En décembre 2021, le candidat de la gauche réformiste, Gabriel Boric, remportait les élections présidentielles au Chili face au candidat d’extrême-droite José Antonio Kast. Cette victoire faisait suite au soulèvement massif de la jeunesse et d’une partie de la classe ouvrière contre les politiques d’austérité, à l’automne 2019. Cependant, au lieu de se donner pour objectif de satisfaire les revendications du mouvement et de la population qui l’avait élu, Boric a annoncé, d’emblée, sa volonté de « bâtir des ponts vers Kast » et la droite chilienne en général.
Nos camarades chiliens avaient alors mis en garde : « Aucun compromis favorable aux masses ne pourra être conclu avec la classe dirigeante chilienne. La crise économique mondiale offre très peu de marges de manœuvre pour des réformes progressistes significatives dans le cadre du capitalisme. »
La « loi de la gâchette facile »
A la recherche de compromis avec la droite chilienne, Boric finit par appliquer le programme de celle-ci. En avril dernier, il a fait adopter la loi Nain-Retamal, qui porte le nom de deux officiers de police morts en service, mais que la jeunesse chilienne a rebaptisée « loi de la gâchette facile ». Elle accroît les peines judiciaires pour quiconque s’en prend à des policiers. Dans le même temps, elle instaure une « présomption de légitime défense » : l’utilisation de son arme de service par un policier sera dorénavant considérée comme justifiée – jusqu’à ce qu’on puisse prouver le contraire, ce qui sera évidemment très difficile.
Cette réforme est d’autant plus choquante que, pendant le mouvement de 2019, près d’une trentaine de personnes ont été tuées par la police ou l’armée. Plusieurs milliers d’autres ont été blessées. Des dizaines de viols et d’actes de torture ont également été commis par les « forces de l’ordre ». Or, à ce jour, aucun policier ou militaire n’a été condamné pour ces crimes. La loi Nain-Retamal ne peut que renforcer cette impunité.
La pilule n’était pas facile à avaler pour la direction du Parti Communiste chilien, qui compte deux ministres au gouvernement. Mais elle l’a tout de même avalée : après avoir menacé de déposer un recours devant le Tribunal constitutionnel, elle a reculé – pour ne pas mettre en difficulté le gouvernement.
Cette réforme est dans la droite ligne de la politique sécuritaire menée par Boric depuis son arrivée au pouvoir. Alors qu’il avait promis de mettre fin à la « loi anti-terroriste » et à l’occupation militaire du territoire Mapuche, au sud du Chili, rien de tout cela n’a été fait. Au contraire : l’état d’urgence qui avait été imposé dans les provinces du sud a été étendu au nord du pays.
De « compromis » en renoncements
Lorsque Boric a été élu, nous expliquions que dans la mesure où « il ne dispose pas d’une majorité absolue au Parlement, il sera poussé à y faire des compromis avec la droite. » C’est précisément ce qui se passe. Le gouvernement s’appuie de plus en plus sur les partis du centre-droit et ne cesse de donner des gages à la bourgeoisie chilienne.
Dès sa prise de fonction, en mars 2022, Boric a choisi Mario Marcel comme ministre des Finances. Ce politicien bourgeois présidait la Banque Centrale du Chili entre 2016 et 2022. Il soutenait alors pleinement les politiques d’austérité qui ont provoqué le soulèvement de 2019. Sans surprise, la politique économique du gouvernement Boric est dans le prolongement de son prédécesseur.
Promise pendant la campagne électorale, la réduction de la semaine de travail à 40 heures a été mise en place après de longues négociations avec le patronat. Mais ce dernier a obtenu, en échange, la « flexibilisation du travail ». En clair, cela signifie la possibilité de licencier les travailleurs beaucoup plus facilement.
Nombre d’autres réformes progressistes annoncées pendant la campagne électorale, dont celles du système des retraites ou de l’éducation, ont été abandonnées au nom de la « responsabilité fiscale ». Le gouvernement les avait conditionnées à l’adoption d’une réforme fiscale qui a été rejetée par le Parlement.
En modérant son programme, Boric espère apaiser la classe dirigeante chilienne. Mais celle-ci soutient le gouvernement comme la corde soutient le pendu. La bourgeoisie chilienne utilise Boric – et son autorité d’homme « de gauche » – pour imposer toute une série de mesures réactionnaires. Dans le même temps, elle sait qu’une telle politique discréditera Boric aux yeux de ses électeurs et, ainsi, favorisera le retour de la droite au pouvoir.
Cependant, cette stratégie n’est pas sans risques. Une fraction croissante de la jeunesse commence à se retourner contre le gouvernement et à dénoncer ses mesures réactionnaires et répressives.
Aucun des problèmes économiques qui se posaient en 2019 n’a été réglé. Au contraire, l’inflation les a aggravés. Une nouvelle explosion révolutionnaire est donc, à terme, inévitable. Pour triompher, le mouvement devra tirer les leçons du soulèvement de 2019, lier les mobilisations de la jeunesse à la classe ouvrière – et bâtir une organisation révolutionnaire dotée d’un programme de rupture avec le capitalisme chilien.