Le 20 janvier dernier, Joe Biden a été assermenté à titre de président des États-Unis, entouré de troupes armées, en pleine pandémie, quelques semaines après qu’une foule d’extrême droite ait pris d’assaut le bâtiment du Capitole. Nous vivons une époque sans précédent. Les capitalistes fondent leurs espoirs sur la nouvelle administration pour sortir le capitalisme américain de cette période de chaos et de déclin, mais rien de bon ne s’annonce pour eux.
Au cours de la dernière semaine du mandat de Trump, le correspondant à la Maison Blanche pour le New York Times a exprimé le point de vue de l’establishment à Washington :
« La réputation des États-Unis sur la scène mondiale est au plus bas. […] Le pays s’est profondément fracturé et a perdu le sens de lui-même. Les notions de vérité et de réalité ont été atomisées. La foi dans le système s’est érodée. La colère est le seul point commun. Les historiens ont eu de la difficulté à définir ce moment […] le moment historique où nous étions un modèle est pratiquement terminé. »
Joe Biden est officiellement le président et a annoncé de grands projets pour ses 100 premiers jours en fonction. Les démocrates cherchent à revenir au « bon vieux temps » sous Obama et bénéficieront d’un contrôle triple : sur la Maison Blanche et sur les deux chambres du Congrès. Ils n’auront aucune excuse pour ne pas adopter des lois soutenues par une majorité d’Américains. Mais même si la nouvelle administration aura un style très différent de celui de Trump, ne vous y trompez pas : il s’agit toujours d’un gouvernement des grandes entreprises. Des millions de personnes poussent peut-être un soupir de soulagement collectif, mais n’oublions pas que le « bon vieux temps » était aussi celui de l’exploitation, de l’oppression, des déportations massives, de la paupérisation et du mal-être – les causes mêmes de l’ascension de Trump au pouvoir.
Ainsi, bien qu’une goutte d’eau puisse soulager dans le désert, les travailleurs ne doivent pas s’attendre à autre chose qu’une poignée de « réformes » limitées pour émousser la crise la plus grave que le capitalisme américain ait jamais connue. Comme Franklin D. Roosevelt avant lui, la tâche de Biden est d’essayer de sauver le système de lui-même – avec le soutien des dirigeants syndicaux et des réformistes de toutes tendances.
Les deux partis de la classe capitaliste
La classe capitaliste américaine se caractérise par son système bipartite. Dans un pays où le 1% le plus riche possède 40% des richesses du pays, alors que les 90% les plus pauvres n’en possèdent que 23%, la classe dirigeante veut s’assurer du maintien de son système de propriété privée des moyens de production. Elle a longtemps facilité sa domination en donnant aux gens l’illusion d’un « choix » entre deux partis qui peuvent varier superficiellement, mais qui représentent en fin de compte les intérêts fondamentaux des capitalistes.
Pendant des décennies, le ping-pong entre républicains et démocrates a fait des merveilles pour les capitalistes, car ils contrôlaient fermement les deux partis. Mais ces dernières années, leurs plans ont été bouleversés. La crise fondamentale du mode de production capitaliste a entraîné une énorme instabilité sociale et le déclin de la « citadelle » de l’impérialisme mondial. Cela se traduit par une forte polarisation combinée à une confusion politique immense.
Mais la crise du système s’est déroulée dans un pays sans parti ouvrier de masse. Comme la nature, la politique a horreur du vide, et les pressions de la lutte des classes doivent trouver un exutoire sous une forme ou une autre. Les divisions au sein de la classe dirigeante et la confusion politique généralisée ont conduit à de profondes dissensions au sein des deux grands partis.
C’est ainsi que le Parti républicain avait été repris par Trump et l’aile d’extrême droite de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie, soutenus par des millions d’ouvriers en colère fatigués du statu quo libéral. Maintenant que Trump a été limogé, et accablé par la controverse – sans parler d’une seconde mise en accusation (« impeachment ») pour « incitation à l’insurrection » – une guerre interne vicieuse a de nouveau éclaté au sein du Parti républicain et il pourrait y avoir une scission dans un avenir pas si lointain.
Avec des dizaines de millions de personnes toujours convaincues que les élections étaient illégitimes, les rangs républicains ne sont pas près de revenir tranquillement au statu quo d’avant Trump, même si cela signifie se diriger vers un trumpisme où « The Donald » n’est pas candidat, voire à l’extérieur du Parti républicain.
Les démocrates sont également divisés, mais maintenant qu’ils sont au pouvoir, ils seront probablement en mesure de maintenir l’obéissance de leurs élus. L’« aile gauche » du parti, y compris « The Squad » (un groupe d’élus à la Chambre des représentants se prétendant socialistes et menés par Alexandria Ocasio-Cortez), s’est mise au pas et joue le rôle de couverture de gauche de l’establishment démocrate. À titre d’exemple, l’ensemble du « Squad », y compris ses nouveaux membres, a voté pour élire Nancy Pelosi à la présidence de la Chambre. Pelosi a gagné avec peu de voix. Les quelques démocrates qui ont voté contre elle font partie de l’aile droite du parti. Avec le pouvoir viennent le clientélisme : des « subventions » pour les États et les districts, des postes et des « faveurs » qui peuvent lier les membres du parti au pouvoir. L’accession de Bernie Sanders à la présidence de la puissante Commission budgétaire du Sénat nous en donne un parfait exemple.
Déception démocrate
Quiconque s’attend à un changement fondamental de la part de Biden et des démocrates sera profondément déçu. Malgré leurs belles paroles dans les derniers mois, un examen attentif révèle que les démocrates ont pris soin de ne rien promettre qui n’ait déjà été livré par les précédents gérants présidentiels du capitalisme.
Par le passé, lorsque les démocrates ont légiféré sur des « réformes », ces programmes étaient en fin de compte payés par des sections de la classe ouvrière et de la classe moyenne. Les keynésiens et les partisans de la soi-disant « politique monétaire moderne » soutiennent que de tels programmes peuvent facilement être financés par un déficit. Mais dans le monde réel, la dette a ses limites et, un jour ou l’autre, il y aura une augmentation des impôts sur les travailleurs, une réduction des dépenses sociales et de l’inflation.
Biden a proposé un plan de 1900 milliards de dollars pour faire face à la pandémie et pour essayer d’empêcher l’économie de s’enfoncer davantage dans la crise. Il ne s’agit pas d’une réforme, mais d’une tentative d’empêcher le navire capitaliste de couler. Les chèques de relance et les allocations de chômage aideront certainement des millions de personnes à ne pas sombrer complètement, mais ces maigres ressources ne les sortiront pas des sables mouvants de la vie sous le capitalisme. Et bien que cet argent soit censé aider les « familles ouvrières », sa quasi-totalité fera un court arrêt dans leurs comptes bancaires avant de se déverser par milliards dans les poches des propriétaires immobiliers, des banques, des autres créanciers et des profiteurs. Quarante-cinq des 50 plus grandes entreprises ont prospéré pendant la pandémie, récoltant des centaines de milliards de dollars tout en licenciant des millions de travailleurs.
Même si les démocrates adoptent un salaire minimum fédéral de 15 dollars, cela peinerait à rattraper le déclin du niveau de vie des travailleurs et de leurs familles. Biden a clairement indiqué qu’il n’avait pas l’intention de concéder des soins de santé universels. Rejoindre l’accord de Paris ne fera pas grand-chose pour lutter contre la catastrophe climatique, qui nécessitera de mettre fin au caractère sacré de la propriété privée. Le racisme ne peut être déraciné ni la brutalité policière éliminée dans une société où la rareté artificielle est utilisée pour diviser et gouverner la majorité. Nous pouvons également être sûrs que les démocrates n’abrogeront pas les lois anti-syndicales comme Taft-Hartley, car la classe capitaliste combattrait cela bec et ongles. Et même un taux d’imposition légèrement plus élevé sur les super-riches aurait à peine d’effet sur les super-profits générés par ces mastodontes.
Les marxistes soutiennent la lutte pour des réformes significatives qui résultent de réelles concessions arrachées à la classe dominante. De telles réformes ne sont jamais qu’un sous-produit de la lutte de la classe ouvrière sur les lieux de travail, dans la rue et sur le plan politique. Cependant, la lutte politique nécessite une expression indépendante de la classe sous la forme d’un parti de masse, de la classe ouvrière, par et pour la classe ouvrière. À mesure qu’un mouvement politique de la classe ouvrière prend forme et s’intensifie, il peut forcer la classe dominante à faire certaines concessions, mais la vie de la classe ouvrière, qui est exploitée et opprimée, ne sera fondamentalement transformée qu’avec la fin du système capitaliste.
La nécessité d’un parti ouvrier
Même s’il y aura une sorte de lune de miel, la misère et l’instabilité actuelles finiront par provoquer la colère contre ce « nouveau » gouvernement. La seule chose qui unissait la « coalition » interclasses d’électeurs ayant voté pour Biden était l’opposition à Trump. Mais maintenant que Trump est parti, va commencer à s’effondrer l’unité temporaire entre ceux qui ont voté démocrate par faute de meilleur choix et les défenseurs libéraux invétérés du capitalisme.
Que cela prenne un, quatre ou même huit ans, des dizaines de millions de ses partisans actuels se retourneront contre le gouvernement démocrate, rejoignant les dizaines de millions qui étaient déjà contre lui dès le premier jour. La vraie question est la suivante : lorsque les travailleurs en auront assez d’une énième administration démocrate, y aura-t-il un parti de masse des travailleurs pour canaliser la désillusion et remplacer les deux grands partis?
La tâche essentielle à laquelle sont confrontés la gauche élargie et le mouvement ouvrier est de jeter les bases d’un tel parti de classe indépendant. Personne ne doit se faire d’illusions sur la possibilité que la gauche, minuscule, fracturée et actuellement insignifiante sur le plan politique, puisse d’une manière ou d’une autre « faire pression » sur Biden pour qu’il fasse quelque chose qui remette sérieusement en cause le capitalisme. Comme nous l’avons vu, toute la raison d’être des démocrates est précisément le contraire. Le rôle des socialistes n’est pas de soutenir le système, mais d’aider à accélérer sa chute.
L’incroyable mouvement de protestation déclenché par le meurtre de George Floyd et l’intérêt croissant pour les idées socialistes montrent le potentiel des politiques révolutionnaires de masse aux États-Unis. Comme nous l’avons vu au cours de l’année 2020, lorsque la classe ouvrière entre en action, elle peut renverser la situation rapidement! Le capitalisme a épuisé son potentiel historique progressiste et est entré dans une période d’instabilité et de déclin. Il est grand temps de s’en débarrasser.