450 000 personnes (selon la police locale) ont manifesté, hier, dans les rues de Barcelone, et des dizaines de milliers dans d’autres villes de la Catalogne, pour demander la libération des deux Jordis (dirigeants catalans arrêtés pour « sédition ») et rejeter la mise en œuvre de l’article 155 de la Constitution, annoncée le matin même par le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy.
A la fin du Conseil des ministres, Rajoy a détaillé les mesures que son gouvernement proposera au Sénat de voter en fin de semaine. Il s’agit d’un véritable coup d’Etat contre la démocratie en Catalogne. Rajoy veut dissoudre le parlement catalan (avant six mois, dès que la situation « sera normalisée »), démettre le président, le vice-président et les ministres du gouvernement catalan, soumettre celui-ci au contrôle de Madrid et limiter les pouvoirs du parlement catalan en attendant de nouvelles élections (le parlement ne pourra pas élire de président, ne pourra pas voter la défiance contre Madrid, et toutes ses lois seront soumises au droit de veto du Sénat espagnol).
En plus de ces mesures générales, le gouvernement espagnol aura des pouvoirs spéciaux pour contrôler la police catalane, mais aussi les finances, les télécommunications et – au nom de la « neutralité » – les médias publics catalans.
C’est un scandale absolu qui donnera au Parti Populaire (8,5 % des voix en Catalogne) un contrôle total sur le gouvernement catalan.
Plusieurs dirigeants du PP ont déclaré que lorsque des élections se tiendraient en Catalogne, les partis qui proposent l’indépendance ne seraient pas autorisés à se présenter. Si tu ne peux pas gagner des élections, élimine tes adversaires !
Les mesures proposées par Rajoy avaient été approuvées, en amont, par le PS espagnol (PSOE), Ciudadanos (centre droit) et, bien sûr, le Roi Felipe VI. Autrement dit, les mesures visant la démocratie catalane ne sont pas seulement l’initiative du gouvernement du PP ; elles constituent une réaction défensive de l’ensemble du régime de 1978.
Le procureur général de l’Etat espagnol a également prévenu le président catalan que s’il répondait à ces mesures par une déclaration d’indépendance, il serait poursuivi pour « rébellion » (passible de 30 ans de prison) et pourrait être emprisonné avant d’être jugé. La même menace vise l’ensemble des ministres et parlementaires catalans associés à une éventuelle déclaration d’indépendance.
Ces mesures ont été à juste titre dénoncées comme un coup d’Etat contre la démocratie par les partis du gouvernement catalan (PDECAT et ERC), ainsi que la CUP (indépendantiste de gauche) et les Comuns (coalition de gauche incluant Podemos). Des maires membres du PSC (le PSOE catalan) ont signé une lettre ouverte s’opposant à ces mesures ; le maire PSC de Santa Coloma a démissionné du comité fédéral du PSOE.
La brutalité des mesures annoncées soumet à rude épreuve l’alliance, au conseil municipal de Barcelone, entre la maire Ada Colau et le PSC. Par ailleurs, le PNV, un parti nationaliste bourgeois basque, qui soutient le gouvernement du PP, s’est également prononcé contre ces mesures.
La manifestation d’hier était massive. Les trains pour Barcelone étaient bondés et le trajet de la manifestation était déjà rempli de monde avant même qu’elle ne commence. L’humeur des manifestants était à la colère et à la défiance. Etaient présents un certain nombre de dirigeants politiques qui, pourtant, sont opposés à l’indépendance de la Catalogne et s’étaient prononcés contre une déclaration d’indépendance unilatérale.
A 19h30, après la manifestation, le président du parlement catalan, Carles Puidgemont, s’est exprimé par l’intermédiaire de sa porte-parole, Carme Forcadell, pour dénoncer les mesures annoncées par Rajoy et signifier que le parlement catalan ne céderait pas.
A 21h, le président catalan a fait une déclaration télévisée au cours de laquelle il a dénoncé les mesures et annoncé qu’il allait convoquer le parlement catalan pour en discuter. Cependant, il n’a ni déclaré l’indépendance, ni annoncé qu’il allait demander au parlement de le faire. Il n’a pas davantage expliqué les mesures qu’il comptait prendre pour résister aux menaces de Rajoy.
Il y a beaucoup de pression, à la base du mouvement, pour que l’indépendance soit déclarée et que soient prises des mesures de désobéissance civile massive. On évoque une nouvelle grève générale. Les Comités pour la Défense du Référendum (CDRs), qui ont mobilisé dans toute la Catalogne pour la manifestation d’hier, demandent la proclamation de la République catalane.
Cette lutte est entrée dans une semaine cruciale. Malgré son indécision, le gouvernement catalan n’a que très peu de marges de manœuvre. Dans sa dernière lettre publique à Rajoy, mardi dernier, Puidgemont a annoncé que si l’article 155 était utilisé, il serait obligé de déclarer l’indépendance.
La question est : si la République catalane est déclarée, comment peut-elle être défendue ? Il est parfaitement clair que l’Union Européenne, dans laquelle les dirigeants du PDECAT et de l’ERC placent tant d’espoir, n’interviendra jamais pour défendre les droits démocratiques des Catalans – ou de quelque manière qui puisse ébranler le statu quo.
Une République ne pourra être réalisée que par des moyens révolutionnaires. Si le gouvernement catalan et sa majorité parlementaire étaient conséquents, ils devraient déclarer l’indépendance et organiser la résistance, se barricader dans leurs bureaux et appeler le peuple à défendre les bâtiments gouvernementaux et les institutions démocratiques à travers des mobilisations de masse, la désobéissance civile et une grève générale révolutionnaire paralysant l’économie.
La CUP et les CDRs ont le devoir d’avancer cette perspective et de commencer à la construire, indépendamment de ce que fait ou ne fait pas le gouvernement catalan. Les politiciens bourgeois et petit-bourgeois ont maintes fois démontré leur indécision. Des gens tels que Mas, Santi Vila et consorts sabotent le mouvement à chacune de ses étapes. On ne doit pas attendre de voir ce qu’ils vont faire.
Les dirigeants d’Unidos Podemos ont une grave responsabilité. Leur position, ces dernières semaines, a été scandaleuse ; ils ont appelé au « dialogue » et ont renvoyé dos à dos, comme « irresponsables », les deux parties du conflit. Ils auraient dû expliquer le caractère anti-démocratique du régime instauré en 1978. Ils auraient dû organiser la lutte pour défendre les droits démocratiques du peuple catalan, en liant cela à la lutte contre l’austérité capitaliste, pour des emplois, des logements, du pain et la fin du régime de 1978.
Une opportunité révolutionnaire s’est ouverte en Catalogne. La question, c’est : est-ce qu’une direction politique saura s’élever à la hauteur de l’enjeu ?
Les marxistes soutiennent inconditionnellement le droit à l’auto-détermination du peuple catalan. Nous sommes partisans d’une République catalane socialiste, qui peut être l’étincelle provoquant un mouvement révolutionnaire dans toute l’Espagne.