Depuis le décès de l’ex-premier ministre Brian Mulroney, la presse canadienne travaille jour et nuit pour blanchir sa réputation.
Pour éviter de dire quoique ce soit d’impoli, la presse canadienne a décrit Mulroney comme l’un des chefs d’État les plus « influents », les plus « marquants » et les plus « importants » du Canada. Même au Québec, ce fédéraliste conservateur est présenté de toutes parts sous un jour favorable.
Nous pouvons toutefois parler franchement. Le gouvernement Mulroney a réagi à la crise du système capitaliste par des mesures d’austérité et des attaques contre la classe ouvrière, tant au Canada qu’à l’étranger. Son « héritage » est l’aggravation de la pauvreté et de l’oppression. Et il ne nous manquera pas.
« Les réalités de la concurrence »
Les conservateurs de Brian Mulroney ont pris le pouvoir en 1984. À cette époque, la fin du boom de l’après-guerre a achevé la paix des classes temporaires des années 1950 et 1960. Alors que les libéraux ont travaillé dur pour briser les reins de la classe ouvrière, en particulier sous Pierre Trudeau qui a eu recours à des lock-out et des réductions de salaire et infligé des peines de prison, les conservateurs ont promis d’être encore plus agressifs.
Mulroney a fait campagne en promettant de réduire les programmes d’aide sociale, de légiférer pour mettre fin aux « conflits industriels », de privatiser les sociétés d’État et de « restreindre » les salaires du secteur public, afin de forcer la classe ouvrière à accepter les « réalités de la concurrence » du marché mondial.
En 1987, le gouvernement s’est retrouvé face à une véritable bataille. Alors que les travailleurs du rail et de la poste du pays rejettent les réductions de salaires et d’emplois proposées par le gouvernement, le médiateur a prévenu qu’il s’agirait d’un « long été chaud ».
Les conservateurs se sont bornés sur leurs positions. Ils ont déployé la police anti-émeute contre les cheminots en grève qui s’étaient rassemblés sur la colline du Parlement. Plus tard, le gouvernement s’en est pris aux postiers. Après s’être plaint que Postes Canada était « dirigée par les syndicats », Mulroney a chargé une équipe de briseurs de grève, escortés par hélicoptère, de briser le STTP. Pour tourner le couteau dans la plaie, il a également franchi personnellement un piquet de grève.
Ces mesures ont été combinées à des attaques contre les chômeurs, avec des coupes à l’aide financière et à l’assurance chômage. Selon un membre éminent du caucus Mulroney, l’ancien régime de prestations ne pouvait que « perpétuer la faiblesse et la dépendance ».
Ces attaques n’étaient pas des conflits isolés. Les conservateurs ont exprimé l’espoir qu’elles puissent servir « d’exemple » aux patrons de tout le pays. En s’attaquant aux travailleurs les mieux organisés, les conservateurs espéraient intimider les travailleurs du reste du pays, ce qu’ils ont fait avec empressement. Mulroney a ainsi servi la classe dirigeante de la manière la plus « importante » qui soit.
Brutalité impérialiste
Les attaques du gouvernement Mulroney contre la classe ouvrière au Canada n’ont d’égal que sa complicité dans l’oppression des travailleurs et des pauvres du reste de la planète. À l’époque, la crise du système s’exprimait par un bouillonnement dans les pays ex-coloniaux et les puissances impérialistes comme Canada, les États-Unis et leurs alliés ont répliqué avec force.
À cette fin, le Livre blanc sur la défense de Mulroney a promis de se rapprocher des États-Unis et d’augmenter les dépenses militaires du Canada pour contribuer à la protection des « intérêts légitimes » du capitalisme canadien. Il prévient que dans de nouvelles régions, « l’instabilité et le potentiel de violence sont généralisés » et appelle à un déploiement encore plus « énergique » de « nos forces armées » à l’échelle internationale.
Dans un cas tristement célèbre, cette force militaire a été utilisée à l’interne, en 1990, pour écraser les défenseurs des droits territoriaux Mohawk à Oka.
Quand il était dans l’opposition, Mulroney avait déjà réprimandé les libéraux pour avoir refusé de soutenir assez fermement l’invasion américaine de la Grenade. En tant que premier ministre, il s’est empressé d’aider les efforts de guerre américains partout où c’était possible. Outre ses plans d’augmenter massivement les dépenses militaires du Canada et d’aider les États-Unis à accroître son arsenal nucléaire, son gouvernement a également soutenu fermement les dictatures de droite appuyées par les États-Unis au Salvador, au Guatemala et au Chili par l’aide financière, la couverture diplomatique et les armes.
Après avoir manqué l’occasion d’envahir la Grenade, Mulroney s’est empressé d’aider les États-Unis dans leurs guerres contre le Panama en 1989 (qui a fait 4000 morts) et l’Iraq en 1990.
Pendant la guerre du Golfe, les avions de chasse canadiens ont rejoint les navires américains et britanniques pour pilonner les forces irakiennes, mais la campagne de bombardement a touché bien plus que des cibles militaires. Au total, les forces aériennes canadiennes ont mené 56 missions de bombardement impliquant plus de 15 000 tonnes d’explosifs jetés sur un large éventail de cibles, notamment des centrales électriques, des stations d’épuration, des équipements de télécommunications et d’autres éléments d’infrastructure civile.
De manière prévisible, Mulroney était également un fervent partisan de l’oppression des Palestiniens par Israël. Lorsqu’il était au pouvoir, il a offert à Israël des livraisons massives d’armes et a fait l’éloge de la « retenue » du gouvernement israélien lors de l’écrasement de la première Intifada. En outre, son gouvernement a milité directement, à l’échelle des Nations unies, pour faire échouer les résolutions réclamant le droit à « l’autodétermination » des Palestiniens. Enfin, dans les derniers mois de sa vie, Mulroney a approuvé à mots couverts la campagne génocidaire menée par Israël à Gaza, encourageant Trudeau à offrir à Netanyahou un « soutien total et sans réserve ».
Les apologistes de Mulroney, y compris le chef du NPD Jagmeet Singh, prétendent qu’il a lutté fermement contre l’apartheid en Afrique du Sud. C’est une exagération grotesque.
Avant l’élection de Mulroney en 1984, des entreprises canadiennes telles que Bata Shoes, la compagnie de la Baie d’Hudson, Ford Canada, Alcan, Cominco, Falconbridge, Rio Algom et Weston Ltd profitaient généreusement de l’apartheid.
Par ailleurs, pendant presque tout le mandat de Mulroney, les sociétés minières canadiennes ont continué à profiter des minerais sud-africains. Bien que l’on parle beaucoup des « sanctions » appliquées par Mulroney, la réalité est que les échanges commerciaux du Canada avec l’Afrique du Sud entre 1986 et 1993 se sont élevés à 1,6 milliard de dollars, soit 44% du total de la période précédente.
Sur le plan politique, jusqu’à la fin de 1987, le cabinet Mulroney s’est efforcé de soutenir le Parti National de P.W. Botha, non pas pour faire tomber l’apartheid, mais pour maintenir le statu quo.
En revanche, le gouvernement Mulroney a passé la majeure partie des années 80 à s’opposer au Congrès national africain.
L’aile droite de son caucus rejettait le mouvement anti-apartheid comme « des communistes qui essaient de détruire ce que les hommes blancs ont construit ».
Mais Mulroney lui-même n’était pas beaucoup plus amical. Le gouvernement canadien a refusé de laisser l’ANC établir des bureaux au Canada ou de lui accorder une quelconque reconnaissance officielle. En outre, le ministre des Affaires étrangères, Joe Clark, s’est engagé à ne travailler qu’avec des dirigeants noirs plus « modérés ». Et lorsque Mulroney a rencontré Oliver Tambo, il en a profité pour confronter le représentant de l’ANC concernant des allégations du régime de Pretoria selon lesquelles il s’agissait d’une organisation terroriste « contrôlée par les communistes ».
Toutefois, l’impérialisme canadien a fini par devoir élaborer des plans d’urgence lorsqu’il est devenu évident que le régime d’apartheid était à bout de souffle. Mulroney a changé son fusil d’épaule et a cherché à établir des contacts avec l’ANC pour « l’aider » à « remettre les choses en ordre ». En langage clair, cela signifiait faire pression sur le nouveau gouvernement pour qu’il abandonne les sections de sa Charte de la liberté qui mentionnaient la nationalisation des mines et des ressources clés. Cette démarche visait à protéger les profits canadiens et, ce faisant, à laisser en place les fondements économiques de l’apartheid.
Le gouvernement libéral canadien qui a suivi a continué à pousser le gouvernement de l’ANC à aller vers la droite. En 2002, le magazine sud-africain Mining Weekly a révélé qu’au cours de ses premières années, « le gouvernement sud-africain a reçu de nombreux conseils de la part de l’ensemble de l’industrie minière canadienne, des sociétés de prospection aux analystes de la Bourse de Toronto, en passant par les sociétés minières ».
De même, le gouvernement Mulroney a été l’un des plus fervents défenseurs des politiques d’ajustement structurel (PAS) dans le monde – des conditions attachées aux prêts pour forcer les anciens pays coloniaux à adopter l’austérité, la privatisation et des lois antisyndicales à des fins vraiment horribles.
En 1987 et 1988, Mulroney s’est consacré à l’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, la première moitié de ce qui allait devenir l’ALENA. Cet accord a permis au Canada et aux États-Unis de s’orienter massivement vers la production « juste à temps ». À l’étranger, les conservateurs ont passé le début des années 1990 à faire pression sur le gouvernement mexicain pour qu’il ouvre ses règles d’exploitation minière et de propriété foncière aux investissements canadiens. Dans l’ensemble, ces accords visaient à accroître les profits des capitalistes canadiens et à écraser les pauvres.
Cela n’a pas permi au Canada d’éviter la crise économique de 1990-1992. En dernière analyse, le PIB du Canada a rétréci de plus de 3,4%, des centaines de milliers d’emplois ont disparu et Mulroney a démissionné en disgrâce.
Au milieu des années 1990, alors que les libéraux s’adressaient au FMI pour obtenir leur propre PAS, l’ancien premier ministre conservateur avait pratiquement disparu dans le secteur privé.
Outre les conseils qu’il a prodigués à tous les premiers ministres qui ont suivi, il a rapidement rejoint le conseil d’administration de Barrick Gold, l’une des sociétés minières les plus tristement célèbres du Canada. Interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à nommer Mulroney au conseil d’administration de Barrick, le PDG Peter Munk a déclaré : « Il a d’excellents contacts. Il connaît tous les dictateurs du monde par leur prénom. »
Il y a là une continuité évidente. Au pouvoir, Mulroney a attaqué les travailleurs et les pauvres dans l’intérêt du profit. Après son mandat, Mulroney a contribué à attaquer les travailleurs et les pauvres dans l’intérêt du profit.
Débarrassons-nous de l’héritage de Mulroney, débarrassons-nous de l’impérialisme
Depuis la démission de Mulroney, le déclin du capitalisme canadien n’a fait que s’approfondir. En conséquence, la classe dirigeante canadienne et ses représentants étatiques se sont appuyés à maintes reprises sur les mêmes mesures répressives qui ont marqué la période Mulroney – forcer les travailleurs à payer pour les crises avec des briseurs de grèves, la violence policière, la force militaire et ainsi de suite.
Dans ce contexte, il est révélateur que, selon le National Post, tous les premiers ministres qui ont suivi, libéraux et conservateurs, aient cherché les conseils de Mulroney et que tous les chefs de parti aient trouvé un terrain d’entente avec lui. Ce n’est pas le compliment qu’ils croient. Alors que la classe ouvrière en est venue à mépriser Mulroney, les capitalistes et leurs politiciens ne peuvent qu’exprimer leur admiration à son égard. Bien que ces hommes politiques puissent avoir des différences d’approche, ils partagent tous en fin de compte le même objectif : administrer le système capitaliste en déclin.
Pour balayer l’héritage de Mulroney, il faut donc lutter non seulement contre les conservateurs, mais aussi contre l’ensemble de la classe capitaliste, son état et tous les admirateurs de Mulroney en son sein.