Depuis plusieurs mois, des campements de fortune se multiplient à travers le Canada. Bien que l’itinérance ne soit pas un phénomène nouveau, celui-ci a été exacerbé par la pandémie. Trois millions de Canadiens ont perdu leur emploi entre février et avril, et le prix des loyers demeure élevé à cause de la bulle immobilière, ce qui empire la crise du logement. Dans ce contexte, ce n’est pas étonnant de voir de nouvelles couches de la population être jetées à la rue. Ces nouveaux campements ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les Hooverville apparues aux États-Unis pendant la Grande Dépression des années 30.
Dans toutes les grandes villes canadiennes, c’est le même constat : l’itinérance a grimpé en flèche. À Vancouver, au moins 450 tentes ont été installées dans un parc de la ville, avec un seul accès à une toilette. Quinze campements sont actuellement en place à Hamilton. À Montréal, le nombre de personnes itinérantes a doublé depuis mars et on a vu apparaître plusieurs nouveaux campements, comme le long de la rue Notre-Dame et à Montréal-Nord. Si l’itinérance a précédemment été associée aux enjeux de la santé mentale, de la toxicomanie et de l’exclusion sociale, les choses sont en train de changer, alors que la crise économique jette plus de gens à la rue. « J’ai perdu mon emploi et mon logement à cause de la pandémie », affirme un des campeurs de Montréal. Un plus grand nombre de gens font maintenant face à leur première situation d’itinérance.
Les campements de fortune présentent un danger pour la santé de ceux qui sont forcés d’y vivre. La plupart de ces campements n’ont pas d’accès à l’eau courante et il est donc très difficile de respecter les mesures d’hygiène recommandées. Dans certains cas, il est possible d’avoir accès à quelques équipements de base, mais l’accès est tellement limité que la distanciation sociale est rendue impossible.
Mais la situation n’est pas meilleure dans les refuges, où la promiscuité reste un problème. À Toronto, 649 cas de COVID-19 ont été comptabilisés dans les refuges. De nombreuses personnes préfèrent donc rester dans leurs tentes plutôt que de se rendre dans un refuge. C’est le cas de ce résident du campement rue Notre-Dame qui expliquait : « En temps de COVID, nous, on ne veut pas aller s’entasser comme du bétail dans des centres d’hébergement. » Les problèmes liés à la santé mentale et aux dépendances chez les résidents à long terme sont d’autres raisons qui font que les nouveaux sans-abri trouvent les refuges bondés non sécuritaires.
Il faut aussi prendre en compte le fait que dans l’atmosphère actuelle de crise et d’incertitude, l’esprit de solidarité et de communauté qui s’est créé dans les campements est une source de réconfort pour ses résidents. La plupart témoigne qu’ils s’y sentent plus en sécurité. « Je me sentais plus en sécurité que dans la rue. […] Si j’avais une journée difficile, je pouvais aller voir 50 personnes et pleurer sur leur épaule si j’en avais besoin. » témoignait un ancien résident d’un campement de Vancouver.
Cela dit, les conditions dans les campements demeurent extrêmement difficiles, d’autant plus que les personnes itinérantes restent stigmatisées et sont visées par des mesures humiliantes. À Moncton, la ville a fait installer des panneaux indicateurs dans le but de réglementer le comportement des itinérants, comme si le problème de l’itinérance était dû à un manque de savoir-vivre. Mais rien ne montre que les campements dégradent l’espace public. Au contraire, comme l’un des résidents du campement de la rue Notre-Dame expliquait : « Ici, on n’est pas dérangeants. On ne traîne pas dans le parc en face. On se ramasse. Il y en a un qui était malpropre, on lui a dit de se ramasser ou de quitter. On demande aux gens qui veulent consommer de le faire dans leur tente pour que personne ne les voie. Si tu ne fittes pas ici, dans le respect, tu pars. »
Les responsables politiques profitent de la situation actuelle pour s’attaquer aux itinérants, comme c’est le cas des libéraux en Colombie-Britannique, qui dénoncent un problème de « sécurité publique » sans proposer aucune mesure concrète pour aider les personnes qui vivent dans les campements. Ceci révèle l’hypocrisie totale des politiciens, qui jouent la carte de l’insécurité pour créer diversion et se donner une excuse pour démanteler les campements de fortune, sans avoir à se soucier d’y trouver une solution de rechange.
De l’autre bord, certains politiciens « de gauche » ne sont pas avares de grands discours où ils affichent leur volonté d’aider les personnes sans-abri. Mais ça ne reste que des belles paroles vides quand elles ne sont pas liées à des actions concrètes pour améliorer réellement la situation des personnes itinérantes. La ville de Montréal a annoncé avoir ouvert plusieurs nouveaux refuges, mais certains sont déjà pleins. Alors que d’après le recensement officiel de la ville, 6000 personnes sont actuellement en situation d’itinérance, au moment d’écrire ces lignes, seulement 1104 lits d’hébergement d’urgence sont disponibles pour la période hivernale à la date d’écriture de cet article, ce qui est très insuffisant. Lors de sa campagne, Valérie Plante s’était pourtant engagée à construire 12 000 logements sociaux ou abordables d’ici 2021, mais un rapport publié en juin révélait que pas un seul de ces logements n’avait été construit l’automne dernier.
La réponse apportée par les villes et les gouvernements est complètement insuffisante. Pourtant, la situation ne va pas aller en s’améliorant. Avec la fin de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et la fin des différentes mesures locales pour suspendre les expulsions, de nombreux Canadiens témoignent de leur difficulté à joindre les deux bouts à la fin du mois. Un récent sondage indiquait qu’un locataire canadien sur quatre est inquiet de payer son loyer le mois prochain. De plus, les chiffres de l’itinérance sont incomplets, car ils ne prennent pas en compte les personnes ayant perdu leur logement qui sont hébergées chez des amis. Avec la deuxième vague et les nouvelles mesures de confinement qui commencent (notamment à Montréal), il n’est pas clair ce qui arrivera à ces gens. D’autant plus que les pertes d’emploi continuent encore, et entraînent dans leur sillage des expulsions et de nouvelles personnes à la rue.
Toutefois, ni les campements, ni les refuges ne sont une solution pérenne pour les itinérants. Les différentes villes affichent toutes leur volonté de démanteler les campements, et les places disponibles dans les refuges sont toujours temporaires. Pourtant, la crise du logement ne date pas d’hier. À Montréal, les loyers ont augmenté de 40% en 5 ans. Dans un article publié l’année passée, nous expliquions déjà que les lois du marché capitaliste et la course aux profits des investisseurs immobiliers allaient continuer à faire grimper les prix des loyers et créer une pénurie de logements abordables. En conséquence, 5% des Canadiens ont déjà vécu en situation d’itinérance. C’est un symptôme qui révèle encore une fois toute l’absurdité du système capitaliste dans lequel on vit, un système dans lequel des milliers de personnes vivent dans la rue alors qu’on continue à construire des tours à condos de luxe. Une estimation portait le nombre de maisons vacantes au Canada à 1,34 million, ce qui équivaut à environ 6 maisons pour chaque personne sans-abri.
Avec l’hiver qui approche, il est urgent de trouver une réponse à cette crise. La question se pose de trouver au plus vite une solution de rechange pour toutes les personnes qui vivent actuellement dans des campements de fortune. Avec l’absence quasi totale de tourisme, des milliers de chambres d’hôtels sont inoccupées et pourraient être réquisitionnées par les villes pour y loger du monde. Il en va de même pour les tours à condos vides et pour tous les autres logements vacants. Il faut aussi geler les hausses des loyers et empêcher les expulsions.
Néanmoins, il faut souligner le fait que ce ne sont pas des solutions viables à long terme, car personne ne peut décemment habiter indéfiniment dans une chambre d’hôtel. Un programme massif d’investissements pour construire des logements sociaux est nécessaire. Ceci serait possible en ne prélevant qu’une fraction des mille milliards de dollars qui dorment dans les coffres de banque des entreprises canadiennes. Mais cela viendrait frapper au cœur même du système capitaliste, c’est-à-dire dans la poche des riches investisseurs et des patrons.
La pandémie a mis en lumière les énormes trous dans le filet social au Canada, les plus démunis étant laissés pour compte. Il est plus que temps de mettre fin à un système qui tolère qu’il y ait des personnes qui vivent dans des conditions inhumaines, et qui va continuer à jeter de plus en plus de gens dans la misère.