Le nombre de demandeurs d’asile arrivant par le chemin Roxham a augmenté en flèche depuis novembre. Dans les derniers jours, les appels à sa fermeture se sont multipliés de la part de politiciens et commentateurs de droite cherchant à casser du sucre sur le dos des immigrants, notamment François Legault. En réponse aux demandes du premier ministre du Québec, son homologue canadien Justin Trudeau s’est posé en défenseur des migrants. Mais l’hypocrisie de part et d’autre ne pourrait être plus flagrante.
Entente sur les pays tiers sûrs
La controverse autour du chemin Roxham ne date pas d’hier. Ce passage frontalier irrégulier entre le Canada et les États-Unis, situé près de Saint-Bernard-de-Lacolle en Montérégie, est utilisé par des demandeurs d’asile depuis 2015. Mais il a commencé à être fréquenté plus intensément depuis 2017, après l’adoption par le gouvernement Trump de politiques migratoires ayant poussé de nombreux réfugiés sur le territoire américain à fuir ce pays vers le Canada.
Les politiciens et commentateurs de droite s’étaient servi du chemin Roxham pour faire mousser la xénophobie en en faisant le symbole de l’arrivée supposément massive de hordes d’immigrants. Des groupes d’extrême droite comme La Meute et Storm Alliance avaient organisé des manifestations à la sortie du chemin en 2017 et 2018. Jean-François Lisée, alors chef du Parti québécois, avait tenté d’imiter Trump et appelé à y construire une clôture, « payée par les Mexicains ».
Au début de la pandémie de COVID-19, le gouvernement fédéral avait fermé le chemin, utilisant des arguments de santé publique. Malgré sa fermeture, 682 personnes sont quand même entrées au Québec de manière irrégulière entre mars 2020 et octobre 2021.
Depuis sa réouverture en novembre dernier, 8000 personnes sont entrées au Québec par le chemin Roxham depuis les États-Unis. Le ministre québécois de l’Immigration, Jean Boulet, prétend que 35 000 personnes devraient le traverser d’ici la fin de l’année. Il est utilisé par une grande partie des demandeurs d’asile au Canada, souvent des familles en provenance de l’Amérique latine, de l’Europe ou encore du Moyen-Orient, qui fuient la violence, la guerre, la misère et la répression.
L’attrait du chemin Roxham s’explique par l’Entente sur les pays tiers sûrs. En vertu de cet accord entre le Canada et les États-Unis, il est interdit de demander asile au Canada depuis les États-Unis, ceux-ci étant supposés déjà être un pays « sûr » où demander asile. En pratique, les États-Unis sont loin d’être « sûrs » pour tous les migrants. Ils s’y font emprisonner à la pelletée dans des conditions horribles, et le risque de se voir refuser sa demande de statut de réfugié est élevé. Les restrictions en matière d’immigration adoptées par le gouvernement Trump ont empiré cette situation.
Cela signifie que les personnes cherchant asile au Canada qui tentent d’entrer depuis les États-Unis par les postes frontière officiels entre les deux pays sont refoulées et renvoyées aux États-Unis, où elles risquent la déportation vers leur pays d’origine. Par conséquent, les demandeurs d’asile entrent au Canada par des entrées « non officielles » comme le chemin Roxham, pour ensuite présenter leur demande depuis le Canada. Contrairement à l’idée reçue, cela n’est pas illégal, à condition d’ensuite se présenter à un poste frontière rapidement.
Hypocrisie raciste
Cette fois-ci, c’est Mathieu Bock-Côté qui a lancé le bal des discours xénophobiques grandiloquents avec une publication franchement nauséabonde dans le Journal de Montréal. Le Parti québécois, avec François Legault à sa suite, s’est empressé de relayer son message. Ils appellent à fermer le chemin Roxham et répètent sans gêne l’argument de MBC que ce ne sont pas de « vrais réfugiés » qui l’utilisent.
En décembre dernier, la CAQ et son ministre de l’immigration, Jean Boulet, ont essayé de se servir des réfugiés passant par le chemin Roxham comme boucs émissaires de leur gestion criminelle de la pandémie. Le ministre a voulu faire croire que l’arrivée de ces migrants « surcharge le système de santé », alors qu’il n’y avait aucune éclosion liée à l’arrivée des migrants via le chemin Roxham. Il a appelé à fermer le chemin Roxham et à ne plus traiter les demandes d’asile qui en proviennent pour « protéger les Québécois ».
Alors même que près de la moitié de ceux qui passent par le chemin Roxham en 2022 vont s’établir dans d’autres provinces que le Québec, selon les dires de la CAQ, la capacité d’accueil du Québec serait dépassée. Pourtant, en mars seulement, le même Boulet, dans un exemple flagrant d’hypocrisie raciste, clamait haut et fort qu’il n’y avait « pas de limite » au nombre de réfugiés ukrainiens que le Québec pourrait accueillir! Il ne faut toutefois pas se tromper, ces laquais de l’impérialisme américain prétendent seulement avoir à cœur le sort des réfugiés ukrainiens parce que ceux-ci fuient l’ennemi russe. Les réfugiés causés par les interventions et l’ingérence des impérialistes américains et canadiens au Moyen-Orient depuis 20 ans, eux, n’ont eu droit qu’à une déferlante continue de racisme de la part de nos nationalistes québécois.
L’hypocrisie de la CAQ à ce sujet ne s’arrête pas là. Alors même que le premier ministre utilise le chemin Roxham pour attiser la xénophobie, la CAQ mène des missions à l’étranger pour attirer des travailleurs au Québec. Elle admet aussi un nombre grandissant de travailleurs étrangers temporaires au Québec pour pourvoir aux nombreux postes vacants dans le secteur agricole, manufacturier ou encore dans les résidences privées pour aînées.
Quand les travailleurs migrants peuvent être maintenus dans des situations de précarité extrême qui facilitent leur exploitation de la façon la plus abjecte, Legault et le reste des politiciens bourgeois ainsi que le patronat qu’ils servent en sont bien contents et en demandent toujours plus. Ils n’hésitent toutefois pas à se servir de leur sort pour nourrir et mobiliser les sentiments xénophobes des couches les plus arriérées de la population, surtout lorsque les élections approchent.
Trudeau et les obstacles bureaucratiques
Justin Trudeau a bien sûr profité de cette situation pour se positionner comme le champion des migrants. Prétendant tenir une « position basée sur la compassion », il répond à Legault que le Canada ne peut pas fermer le passage en vertu des normes internationales concernant les réfugiés. Mais l’Entente sur les pays tiers sûrs qui rend ce passage nécessaire représente déjà une violation de ces normes.
Or, ce sont les libéraux qui ont adopté cette entente en 2004. Et le gouvernement Trudeau a défendu cette entente devant les tribunaux en portant en appel et réussissant à faire renverser une décision de la Cour fédérale de 2020 qui avait déclaré inconstitutionnelle l’Entente sur les pays tiers sûrs.
Promettant incessamment de la « moderniser », le gouvernement Trudeau s’acharne à maintenir cette entente réactionnaire. Abolir cette entente réactionnaire permettrait aux demandeurs d’asile de passer par les postes de frontière réguliers. Loin de considérer cette option, le gouvernement Trudeau met plutôt en place des installations « non officielles » pour accueillir les réfugiés passant par le chemin Roxham!
Et ceux qui bravent vents et marées et finissent par réussir à déposer une demande depuis le Canada se retrouvent devant un nouvel obstacle : une bureaucratie labyrinthique. Les délais interminables dans le traitement des dossiers des réfugiés les forcent à attendre parfois jusqu’à 11 mois pour obtenir un permis de travail. Il y a d’ailleurs en ce moment des demandes d’immigration déposées depuis 2009 qui n’ont toujours pas abouties à une réponse. Le gouvernement Trudeau ne peut pas prétendre défendre les réfugiés. Il dit vouloir donner aux migrants « le droit d’avoir une analyse de leur dossier », mais dans les faits, il les condamne systématiquement aux limbes bureaucratiques.
À cette hypocrisie s’ajoute celle de se trouver à la tête d’un État impérialiste lui-même responsable de créer des réfugiés. Parmi les migrants qui sont passés par le chemin Roxham en 2017 et 2018 pour fuir le racisme du gouvernement de Trump, il y avait une quantité significative de réfugiés haïtiens. Ces derniers vivaient aux États-Unis avec des permis de séjour temporaires. Or, la situation terrible à Haïti est le résultat de l’ingérence impérialiste du Canada et des États-Unis au pays depuis des décennies. Le pays ne s’est jamais remis du coup d’État de 2004 contre le président de gauche Jean-Bertrand Aristide, qui avait entrepris des réformes dangereuses pour les États-Unis. Le Parti libéral du Canada a eu un rôle particulièrement important dans ce crime impérialiste qui a déstabilisé le pays.
On peut aussi penser au rôle du Canada dans la guerre sauvage que mène l’Arabie Saoudite contre le Yémen depuis des années. L’Arabie Saoudite, soutenue par l’impérialisme occidental en général et armée par le Canada, condamne des millions de Yéménites, dont des centaines de milliers d’enfants, à la famine. L’impérialisme occidental, qui supporte l’Arabie Saoudite, ne prête aucune attention au sort des Yéménites. Comparativement au traitement de la guerre en Ukraine, l’hypocrisie ne pourrait être plus claire.
Au-delà des obstacles bureaucratiques qu’il leur impose une fois au Canada, Trudeau, à la tête de l’État impérialiste canadien, participe directement à rendre leur vie impossible dans leur pays d’origine. Que Trudeau prétende avoir à cœur le sort de ceux qu’il force à fuir leur pays est en fait l’hypocrisie la plus abjecte.
Fini les frontières, fini le capitalisme!
Les politiciens bourgeois québécois appellent hypocritement à fermer le chemin Roxham alors qu’ils prétendent ouvrir la porte aux réfugiés ukrainiens. De son côté, Justin Trudeau prétend défendre les migrants alors même qu’il participe à créer les situations de précarité dans lesquelles ils sont maintenus. Il est clair qu’aucun des deux côtés ne veut résoudre les problèmes qui poussent des millions de personnes à fuir leur pays. Au contraire, ils sont des défenseurs avérés du système qui est à la racine des problèmes des réfugiés : le capitalisme.
Le capitalisme dans sa phase impérialiste intensifie la misère, les guerres et la destruction de l’environnement qui forcent des couches entières de la population des pays du tiers monde à chercher refuge dans les pays riches. Alors qu’il n’y a point de frontières pour la circulation du capital, les travailleurs sont maintenus divisés par ces lignes arbitraires. Les discours xénophobes et les accords réactionnaires servent à maintenir et renforcer ces divisions. Avec les frontières, les travailleurs des pays pauvres sont maintenus de force là où ils peuvent être surexploités, alors que dans les pays riches, les travailleurs voient constamment leurs emplois de qualité être menacés de délocalisation vers les pays pauvres. Le système capitaliste ne peut pas se maintenir sans ces horreurs. Pour les éliminer, il faut mettre fin au capitalisme lui-même.
Tous les réfugiés, et non seulement ceux que la mesquinerie hypocrite impérialiste prétend favoriser, doivent être les bienvenus. Contrairement à ce que prétendent les nationalistes, les ressources nécessaires pour garantir des logements, des emplois et des services de qualité à tous les travailleurs, peu importent leurs origines, sont disponibles. Ces ressources dorment actuellement dans les coffres des banques. Mais pour pouvoir les mettre au service de l’humanité, il faut exproprier les parasites que sont les capitalistes. Les richesses de la société doivent être sous le contrôle démocratique de ceux qui la font rouler : les travailleurs. Avec une planification rationnelle de l’économie, les besoins des travailleurs de tous les pays pourront facilement être comblés sans les atrocités dont est empesté le capitalisme. Ainsi tomberait la distinction entre les « réfugiés » et les citoyens « en règle » – tous seraient traités de la même manière et verraient leurs besoins être satisfaits. Pour pouvoir mettre fin réellement à la crise de réfugiés, il faut le socialisme.