Le 11 mai 2009, les syndicats ont annoncé la formation d’un front commun pour la négociation des contrats du secteur public et parapublic venant à échéance – ces mêmes contrats qui ont été imposés par le gouvernement Charest lors de la dernière ronde de négociations en 2003. Cette fois-là, les libéraux ont décrété les conditions des travailleurs du secteur public par le biais de l’Assemblée nationale et ont adopté une loi spéciale interdisant la grève dans le secteur public. Cette fois cependant, le gouvernement aurait tort de penser qu’il pourrait recourir aux mêmes méthodes brutales avec un résultat favorable.
L’accord de ce front commun entre la FTQ (Fédération des Travailleurs du Québec), la CSN (Confédération des syndicats nationaux) et le SISP (Secrétariat intersyndical des services publics) réunit 475.000 employés du secteur public et parapublic. Il s’agit du plus grand accord de ce genre, réunissant plus de salariés que le front commun de 1972, qui a commencé par des négociations similaires dans le secteur public puis a fait face à l’arrogance d’un gouvernement qui refusa de négocier avec les syndicats en tant que bloc.
Pour la durée du front commun en cours, jusqu’au 31 mai 2010, les syndicats ont convenu de suspendre le maraudage de leurs sections locales respectives. Ceci est une mesure progressiste, essentielle pour favoriser l’unité nécessaire à la poursuite d’une lutte victorieuse. Le gouvernement encourage le maraudage constamment, car la division, au sein des différentes factions, qui en découle rend les syndicats plus vulnérables à ses manœuvres.
Le salaire moyen des travailleurs du secteur public a pris du retard par rapport à la moyenne québécoise, qui était de 7,7 % à partir de 2008, selon l’Institut de la statistique du gouvernement du Québec. Les travailleurs du secteur public ont aussi connu une baisse de leur stabilité d’emploi : désormais 64 % sont des travailleurs réguliers qui sont soit à temps plein ou à temps partiel. Un gros 36 % des travailleurs du secteur public est sur appel, occasionnel ou encore temporaire et fait donc face à une instabilité quelle qu’elle soit. Nos services publics, nos hôpitaux et nos écoles en particulier, sont marqués par cet état de fait. La motivation du profit du capitalisme détruit nos services publics, qui fonctionnent tous sous la même philosophie avare. Compresser les services médicaux au détriment de leur santé est un danger pour la nôtre!
Les syndicats du secteur public ont également demandé au gouvernement de garder les négociations brèves dans l’espoir de parvenir à un accord d’ici mai 2010. Dans le meilleur des mondes, cela pourrait être tout à fait possible si le gouvernement reconnaissait simplement la réalité de la détérioration des conditions des travailleurs du secteur public, qui sont à la traîne par rapport au salaire moyen au Québec, et acceptait la principale revendication des syndicats, soit une augmentation de 11,25 % sur 3 ans, faute de quoi le gouvernement sera vraisemblablement aux prises avec le mécontentement du front commun, voire la grève.
Cependant, même dans une période de croissance, il est très peu probable que le gouvernement des patrons ne fasse de concessions sans combat. Dans le contexte de la pire crise du capitalisme depuis la grande dépression, c’est comme s’attendre à ce qu’un tigre affamé devienne végétarien.
En 2003, 90 % des unités syndicales FTQ ont voté en faveur d’une grève générale si le gouvernement ne négociait pas de bonne foi. À la CSN, c’est une histoire similaire, avec un mandat clair de ses membres. Le gouvernement a bel et bien perdu leur confiance et pourtant, aucun syndicat n’est entré en grève. Les travailleurs ne peuvent pas abandonner sans se battre une nouvelle fois.
La grève générale du front commun de 1972 devrait servir d’inspiration et d’exemple pour les travailleurs impliqués dans cette lutte. Le gouvernement de Robert Bourassa a voulu diviser les travailleurs et les tourner les uns contre les autres, mais les travailleurs ont insisté sur l’unité dans leurs négociations et leur grève.
La grève, qui commença par la question des salaires, des heures et des conditions de travail, prit rapidement un élan imprévu. Elle s’est étendue au-delà du secteur public et a allumé les frustrations accumulées de centaines de milliers de travailleurs québécois, syndiqués et non syndiqués, qui sont sortis à la rue en appui aux travailleurs confrontés à une répression féroce ainsi que pour leurs propres revendications. L’arrestation des trois dirigeants syndicaux et l’assassinat par la police de jeunes lors de manifestations ont rendu furieux les travailleurs et ont donné à la grève des proportions semi-révolutionnaires. La société tout entière s’est soudainement mobilisée et le gouvernement a été tenu en suspension dans l’air.
Si le gouvernement ose utiliser des tactiques coup-de-poing contre les ouvriers dans ces négociations une fois encore, il pourrait faire face à un retour de bâton avec un potentiel similaire. Malgré les appels du ministre du Trésor aux travailleurs à « faire preuve de réalisme dans cette crise », 475 000 des 540 000 travailleurs de l’État se sont ralliés contre le gouvernement, et leurs demandes pourraient facilement faire résonance avec la colère du reste de la population. C’est le gouvernement qui devra « être réaliste ». Les chances sont contre lui, et il ne devrait pas épuiser la patience des travailleurs. Si les travailleurs décident de bouger, ils pourraient mettre le gouvernement à genoux.