Le dimanche 7 août, des dizaines de milliers de personnes étaient attendues au défilé annuel de Fierté Montréal, le plus grand rassemblement LGBTQ dans le monde francophone. Cependant, cette année, l’événement a été annulé brusquement par les organisateurs quelques heures seulement avant l’heure prévue, en raison d’un manque de personnel de sécurité. Ce faux pas expose le gouffre qui existe entre les intérêts des entreprises et la lutte vivante des personnes LGBTQ.
Malgré l’annulation soudaine et la chaleur accablante, des milliers de personnes sont tout de même descendues dans la rue lors de plusieurs manifestations spontanées en faveur des droits LGBTQ. Alors que la musique, les pancartes et les slogans radicaux envahissaient le centre-ville de Montréal, l’ambiance était un mélange de colère, de célébration et de défi. Les manifestants ont démontré qu’ils n’avaient pas besoin de la permission des entreprises pour montrer leur fierté et leur combativité.
La banqueroute du capitalisme arc-en-ciel
Le défilé est censé être l’événement principal de la semaine du festival Fierté Montréal. Alors comment Fierté Montréal, une entreprise disposant d’un budget de plus de 5 millions de dollars pour son festival, a-t-elle pu se rendre compte de ce « manque de personnel » à la dernière minute? Le directeur général Simon Gamache a admis que quelqu’un au sein de l’organisation avait oublié d’engager une centaine d’agents d’accueil rémunérés pour assurer la sécurité le long du parcours. Si l’on considère que les autres événements de la Fierté n’ont pas souffert de cette négligence apparente, il est clair que les organisateurs de Fierté Montréal ne considèrent pas la marche, l’un des seuls événements de la Fierté un tant soit peu politique, comme une priorité.
Pour beaucoup, ce n’est pas une surprise. Aux mains des entreprises, la Fierté, qui était à l’origine un mouvement radical contre le système, s’est transformée en grande partie en une campagne de marketing dépolitisée valant plusieurs millions de dollars. Il n’est donc peut-être pas si choquant que peu de gens soient désireux de se porter volontaires pour organiser un défilé destiné à l’autopromotion de quelques politiciens, banquiers et entreprises. Le seul fait que nous ayons apparemment besoin d’une centaine d’« agents d’accueil » payés pour « assurer la sécurité » pendant que nous défilons pour nos droits montre que la Fierté n’est plus que l’ombre d’elle-même.
La Fierté a commencé par une émeute contre la répression policière. Il n’était certainement pas « sécuritaire » de participer à la première marche de la fierté en 1970 à New York, le jour du premier anniversaire des émeutes de Stonewall. Les masses se sont levées et ont lutté pour leurs propres droits, résistant aux attaques de la police, de la droite et des médias. Ces attaques sont loin d’appartenir au passé; le récent barrage de projets de loi anti-LGBTQ aux États-Unis montre que même les protections légales dont nous disposons ne sont pas garanties. Sous le capitalisme, les personnes opprimées ne sont jamais « en sécurité », où que ce soit, mais cela ne doit pas nous empêcher de nous battre. Les milliers de personnes qui ont défilé dimanche prouvent à quel point la prémisse est ridicule, à savoir que nous avons besoin d’employés rémunérés pour pouvoir défiler dans les rues pour nos droits!
Fierté Montréal prétend représenter la communauté LGBTQ, mais est dirigée par un conseil d’administration composé de membres « du milieu des affaires, des événements spéciaux et du tourisme ». La vérité est que la Fierté est gérée comme n’importe quelle autre entreprise – par des hommes d’affaires non élus et non responsables dont les intérêts résident dans l’avancement de leur propre carrière et les profits de leurs entreprises partenaires. Le capitalisme arc-en-ciel est la preuve que si les capitalistes ne peuvent pas tuer un mouvement, ils le coopteront et l’orienteront vers des canaux sûrs, c’est-à-dire sûrs pour le système capitaliste. L’annulation du défilé n’est que l’exemple le plus récent de cette différenciation de classe entre capitalistes et travailleurs qui existe aussi au sein de la communauté LGBTQ.
« Fuck la parade, nous on marche! »
Après l’annulation de la parade, plusieurs manifestations ont été organisées spontanément par des membres de la communauté et des militants, auxquelles ont participé des milliers de personnes.
Une manifestation, organisée par le militant Salem Billard, a eu lieu à la Place Émilie-Gamelin pour protester contre l’annulation, à laquelle un contingent de militants de la Riposte socialiste a participé. Billard a déclaré à la CBC : « Nous voulons reprendre [la Fierté] comme notre maison et non comme un festival corporatif. » En effet, de nombreux manifestants étaient des jeunes LGBTQ, déjà critiques de la commercialisation de la Fierté, prêts à lutter contre le capitalisme et réceptifs aux idées socialistes.
Alors que nous défilions sur la rue Sainte-Catherine, rejoints par des centaines de passants, on pouvait entendre des manifestants crier « Corporate pride has got to go! » et « Fuck la parade, nous on marche! ». Les policiers qui escortaient les marcheurs ont été accueillis avec animosité et des chants de « Pas d’police à la Fierté! Ils sont pas de notre côté! » Endurant la chaleur, la foule s’est étendue sur plusieurs pâtés de maisons, se séparant au Parc Devonshire pour finalement se dissiper à la Place-des-Arts.
Pendant ce temps, une autre manifestation a eu lieu au square Dorchester, qui devait être le point de départ du défilé. Une foule de centaines de personnes a été menée par Afro Pride, un groupe de défense de la communauté LGBTQ afro-caribéenne, jusqu’au Stade olympique.
Finalement, la Marche des fiertés a eu lieu à Montréal, sans permission officielle et sans char allégorique d’entreprise. Comme l’a fait remarquer une manifestante, ce qui importe à la Fierté « ce n’est pas les festivités organisées par la municipalité. C’est nous. Sans nous, il n’y aurait pas de Fierté ». C’est ce que prouvent ces manifestations spontanées, ainsi que la Marche trans, un événement indépendant organisé par la militante Céleste Trianon et des bénévoles, qui a attiré des centaines de personnes le samedi 6 août, afin de manifester pour les droits civils et l’amélioration des soins de santé et des services sociaux pour les personnes trans, entre autres revendications.
Nous ne pouvons pas compter sur les capitalistes et leur police pour assurer notre « sécurité » pendant la Fierté. La communauté et le mouvement syndical doivent le faire eux-mêmes!
Faisons revivre nos traditions de lutte!
La lutte pour la libération LGBTQ est intrinsèquement liée à la lutte pour le socialisme. Nous devons rompre de manière décisive avec le capitalisme et ses apologistes et revenir aux traditions radicales de notre mouvement, à l’époque où le Gay Liberation Front proclamait :
« La libération sexuelle complète pour tous ne peut être atteinte que si les institutions sociales existantes sont abolies […] Nous nous identifions avec tous les opprimés : la lutte vietnamienne, le tiers-monde, les Noirs, les travailleurs… tous ceux qui sont opprimés par cette conspiration capitaliste pourrie, sale, vile. »
La crise du capitalisme a toujours frappé plus durement les minorités opprimées, qui sont confrontées à des obstacles plus importants en matière d’emploi, de logement et de services sociaux. La crise actuelle ne fait qu’aggraver ces conditions et nous devons être prêts à nous défendre contre les attaques futures. Une lutte unie des travailleurs et de tous les groupes opprimés est la seule façon de gagner contre ce système sénile et ses institutions en décomposition.