grève illégale, et le reste du mouvement syndical s’est mobilisé pour l’appuyer, soulevant la menace d’une grève générale. Il n’en fallait pas plus pour que Doug Ford ravale sa clause nonobstant et sa loi de retour au travail, et retourne à la table de négociation. Les travailleurs avaient été menacés d’énormes amendes pour avoir enfreint la loi. Mais une fois la victoire acquise, les menaces d’amendes se sont évaporées. C’est un excellent exemple de la capacité de la classe ouvrière à repousser les attaques des gouvernements de droite, lorsque cette force n’est pas freinée par les dirigeants syndicaux.
Même en Alberta, une grève générale contre l’UCP était envisageable vers la fin de l’année 2019. Les budgets d’austérité proposés par l’UCP ont poussé le mouvement syndical à l’action et, lors d’une manifestation, des milliers de syndiqués scandaient « Grève générale! Grève générale! » Puis, à l’automne 2020, des grèves sauvages ont éclaté dans le secteur de la santé. Ce sentiment de colère n’a pas disparu et il faudra le canaliser et le mobiliser pour organiser la riposte contre ce gouvernement.
L’Alberta se trouve dans une situation similaire à celle de 2019. l’UCP se prépare à démanteler les services sociaux de la province. Mais la prochaine période ne sera pas comme la précédente. La marge de manœuvre au niveau économique dont Danielle Smith a hérité, grâce à la hausse des prix du pétrole et la montée des redevances, s’érode rapidement. Son gouvernement aura donc un grand manque à gagner, surtout en tenant compte des réductions d’impôts massives accordées aux entreprises. Mais aussi, les travailleurs albertains d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’il y a quatre ans. Ils ont vécu les coupes budgétaires de l’UCP et peuvent en voir les résultats de leurs propres yeux. Le désir de lutter contre l’UCP est bien présent, mais n’a pas trouvé d’exutoire. D’autres attaques alimenteront la colère, et nous aurons l’occasion de vaincre ce gouvernement dans la rue.