La Banque du Canada a augmenté son taux directeur deux mois de suite en juin et juillet, après avoir interrompu les hausses au début de l’année. Ces hausses risquent d’acculer les travailleurs à la faillite et de déclencher une douloureuse récession.
La classe ouvrière est coincée entre une inflation qui érode ses salaires réels et des taux d’intérêt plus élevés qui aggravent son endettement et entraînent des pertes d’emploi. C’est là le résultat d’un système malade qui doit être renversé.
« All-in »
Après un relâchement des hausses de taux de mars à mai, la Banque du Canada a fait passer son taux directeur de 4,5 à 5%, soit le taux le plus élevé depuis 2001.
Si l’inflation a baissé par rapport au pic de 8,1% atteint l’été dernier, elle se tient maintenant à 3,4%, soit à un niveau supérieur à l’objectif de la Banque de 2%. La Banque du Canada et les capitalistes qu’elle sert mettent donc tout en œuvre pour tenter de la faire baisser davantage.
Tiff Macklem, directeur de la Banque du Canada, a parlé d’une décision « difficile ». Mais dans l’ensemble, « le coût d’agir plus tard était plus important que le bénéfice d’attendre ». Ils savent que cela va causer des souffrances aux travailleurs, mais que peut-on y faire? Les faillites et les pertes d’emploi sont un prix qu’ils sont prêts à payer.
Plus de 100 184 Canadiens ont déposé une demande d’insolvabilité en 2022, soit une augmentation de 11,2%. L’année 2022 a également vu la plus forte augmentation annuelle de l’insolvabilité des entreprises depuis près de 30 ans. L’endettement total des ménages a également augmenté pour atteindre 1,85 dollar pour chaque dollar de revenu disponible des ménages et le ratio du service de la dette des ménages canadiens devrait atteindre des « niveaux records » d’ici la fin de l’année. Une enquête réalisée en février, lorsque les taux étaient inférieurs de 0,5%, a révélé que près d’un propriétaire sur quatre pensait devoir vendre sa maison si les taux d’intérêt continuaient d’augmenter.
Mais pour les capitalistes, ce n’est pas suffisant. Non seulement les travailleurs doivent souffrir à cause de l’augmentation de leurs versements hypothécaires et de ceux de leur voiture, mais ils doivent aussi souffrir de l’austérité.
Par exemple, l’ancien conseiller économique du premier ministre Justin Trudeau, Theo Argitis, a affirmé dans le Globe and Mail : « Les libéraux ont fait preuve de déférence à l’égard du gouverneur Tiff Macklem en matière de politique monétaire, mais ils l’ont également laissé se débrouiller seul, choisissant de ne pas utiliser d’autres leviers politiques dans la lutte contre l’inflation. Une plus grande discipline en matière de dépenses, par exemple, atténuerait la pression exercée sur la Banque du Canada pour qu’elle augmente les taux d’intérêt. »
En d’autres termes, le gouvernement libéral doit faire sa part en arrêtant les dépenses déficitaires et en se tournant vers l’austérité.
Ces personnes savent que leurs politiques feront souffrir les travailleurs. Dans quel type de société les problèmes économiques sont-ils résolus en faisant perdre leur emploi et en faisant faire faillite aux gens? Sous le capitalisme, les faillites et les pertes d’emploi ne sont que de froides statistiques.
Aucune solution
Mais au sein de la classe dirigeante, d’autres en arrivent à la conclusion que les dommages collatéraux qui résulteront d’un nouveau resserrement pourraient être trop importants.
Andrew Grantham, économiste à la CIBC, a qualifié la dernière hausse de taux de la Banque du Canada ainsi : « au mieux inutile, et au pire une erreur ».
L’économiste en chef du Conference Board du Canada, Pedro Antunes, a lancé un avertissement similaire si les hausses de taux se poursuivent : « Nous n’aurons pratiquement pas de croissance du PIB au cours des trois prochains trimestres. […] Dans ce scénario, nous assisterions à environ 163 000 pertes d’emplois, du pic au creux, y compris celles que nous avons subies au cours des derniers mois. »
Dans un article intitulé « La Banque du Canada pourrait regretter sa récente hausse des taux d’intérêt », l’économiste David Rosenberg a déclaré qu’une nouvelle hausse des taux serait « le clou dans le cercueil qui enterrera l’économie canadienne lourdement endettée ».
Bien que ces « experts » aient raison de souligner les dangers d’un tel resserrement monétaire, ils n’ont rien d’autre à proposer.
La réalité est que les capitalistes ne peuvent pas résoudre leur crise. Pour eux, le problème d’une inflation élevée, d’un point de vue économique, est qu’elle déstabilise le système des prix, y compris les prix des principaux « intrants » de production comme les matières premières; d’un point de vue politique, ils ne l’aiment pas parce qu’elle provoque des turbulences sociales.
Mais l’augmentation des taux d’intérêt, bien qu’elle ait permis de réduire l’inflation dans une certaine mesure, est un outil unilatéral, qui n’affecte que la masse monétaire. Les hausses peuvent ralentir le flux d’argent et de crédit au niveau national, mais elles ne peuvent pas augmenter l’offre de biens au niveau national ou mondial et prévenir les chocs dramatiques, en particulier pour le pétrole, le blé et d’autres produits clés. La hausse des taux d’intérêt ne résoudra pas les problèmes des chaînes d’approvisionnement, n’augmentera pas la productivité du travail, n’empêchera pas la montée du protectionnisme et son impact sur les prix, et n’arrêtera pas les événements qui alimentent l’inflation, comme la guerre en Ukraine. L’inflation est un phénomène multifactoriel que les capitalistes sont largement incapables de comprendre ou de contrôler.
Jouer les équilibristes
Les capitalistes tentent de réduire l’inflation tout en espérant que la récession ne sera pas trop grave. Mais dans ce délicat exercice d’équilibre, ils pourraient bien se retrouver avec le pire des deux mondes, c’est-à-dire une inflation persistante et une récession – la stagflation.
Certains signes indiquent déjà un ralentissement. Les propres prévisions de la Banque du Canada tablent sur un ralentissement substantiel de la croissance au cours des deux prochaines années. Bien que l’on parle de « surchauffe » de l’économie canadienne, le taux d’activité (une mesure plus précise de l’emploi) et le taux d’utilisation des capacités étaient tous deux largement inférieurs à leurs moyennes historiques avant la hausse des taux.
Selon le Financial Post, l’industrie manufacturière, la construction résidentielle, l’immobilier, les services financiers, le commerce de détail et le commerce de gros sont passés d’une croissance annuelle positive de 1% il y a un an à une croissance négative de 1,5% actuellement.
De plus, le chômage a augmenté, l’embauche a ralenti, la « capacité excédentaire » s’est accrue et les dépenses d’investissement, déjà proches de leur niveau historiquement le plus bas, devraient encore diminuer. Après la récession attendue cette année, l’avenir, selon le Toronto Star, sera probablement marqué par « une faible croissance de la productivité et une stagnation des salaires réels ».
Pendant le boom de l’après-guerre, comme on l’a vu dans toutes les puissances impérialistes, le taux d’intérêt de la Banque du Canada a occasionnellement dépassé les 4%. Mais en parallèle, nous avions des bénéfices plus réguliers, une augmentation des exportations, un accroissement de la capacité de production et un taux de chômage comparativement faible. Mais cette période d’essor durable est révolue depuis longtemps. Le Canada vient de connaître sa pire décennie depuis les années 1930 en termes de croissance du PIB par habitant.
Ce n’est pas notre rôle de prédire exactement ce que fera la Banque du Canada ou quand surviendra une récession. Mais quoi qu’il arrive, les patrons ne perdent jamais sous le capitalisme. Et ce sont les travailleurs qui paient pour la crise – avec l’inflation, les chocs des taux d’intérêt et, bientôt, le chômage. Tel est l’avenir que les capitalistes nous réservent.
Nous ne paierons pas pour la crise des patrons
On nous dit souvent que nous vivons dans une démocratie. Mais dans quel type de démocratie la vie de millions de travailleurs dépend-elle de la conférence de presse du directeur non élu d’une banque? Nous vivons dans une société où la majorité des travailleurs est totalement soumise aux diktats et aux décisions prises à huis clos par une poignée de banquiers.
Sur la gauche, certains appellent à l’arrêt des hausses, mais s’en tiennent à cela. Le magazine réformiste de gauche Jacobin, par exemple, affirme que si nous expliquons « l’inefficacité des hausses de taux d’intérêt » et demandons « aux décideurs politiques de reconnaître ouvertement cette réalité », nous pourrions « progresser vers l’alignement des politiques sur les défis urgents auxquels nous sommes confrontés et vers la mise en œuvre de changements qui servent les intérêts de la majorité des travailleurs ». Et comment diable convaincre les banquiers de se préoccuper des intérêts de la « majorité des travailleurs »? Mystère. Si les hausses de taux d’intérêt appauvrissent effectivement les travailleurs et menacent d’entraîner une récession, il ne suffit pas de demander un retour au statu quo, c’est-à-dire à une inflation galopante. Il n’y a pas de solution sous le capitalisme, et notre tâche n’est pas de recommander un poison ou un autre.
La seule solution à la crise du capitalisme est une révolution socialiste. Au lieu d’attendre anxieusement qu’un directeur de banque décide de nos vies, la classe ouvrière doit s’emparer des richesses de la société. En nationalisant les banques et les autres grands leviers de l’économie sous le contrôle démocratique des travailleurs, la classe ouvrière peut planifier l’économie et satisfaire les besoins de chacun. De cette façon, nous pourrons mettre fin à la folie de la hausse des prix, des logements inabordables, de la pauvreté, de la faim et du chômage. Voilà un monde pour lequel il vaut la peine de se battre.