Poussées à bout par la pandémie, les infirmières quittent la profession en masse. Beaucoup d’autres réduisent leurs heures de travail. Cela a conduit à des pénuries dramatiques d’infirmières dans de nombreux hôpitaux. Les infirmières et les médecins tirent la sonnette d’alarme face à cet « exode massif ».
Des hôpitaux ont dû fermer des lits, retarder la réouverture complète de leurs salles d’opération et même fermer temporairement leurs services d’urgence. Le nombre de postes d’infirmières non pourvus a augmenté de 40% depuis le début de la pandémie. Le Québec a perdu 4000 infirmières en 2020, avec des coupes de 50% dans les équipes de soins infirmiers. L’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario prédit que 15,6% des infirmières quitteront la profession d’ici un an, alors que le taux de départ habituel est de 4,8%. Un médecin de Winnipeg témoigne de la gravité de la situation : « Le moral et les effectifs n’ont jamais été aussi bas. Nous considérons la situation comme critique, insoutenable et nécessitant une action immédiate. »
Compte tenu de la charge de travail et du stress auxquels les infirmières sont confrontées, il est facile de comprendre pourquoi elles partent. Avant la pandémie, le personnel infirmier était déjà surchargé de travail, avec une moyenne de plus de six heures de temps supplémentaire par semaine. Ce chiffre a grimpé à plus de 10 heures par semaine en mai 2020 à l’échelle du Canada. Au Québec, les heures supplémentaires des infirmières atteignaient le chiffre stupéfiant de 16,9 heures en moyenne. Cela reflète la pression que subit le système de santé, surtout avec les politiciens capitalistes qui permettent à la COVID-19 de se répandre. En raison de ces pressions, une majorité d’infirmières disent subir des niveaux élevés de stress.
La surcharge de travail en temps de pandémie s’accompagne d’autres dangers pour la santé des infirmières. Les dangers physiques vont des blessures au dos aux contusions du visage, en passant par l’infection et la mort. La charge mentale est d’autant plus lourde que, lors des désastreuses première, deuxième et troisième vagues de la pandémie, les infirmières n’ont même pas pu voir leurs proches pour se ressourcer. Il n’est pas surprenant qu’une infirmière ait déclaré que de nombreuses infirmières sont « dans un état constant d’épuisement professionnel ».
Le stress et les blessures sont particulièrement graves chez les infirmières en soins intensifs et en soins de longue durée. L’Association des infirmières et infirmiers du Canada a décrit des scènes où des infirmières en soins intensifs « pleurent dans les couloirs et les salles de pause tout au long de leur quart de travail après avoir été témoins de souffrances humaines indescriptibles ». Dans les unités de soins intensifs, les infirmières s’occupent des patients COVID-19 les plus gravement malades, les regardant mourir tragiquement en s’étouffant, souvent seuls.
Les infirmières en soins de longue durée ont vu des horreurs similaires. Dans le secteur des soins de longue durée, non seulement des milliers de personnes sont mortes, mais les conditions dans les maisons de soins privées sont si mauvaises que les résidents meurent même de déshydratation.
Le cauchemar des unités de soins intensifs, submergées de patients atteints de COVID-19, a été aggravé par la négligence effarante des gouvernements capitalistes, qui se sont empressés de rouvrir l’économie dans leur hâte de continuer à faire des profits. Cela a poussé les unités de soins intensifs à un point de rupture. De nombreux patients COVID-19 en soins intensifs nécessitent plus d’une infirmière. Or, dans de nombreux endroits où les unités de soins intensifs manquent de personnel, une seule infirmière doit s’occuper de plusieurs patients dans l’unité de soins intensifs. C’est une énorme source de stress pour les infirmières débordées, incapables de donner à ces patients les soins dont ils ont besoin. Lynnsie Gough, une infirmière en soins intensifs de l’Ontario qui a quitté son emploi, a décrit sa charge de travail comme étant deux à trois fois supérieure à la normale.
Toutes ces horreurs ont un impact mental incalculable sur les infirmières. Certaines infirmières se sont même enlevé la vie. « J’avais des crises d’angoisse où je me sentais ou étais physiquement malade », témoigne Gough. « J’avais l’impression de partir à la guerre ou en prison chaque jour en allant travailler. »
Pourtant, au lieu de réduire la charge de travail du personnel infirmier en embauchant et en formant davantage d’infirmières, la politique des gouvernements a été de retourner le couteau dans la plaie. C’est au Québec que la gravité des conditions est la plus flagrante. Le parallèle que fait Lynnsie Gough avec les conditions carcérales décrit particulièrement bien la situation des infirmières du Québec, qui subissent des niveaux stratosphériques de temps supplémentaire obligatoire. Le gouvernement a également annulé les vacances des infirmières et a obligé le personnel à temps partiel à travailler à temps plein.
Cela oblige davantage d’infirmières à démissionner pour leur propre survie. Celles qui restent sont alors soumises à encore plus d’heures supplémentaires obligatoires, dans un véritable cercle vicieux. Mais cela n’est pas nouveau, les infirmières québécoises ayant fait la grève des heures supplémentaires obligatoires en avril 2019. À l’époque, un représentant syndical avait déclaré : « Une journée où elles ne risquent pas d’être prises en otage : voilà l’objectif. » Malheureusement, les choses n’ont fait qu’empirer.
Au Québec, les négociations collectives entre les infirmières et le gouvernement viennent à peine de se terminer. Elles étaient tellement dégoûtées qu’elles ont accepté avec une faible majorité (54%) l’offre du gouvernement d’une augmentation salariale de 6%. Cet accord ne représentait qu’une légère augmentation par rapport à l’offre précédente de 5% sur trois ans que Denyse Joseph, vice-présidente de la FIQ, avait qualifié d’« insulte ». Pour couronner le tout, Legault a même déclaré qu’il était « déçu » que les infirmières aient manifesté contre son offre initiale. Cela n’aide en rien le fait que les infirmières du Québec sont parmi les moins bien payées du pays et que leurs salaires ont été mangés par l’inflation année après année.
En Ontario, le gouvernement de Doug Ford est allé encore plus loin que Legault en plafonnant les augmentations salariales du secteur public à 1%, soit à un niveau inférieur à l’inflation. Comme l’a dit une infirmière, il s’agit d’une « gifle » pour les infirmières qui « travaillent deux fois plus fort, plus longtemps et dans des conditions insupportables dans certains cas ». Cette gifle a été suivie de ce qu’une infirmière de l’Alberta a appelé un « coup de pied au ventre » lorsque le gouvernement albertain a exigé que les infirmières acceptent une réduction de salaire de 3%.
Ford avait qualifié les infirmières de « héros » au début de la pandémie, et Legault les avait appelées des « anges gardiens ». Ces déclarations ne sont devenues que des blagues de mauvais goût pour les infirmières. Une infirmière anonyme a déclaré : « On nous acclame comme des héros, mais en ce moment, je me sens juste comme un outil surutilisé. Si vous comparez les infirmières aux soldats, nous sommes comme des fantassins envoyés au combat tous les jours avec des rations minimales, aucun répit, des effectifs en baisse et un message constant dans les médias selon lequel nous « perdons la bataille ». »
Le traitement dégoûtant des infirmières par les gouvernements, leur mauvaise gestion de la pandémie, combinés à des décennies d’austérité, voilà la formule qui a conduit à l’exode actuel dans le secteur de la santé. Aujourd’hui, les travailleurs ordinaires de tout le pays sont confrontés à un avenir où les soins de santé seront bien pires. Les pénuries ont forcé certains hôpitaux à transférer des patients gravement malades vers d’autres hôpitaux, malgré le risque qu’ils souffrent de complications à cause de ce transport. Les patients du Québec peuvent s’attendre à subir des interventions chirurgicales dans des salles d’opération où les infirmières ont été remplacées par des diplômés du secondaire formés à la hâte. Dans tout le pays, les gens doivent parcourir de longues distances pour recevoir des soins d’urgence en raison de la fermeture des salles d’urgence de leurs hôpitaux locaux. Des infirmières surchargées de travail, aussi talentueuses soient-elles, commettront immanquablement des erreurs qui auraient pu être évitées. Le départ d’infirmières expérimentées signifie que les patients peuvent s’attendre à être soignés par des infirmières moins expérimentées, qui ont moins été formées par des collègues expérimentées.
La privatisation est une autre menace imminente. Les infirmières qui quittent le secteur public au Québec sont souvent embauchées par des entreprises privées qui offrent de meilleurs salaires et des horaires plus flexibles. Le gouvernement les sous-traite alors souvent pour combler les trous laissés par la pénurie – payant ainsi le secteur privé pour les mêmes infirmières. En Alberta, le gouvernement se prépare également à privatiser certains services et cherche à sous-traiter certaines chirurgies, comme les remplacements de hanches.
Pire encore, aucune fin n’est en vue pour la pénurie d’infirmières. Malgré les vaccins, la pandémie n’est pas terminée. Les gens non vaccinés tomberont encore malades et auront besoin de soins. Et les infirmières seront bientôt mises à contribution pour rattraper le retard catastrophique du Canada en matière de chirurgie. C’est pourquoi les infirmières préviennent que des mesures doivent être prises.
Des provinces comme l’Ontario, le Québec et la Nouvelle-Écosse tentent d’embaucher des infirmières, principalement pour remplacer celles qui partent, mais elles n’arrivent pas à endiguer la vague. En janvier, près d’un emploi vacant sur cinq au Canada concernait un poste d’infirmière. Avec des conditions aussi mauvaises, cela n’est pas surprenant. John MacLean, du NSGEU, le plus grand syndicat des soins de santé de la Nouvelle-Écosse, explique qu’ils ne parviennent pas à recruter, « parce que les gens disent : « Ça ne vaut pas la peine pour moi d’aller là-bas.” […] Pour que les gens viennent, il faut les attirer. Vous affichez des postes, mais les gens ne viennent pas. Donc, ce que vous devez faire, c’est commencer par leur verser un salaire différent. »
Comme le dit MacLean, ce qu’il faut pour résoudre cette crise est simple : améliorer les conditions de travail en embauchant et en formant davantage d’infirmières. Les gens veulent devenir infirmiers. Beaucoup d’infirmières aiment leur travail. Ce qui manque, ce sont les ressources pour les former et les garder. Il faut augmenter les salaires de toutes les infirmières pour attirer à nouveau les infirmières expérimentées. Investir massivement dans les infrastructures de soins de santé afin que les infirmières disposent des meilleurs équipements pour dispenser les meilleurs soins. Les gouvernements refusent de faire cela, c’est pourquoi ils ne peuvent pas embaucher d’infirmières. Comme le dit Natalie Stake-Doucet, présidente de l’Association québécoise des infirmières et infirmiers, l’expression « pénurie d’infirmières » est trompeuse : « C’est un peu ridicule de dire « Oh, j’ai une pénurie d’eau » alors que vous avez un trou géant et béant dans votre baignoire. »
Autrement dit, les gouvernements ne sont absolument pas disposés à faire ce qu’il faut pour arrêter l’exode des infirmières. Au contraire, ils l’ont aggravé par leurs offres insultantes aux infirmières et leur refus de faire le nécessaire pour améliorer les conditions de travail. Ils se plaignent qu’ils ont les mains liées, qu’il n’y a pas d’argent pour des augmentations de salaire et de meilleures conditions. Ils disent que les infirmières doivent être raisonnables et accepter des conditions conformes à la situation financière de leur province.
C’est un mensonge. L’argent existe, mais il est réservé aux capitalistes. Les premiers ministres provinciaux comme Ford et Legault aiment nous rappeler que quelqu’un doit payer pour la crise économique – et ce ne sont certainement pas les capitalistes qui le feront. C’est pourquoi les gouvernements capitalistes refusent d’agir pour sauver le système de santé. Leur devise depuis le début de la pandémie est que la richesse passe avant la santé. Ils savent parfaitement que leurs politiques vont tuer des gens ordinaires. Ils s’en moquent tout simplement.
Les infirmières ont déjà commencé à envisager sérieusement la grève. En Alberta, les infirmières sont tellement épuisées et en colère que certaines sont prêtes à faire grève, même si c’est illégal. Au Québec, il y a déjà eu des grèves des soins de santé de plus de 60 000 travailleurs. Cette énergie doit être concentrée dans une lutte généralisée. Les syndicats du secteur de la santé doivent mobiliser tous leurs membres pour lutter pour de meilleures conditions de travail, et être prêts à défier les lois injustes de retour au travail. Une mobilisation générale et déterminée est la clé du succès.
Il existe également un potentiel important d’actions de solidarité. L’opinion publique est très majoritairement du côté des travailleurs de la santé. La qualité des services de santé publics est indissociable des conditions de travail des infirmières. Une défaite des infirmières serait donc une défaite pour toute la classe ouvrière. Le mouvement syndical dans son ensemble doit se mobiliser en solidarité. Lorsque les syndicats du secteur de la santé passent à l’action, les syndicats des autres secteurs doivent se mobiliser pour défendre leurs piquets de grève et être prêts à lancer des grèves de solidarité.
La lutte pour l’amélioration des salaires et des conditions de travail des infirmières est directement liée à la préservation et à l’amélioration de l’état du système de santé. Le système capitaliste dans son ensemble n’a pas réussi à apporter une solution adéquate à la pandémie de COVID-19 parce que la recherche du profit l’emporte sur les besoins de la population et des travailleurs. Des décennies d’austérité et la détérioration du système de santé qui en a résulté ont joué un rôle majeur dans la réponse inadéquate à la pandémie. Les infirmières et les autres travailleurs de la santé ont effectivement joué un rôle héroïque pendant la pandémie, alors qu’ils étaient sous-payés et en manque de personnel.
La pandémie a révélé au grand jour la pourriture de la société capitaliste. Le système de santé au Canada a été étiré au-delà du point de rupture. L’exode des infirmières en est la preuve. Maintenant, avec les déficits budgétaires et les dettes qui explosent, les capitalistes veulent faire payer la crise à la classe ouvrière. Il semble absurde que les gouvernements capitalistes s’attaquent au système de santé et aux travailleurs tels que les infirmières alors que la pandémie est toujours présente. Mais cela répond à la logique du capitalisme, qui fait primer les profits privés sur les besoins des personnes et de la société. Les plans d’austérité des différentes provinces ne font que menacer davantage un système déjà ravagé par la pandémie et au bord du gouffre. Les attaques contre les salaires et les conditions de travail des infirmières ne feront qu’empirer les choses. La qualité des soins de santé en souffrira et nous serons moins bien préparés à faire face aux futures vagues de pandémie.
Les travailleurs de la santé sont en première ligne de cette bataille. Les gouvernements ont déjà commencé à se préparer à une lutte avec les travailleurs de la santé. Les syndicats doivent eux aussi se préparer. Avec le soutien d’un mouvement de solidarité uni, une grève des soins de santé ferait des craintes les plus sombres des capitalistes et de leurs gouvernements une réalité. La lutte des travailleurs de la santé ne concerne pas seulement les salaires et les conditions de travail. C’est la lutte contre l’austérité et contre la réponse criminelle des gouvernements à la pandémie. C’est la lutte pour que ce soient les patrons et non les travailleurs qui paient pour la crise, et c’est la lutte pour un changement fondamental de la société, c’est la lutte pour que la santé des gens passe avant les profits de quelques-uns.