« Nous sommes tous dans le même bateau » et « Ça va bien aller ». Le capitaine du Titanic n’aurait pas si bien dit au début de la croisière. Mais on sait comment le film se termine. Le bateau fait naufrage, la femme riche survit, l’homme pauvre meurt. Le même film se déroule sous nos yeux avec la pandémie, et nous en arrivons au dénouement : c’est l’hécatombe et les pauvres sont ceux qui souffrent.
À Montréal, épicentre de la crise au Canada, c’est dans les arrondissements de Montréal-Nord et Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, les plus pauvres de la ville, que la COVID-19 a le plus frappé. On retrouve aussi une majorité de cas dans l’est de la ville, généralement plus pauvre que l’ouest. Le fait qu’il y ait une grande proportion de travailleurs de la santé dans ces endroits semble expliquer la situation.
Pourtant, le riche quartier Ville Mont-Royal, qui abrite une très grande proportion de travailleurs de la santé, ne compte qu’un nombre minime de cas en dehors des CHSLD et autres milieux fermés. Mais pas besoin d’un doctorat pour comprendre ce qui se passe. Le médecin spécialiste de Mont-Royal et la préposée aux bénéficiaires de Montréal-Nord ne vivent pas la même pandémie. Une enquête récente du Journal de Montréal constatait que « plus la pandémie sort des CHSLD, plus les cas et les décès se transportent chez les personnes vivant dans de petits logements et avec de faibles revenus ».
Mais Montréal n’est qu’un exemple parmi d’autres. À Toronto, les quartiers les plus pauvres, avec les plus grands taux de chômage et la plus grande concentration de nouveaux arrivants, ont deux fois plus de cas que les autres quartiers. Au Royaume-Uni, en France, en Suède, et ailleurs, c’est similaire. Partout où le virus frappe, les inégalités sociales agissent comme un catalyseur. À New York, les quartiers à forte concentration de Noirs et Latinos sont jusqu’à 15 fois plus touchés que les quartiers à forte proportion blanche.
Le combo explosif de la pauvreté et l’inégalité raciale est devenu un cliché qu’on a trop vu. À Montréal, l’oeil de la tempête s’est arrêté à Montréal-Nord, où la moitié de la population est issue de minorités visibles. L’oppression raciale pousse bien souvent les immigrants et minorités au bas de l’échelle salariale. Ils sont préposés à l’hôpital, concierges, caissiers, livreurs. Pendant que les capitaines du navire – les PDG, banquiers et politiciens – sont confinés dans leurs grandes cabines, la classe des travailleurs, et en particulier les couches les plus pauvres, sont les matelots qu’on envoie dans la salle des machines sans équipement adéquat, et qui retournent dormir entassés dans la cale.
La pandémie fait remonter à la surface les antagonismes des classes sociales. Sous le capitalisme, les uns sont riches parce que les autres sont pauvres. Les uns font des profits parce que les autres n’ont d’autre choix que de se vendre pour survivre. Et en temps de crise, les uns s’en sortent, parce que les autres écopent. Dans le cas de la richissime minorité, ce serait un euphémisme de dire qu’elle s’en sort bien. En fait, entre la mi-mars et la mi-mai, les capitaines d’Amazon, Facebook, Microsoft et autres milliardaires américains ont vu leur fortune combinée grimper de 434 milliards de dollars américains (une augmentation de 15%). Pandémie ou pas, les plus riches s’enrichissent, les pauvres s’appauvrissent. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
En fait, dans un système fondé sur l’inégalité, même la santé est un enjeu de classe. Alimentation, conditions de logement, accès à l’éducation : la pauvreté et les inégalités créent un cocktail de facteurs de risque. Les données atroces sur les problèmes de santé des autochtones sont bien connues. Si plus de 50 réserves autochtones au pays n’ont toujours pas d’eau potable, il n’est pas difficile de comprendre que les maladies et problèmes sanitaires y trouvent leur niche. En outre, partout au pays, on observe une inégalité en santé en fonction des revenus. En moyenne, les Canadiens les plus pauvres vivent en bonne santé 11 années de moins que les plus riches, et sont, entre autres, deux fois plus atteints par le diabète. Les régions les plus défavorisées au pays connaissent de plus hauts taux de mortalité infantile et de suicide que les régions plus favorisées. Les régions les plus pauvres étaient donc déjà plus vulnérables quand la Covid-19 a frappé.
Mais le film n’est pas terminé. La crise sanitaire fait place à la crise économique. Déjà, à la fin d’avril, l’Organisation internationale du travail affirmait que 1,6 milliard de travailleurs dans le monde – principalement des travailleurs clandestins, des immigrants et des femmes – sont en danger immédiat de perdre tout moyen de subsistance. C’est presque la moitié de la main-d’oeuvre mondiale.
Au moment où nous nous apprêtons à entrer dans la plus grande crise qu’aura connu le capitalisme, la catastrophe se dessine. Si les choses ne changent pas radicalement, le navire heurtera l’iceberg. Le cas échéant, qui seront les premiers à être jetés à l’eau, sans gilet de sauvetage? Les premiers à perdre leur revenu, leur logement, leur retraite? Ce sera la classe ouvrière, à commencer par ses couches les plus opprimées, pendant que les Bezos et Zuckerberg de ce monde fuiront dans leurs canots de sauvetage privés, loin de la noyade des travailleurs.
Mais est-ce vraiment comme cela que doit se terminer le film? Comme un remake du naufrage du Titanic? Pas si on décide de changer radicalement la trajectoire du bateau. Nous pouvons réécrire la fin du scénario. Le cinéma comme l’histoire ont déjà produit des récits plus inspirants. Si nous choisissons de rester en mer, pourquoi ne pas puiser dans l’histoire du Cuirassé Potemkine. Plus que jamais, les temps sont venus pour les matelots de se retourner contre les capitaines, de prendre contrôle du navire et de changer l’itinéraire.
Et vers quelle direction aller? Vers une société où l’inégalité, l’exploitation et l’impératif du profit ne sont plus principes, et où la vie et la santé humaine passent avant tout. À bâbord, vers le socialisme.