En imposant les élections du 21 décembre, en Catalogne, le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy voulait infliger une défaite décisive aux indépendantistes. Cette stratégie a échoué. Sur fond de participation record (82 %), le bloc indépendantiste (JuntsxCat, ERC et CUP) a renouvelé sa majorité.
Le bloc indépendantiste
Au sein de ce bloc, la liste JuntsxCat, dirigée par le président sortant de la Catalogne, Carles Puigdemont, réalise 21,65 % des voix, soit à peine mieux que l’ERC (21,4 %). Mais comparé aux élections précédentes, cela représente un net recul pour Puigdemont et un net progrès pour l’ERC – soit un glissement vers la gauche de l’électorat indépendantiste.
Ceci dit, les anti-capitalistes de la CUP (le troisième parti de ce bloc) réalisent un mauvais score : 4,45 % des voix (4 sièges), contre 8,21 % en 2015 (10 sièges).
Le score décevant de la CUP appelle une explication, car ce parti a fait une bonne campagne, basée sur l’engagement à respecter la volonté du peuple catalan – exprimée lors du référendum du 1er octobre – et sur la nécessité de lier la lutte pour une République catalane à la lutte contre le capitalisme. Mais différents facteurs ont joué contre cette liste. Premièrement, il y a le souvenir des erreurs passées des dirigeants de la CUP, lorsqu’ils ont soutenu le budget anti-social des indépendantistes bourgeois. Deuxièmement, la CUP avait bénéficié, en 2015, d’une partie de l’électorat de l’ERC, car ce dernier n’avait pas alors de liste indépendante ; ces électeurs sont revenus vers l’ERC, cette fois-ci. Troisièmement, la CUP ne s’est pas suffisamment distinguée des indépendantistes bourgeois (Puigdemont) et petit-bourgeois (ERC) lors des événements cruciaux d’octobre. Elle n’est pas assez apparue comme offrant une direction alternative.
Reste que la CUP a joué un rôle important dans la formation des CDR (« Comités pour la Défense du Référendum », puis « Comités pour la Défense de la République »), qui constituent précisément le type de structures permettant de donner une expression organisée, militante et indépendante des nationalistes bourgeois, au mouvement de masse pour une République catalane. C’est la bonne voie !
Le bloc de l’article 155
En face des indépendantistes, le « bloc de l’article 155 » est constitué de tous ceux (PP, Cs et PSC) qui appuient la répression violente de toute auto-détermination nationale, comme le prévoit l’article 155 de la Constitution espagnole (héritée du franquisme).
Avec 4,2 % des voix et 3 sièges, le Parti Populaire (PP) est laminé – et Rajoy, comme Premier ministre, fragilisé. Avec 13,9 % des voix et 17 sièges, le « social-démocrate » PSC sauve sa peau, mais pas son honneur. Celui qui prend clairement la tête de ce bloc réactionnaire, c’est le parti de « centre-droit » Ciudadanos (Cs), qui recueille 25 % des voix et obtient 37 sièges. En combinant chauvinisme espagnol et démagogie « sociale », les dirigeants de Cs ont non seulement pris des voix au PP, mais ils ont réussi à percer dans l’électorat hispanophone des grandes villes catalanes – y compris dans la classe ouvrière.
Cela souligne, en creux, la nécessité de lier la lutte pour une République catalane à la lutte contre l’austérité et contre le capitalisme espagnol. En mettant au premier plan les intérêts de classe des travailleurs catalans et hispanophones (en Catalogne et dans toute la péninsule), il serait possible de démasquer la démagogie « unioniste » et « sociale » de Ciudadanos, qui prétend défendre « tous les Espagnols », mais soutient surtout les politiques d’austérité du gouvernement Rajoy, lesquelles frappent l’écrasante majorité de la population.
Enfin, mentionnons le mauvais résultat de Podemos (7,45 % des voix et 8 sièges), qui, en prétendant se tenir au-dessus des deux parties en lutte, s’est retrouvé nulle part. Les militants de Podemos, en Catalogne et dans tout l’Etat espagnol, devront en tirer les leçons.
Perspectives
La victoire du bloc indépendantiste est un coup contre Rajoy et le régime espagnol dans son ensemble. Mais le bloc de l’article 155 n’est pas pour autant disposé aux concessions. Plusieurs dirigeants indépendantistes demeurent en prison ou poursuivis. De leur côté, Puigdemont et les dirigeants de l’ERC n’insistent plus sur la nécessité de respecter le mandat du 1er octobre dernier. Or la CUP avait annoncé, avant l’élection, qu’elle ne soutiendrait pas un gouvernement renonçant à la lutte pour la République.
Les principales leçons de ces derniers mois sont claires. Puigdemont et les dirigeants de l’ERC sont organiquement incapables de lutter jusqu’au bout pour une République catalane. Celle-ci ne pourra être conquise que dans le cadre d’une lutte révolutionnaire contre l’ensemble du régime espagnol, en lien avec la lutte pour le socialisme. Ce que résume le mot d’ordre des camarades espagnols de la Tendance marxiste internationale : « Pour une Catalogne socialiste, étincelle de la révolution ibérique ! »