Des millions de travailleurs-euses et de jeunes cherchent une manière de renverser les conservateurs de Harper. Après près de 10 ans au pouvoir, ceux-ci sont grugés par la corruption, le secret et un esprit vindicatif, sans compter qu’ils doivent maintenant compter avec la nouvelle récession. La question qui se pose est : comment se débarrasser de ce gouvernement capitaliste?

Il est difficile de faire une liste de toutes les raisons qui motivent à défaire les conservateurs. Ils sont présentement embourbés dans le scandale des dépenses au Sénat, ce qui leur fait perdre des appuis de jour en jour. Cependant, il y a tellement d’autres raisons de s’opposer à ce gouvernement. Sous le régime des conservateurs, le droit de grève des employé-e-s du secteur public fédéral a été effectivement éradiqué. Les cheminots, les dockers, les travailleurs-euses du secteur aérien et de la poste ont tous et toutes fait face à des lois spéciales de retour au travail ou à la violation de leurs droits – parfois avant même qu’une grève ait commencé. Ils ont persécuté les immigrant-e-s avec des lois sur la citoyenneté à deux vitesses. Ils ont promulgué une loi «anti-terroriste» qui vise les Premières Nations, les environnementalistes et les syndicalistes. Ils ont attaqué les salaires, les avantages sociaux et les services sociaux pour les moins nantis afin de financer des baisses d’impôt et des renflouages pour les riches et les entreprises. En retour, les inégalités ont massivement augmenté sous leur gouverne. Les services publics ont été coupés pour les aînés et les vétérans et – significativement – la distribution du courrier à domicile est en train de disparaître. Ils ont envoyé l’armée s’ingérer dans les conflits au Moyen-Orient pour raffermir l’impérialisme canadien au détriment des travailleurs-euses et des pauvres ici comme à l’étranger. Leur politique étrangère belliqueuse en a fait les supporters les plus fervents des crimes de la classe dirigeante israélienne et du régime ukrainien supporté par les fascistes. Pour couronner le tout, plutôt que de mettre un frein à leurs pratiques de suppression des votes (comme nous l’avons vu avec le scandale du «robocall» lors de l’élection de 2011), ils vont plus loin dans leur tentative d’arranger les élections avec leur Loi sur l’intégrité des élections. Ce gouvernement doit partir!

Harper tente de gagner ces élections en effrayant l’électorat avec l’épouvantail terroriste et en dépensant l’argent de ses amis des entreprises. Il a manipulé les règles pour prolonger la campagne électorale afin d’épuiser financièrement ses adversaires. Ironiquement, une telle tactique pourrait se retourner contre les conservateurs puisqu’une longue campagne donne le temps aux électeurs de se rendre compte des mensonges et des déformations de la machine offensive conservatrice.

N’importe qui sauf les conservateurs?

Quelle est l’alternative? Certains groupes ont décrit en détail les (très réels) crimes des conservateurs et ont proposé la stratégie «ABC» (Anybody But Conservative : N’importe qui sauf les Conservateurs). Des groupes de gauche tels Leadnow et Voteswap.ca sont malheureusement suivis par des dirigeants syndicaux qui disent des choses telles « nous ne dirons pas aux gens comment voter, seulement de ne pas voter conservateur ». Il s’agit là d’une stratégie intrinsèquement erronée, qui en pratique mène à un vote pour les libéraux. Les libéraux, fondamentalement, ne sont pas différents des conservateurs. Ils sont le parti préféré des entreprises, ayant dirigé plus longtemps que n’importe quel autre parti. Les plus importantes coupures de l’histoire du Canada ne sont pas venues des conservateurs, mais ont été promulguées par les libéraux dans les années 1990. Ils sont le parti de la guerre en Afghanistan. Ils sont le parti qui a initié la vague de baisses de l’impôt des entreprises, tandis que les conservateurs ont simplement continué le processus.

Traditionnellement, les libéraux font campagne à gauche afin de duper la population et ensuite gouverner à droite. Malheureusement pour les libéraux, et heureusement pour nous, Justin Trudeau était trop incompétent pour se souvenir de ce stratagème de base. En supportant le projet de loi C-51 – la loi « police secrète » qui autorise les provocateurs du SCRS à infiltrer les groupes d’activistes, à violer la Charte canadienne des droits et libertés et à briser la loi – les libéraux ont montré leurs vraies couleurs. Depuis lors, leurs appuis ont chuté, passant d’environ 40 à 25%. En même temps qu’elle appelle à un vote « stratégique », Leadnow fait campagne contre C-51. Nous vous laisserons le plaisir d’essayer de comprendre comment ils peuvent justifier une telle contradiction. Même le plan des libéraux en vue de l’ajout d’un nouveau palier d’imposition pour ceux qui gagnent plus de 200 000$ par année est un autre piège. Ils disent vouloir en utiliser les revenus pour réduire l’impôt de la « classe moyenne » alors qu’ils prévoient en fait éliminer le palier d’imposition du milieu. Cela veut dire que ceux et celles qui gagnent moins de 55 000$ par année, soit le deux tiers des travailleurs-euses, n’y gagnent rien tandis que le plus gros bénéfice absolu ira aux individus bien nantis gagnant juste en-dessous de 200 000$ par année.

Le vote « stratégique » n’est même pas stratégique. Comme nous l’avons vu lors des élections fédérales de 2011 et provinciales de 2015 en Alberta, il est impossible de déterminer à qui donner notre vote « stratégique. » Avec cette approche, le Nouveau Parti démocratique n’aurait jamais pu percer et le mouvement serait beaucoup moins avancé qu’il ne l’est aujourd’hui. En fait, en plus de l’appui libéral à C-51, la victoire du NPD en Alberta était nécessaire pour dissiper la brume autour de la stratégie « N’importe qui sauf les conservateurs » et pour permettre aux gens de supporter l’alternative de classe aux conservateurs, le NPD.

Le NPD

Pour la première fois de l’histoire du Canada, il y a une opportunité pour un parti fondé par le mouvement syndical de former le gouvernement fédéral. Il s’agit d’un développement significatif qui effraie déjà certains bourgeois. Dans un article intitulé « Une victoire du NPD créerait une incertitude financière massive » (An NDP win would bring massive financial uncertainty ), Gordon Pape prédit qu’un gouvernement NPD entrainerait une « pression à la baisse sur le dollar » et « une dégringolade du TSX ». En Alberta, le gouvernement du NPD fait déjà face à des menaces de sabotage, des accusations de « socialisme » et à des menaces de fuites de capitaux. Ce fait à lui seul nous montre que les patrons comprennent leur intérêt de classe et la base de classe du Nouveau Parti démocratique. Sur cette base, la manière la plus élémentaire de défaire Harper et les grandes entreprises canadiennes, est de voter pour le NPD.

Cependant, nous devons comprendre que les grandes entreprises canadiennes n’ont aucun problème avec Tom Mulcair et la direction du NPD. Nous ne devrions pas oublier que Mulcair a dit que Margaret Thatcher représentait un « vent de liberté », alors qu’il était un libéral provincial québécois. Ce dont elles ont peur est la base du parti, le lien organique avec les syndicats et leur lien plus large avec la classe ouvrière. Le NPD est davantage exposé à la pression des travailleurs-euses et ce faisant il n’est pas un gouvernement fiable pour les capitalistes. La défaite historique des partis des entreprises sera vue comme une victoire pour les travailleurs-euses et va augmenter leur confiance dans la lutte.

Il est intéressant de noter qu’après que Mulcair ait gagné la course à la direction du parti et ait tourné à droite, il y a eu une rapide érosion de l’appui au parti. Après avoir retiré de la constitution du NPD les engagements en faveur de la propriété sociale et en faveur de l’éradication de la pauvreté, et après avoir déclaré que le NPD couperait « avec un scalpel » et non une machette, le parti est revenu à son traditionnel 20% d’appuis et a perdu une série d’élections partielles et d’élections provinciales. C’est seulement lorsque le parti a commencé à proposer une série de réformes modestes – salaire minimum de 15$ dans la fonction publique fédérale, système de garderies à 15$ par jour, augmentation de l’impôt des entreprises, abolition du Sénat, opposition à la loi anti-terroriste de Harper – qu’il a pris la première place des sondages avec son support actuel avoisinant les 35%.

Il est impossible de prédire le résultat final des élections, mais il est clair que la clé de la victoire est la promotion de politiques vues comme « de gauche » afin de mobiliser et enthousiasmer la classe ouvrière plus large. Sur ce front nous avons eu des résultats mitigés, avec Mulcair qui supporte également des baisses d’impôt pour les petites entreprises (ce qui signifie un énorme cadeau à des individus riches considérés comme des petites entreprises), 250 millions $ pour engager 2500 policiers supplémentaires, et le blocage antidémocratique des candidats du NPD qui font des commentaires pro-Palestine. Ces gestes ne font que réduire les chances de victoire et démoralisent la base. Des politiques de gauche claires sont essentielles pour canaliser le vote anti-conservateur dans le NPD et pour faire couler les libéraux, qui ne sont que des conservateurs déguisés.

Si le niveau de support actuel demeure stable, ce qui semble peu probable considérant le va-et-vient de la campagne, le NPD gagnerait avec une mince minorité. Sur cette base il est vital que le parti n’abandonne pas les réformes de sa plateforme pour former une coalition avec les libéraux. Ce serait une recette parfaite pour discréditer le parti et sauver les libéraux en montrant qu’il n’y a pas en pratique de différence fondamentale entre les deux partis. En fait, pour consolider le pouvoir et gagner les prochaines élections, le parti devrait aller plus loin que ses modestes politiques et renverser les coupures et les inégalités du règne Harper.

La crise et l’austérité

Si les conservateurs ou les libéraux gagnent les élections, une nouvelle forme plus extrême d’austérité sera à l’ordre du jour. Le Canada est en récession et les partis capitalistes vont imposer la volonté de leurs maîtres : que les travailleurs-euses paient pour la crise des patrons. Le Canada est entré en récession avant la majorité des économies avancées, et cela sans compter les sérieux dangers qui planent sur l’économie mondiale venant de la Grèce et de la crise de la dette européenne, en plus de la Chine. Si l’économie mondiale chute, la récession légère menée par le secteur pétrolier pourrait être transformée en un profond effondrement.

Si le NPD gagne, il sera porté au pouvoir au pire moment imaginable. Il y aura sans doute une période de lune de miel et de célébration de la victoire historique, mais l’effondrement va éroder les finances du gouvernement. En janvier, la chute des prix du pétrole à elle seule a privé les coffres du gouvernement fédéral de 4.3 milliards $, et c’était sur la base de prix remontant à 60$ le baril au cours de la deuxième moitié de l’année. Actuellement on prévoit que le baril de pétrole demeurera sous les 50$ pour 3 ans ou plus. Ajoutons à cela la récession généralisée et cela met en question l’entièreté de la plateforme du NPD, qu’importe qu’elle soit modeste ou non.

Un gouvernement NPD ferait aussi face à l’opposition et au sabotage de la part des capitalistes. L’article de Gordon Pape dans le Globe and Mail mentionné précédemment a déjà souligné la consternation de Washington concernant ce qu’ils voient comme un « retour du socialisme » chez leurs voisins du Nord. L’hystérie des barons du pétrole albertains nous montre que nous devrions nous attendre à ce que le capital réagisse. C’est exactement la réaction provoquée par le gouvernement ontarien de Bob Rae et du NPD dans les années 1990, alors qu’il y avait eu une grève de l’investissement coordonnée pour faire chuter le gouvernement.

Le salaire minimum de 15$ pour la fonction publique fédérale serait critiqué comme étant « irréaliste » en période de récession, même si cela affecte relativement peu de travailleurs-euses. Des attaques similaires sont en train de se produire en Alberta, et déjà le gouvernement du NPD a fait des concessions inacceptables en instituant une longue phase avant l’adoption des réformes. La droite craint qu’un salaire minimum de 15$ pour les salarié-es sous compétence fédérale ne devienne un exemple pour les travailleurs-euses en général. Nous croyons que ce bon exemple devrait être promu par chaque aile provinciale du NPD.

Un système de garderies à 15$ devrait être négocié avec les provinces et par conséquent, il y a un espace significatif pour les délais et le sabotage. Tout comme Bob Rae avait dû abandonner sa réforme-phare de l’assurance-automobile, dans des conditions d’effondrement économique ce plan pourrait ne jamais se réaliser. Sur le front démocratique, l’abolition du Sénat antidémocratique est une mesure vitale, mais cela est presque impossible en demeurant dans les limites du capitalisme canadien.

Luttons pour le socialisme!

Le spectre de la trahison du gouvernement Bob Rae hante le NPD fédéral. Cela n’a rien à voir avec les soi-disant qualités ou défauts de telle ou telle personnalité dirigeante, mais vient plutôt de la logique du capitalisme en crise. Une victoire du NPD serait une défaite des partis de la grande entreprise, nous mettons par conséquent en garde contre l’abstentionnisme – qu’importe qu’il soit bien intentionné ou non. Mais nous ne recommandons pas non plus un vote passif pour le NPD.

Faisant face à une récession et à une possible grève du capital, toutes les réformes de la plateforme du NPD deviendront insoutenables. De manière alternative, afin de soutenir ces réformes, de plus grosses coupures devront être faites ailleurs. Bob Rae avait dû attaquer massivement les services publiques et avait mis en place les congés annuels non-payés, les « Rae Days ». La réalité est que tant que le parti refusera de rompre avec le capitalisme, les mesures d’austérité seront inévitables. Le NPD albertain prévoit déjà un déficit budgétaire de 5.4 milliards $ et une vague de « serrage de ceinture » ministériel. C’était le choix auquel faisait face le gouvernement du Parti socialiste français et du Président François Hollande, qui a été porté au pouvoir sur promesse de réformes et d’imposer les riches, mais qui fut forcé de trahir les travailleurs-euses. Il est aujourd’hui le président le plus impopulaire de l’histoire française. Le NPD néo-écossais n’a pas réussi à fournir des améliorations pour la classe ouvrière et a été rejeté sans cérémonie par l’électorat. Même les réformistes de gauche comme Alexis Tsipras en Grèce, ont été forcés de trahir leur programme à cause de la logique même du capitalisme. Avant SYRIZA, il y avait en Grèce le PASOK social-démocrate. Ce dernier avait remporté 44% des voix aux élections de 2009. Après avoir imposé l’austérité, le PASOK survit aujourd’hui avec à peine 4% du vote. Cela est un avenir possible pour le NPD s’il ne rejette pas le capitalisme.

Conséquemment, ceux et celles qui cherchent à défaire les conservateurs de Harper et leurs politiques honnies doivent s’organiser pour le prochain stade de la lutte. La première tâche est de renverser les conservateurs, la suivante est de renverser l’austérité. Seul un mouvement de masse des travailleurs-euses et de la jeunesse peut contrecarrer l’opposition des patrons et assurer que les réformes positives de la plateforme du NPD soient implantées. Ce mouvement doit nécessairement s’étendre tant dans le NPD qu’à l’extérieur, avec les syndicats jouant un rôle important. Seul un mouvement de masse peut empêcher un gouvernement du NPD de capituler devant les intérêts des grandes entreprises et d’attaquer le secteur public et la classe ouvrière plus large comme le NPD de Bob Rae l’avait fait.

En dernière analyse, si un tel mouvement de masse veut renverser l’austérité, il doit chercher à mettre en place une société alternative qui ne se base pas sur le profit privé de quelques-uns. Sur la base du capitalisme, l’austérité est inévitable. Seule une société socialiste, avec une production orienté vers les besoins, peut assurer la fin de l’austérité. Un tel mouvement de masse secouerait les organisations ouvrières jusqu’à la racine, incluant le NPD. Ceux qui ne veulent pas rompre avec le capitalisme quitteraient probablement pour s’unir aux libéraux. Ceux et celles qui veulent se battre pour la classe ouvrière peuvent fournir la base d’un renversement révolutionnaire de la société sur une échelle massive.

Le Canada est au seuil d’un bouleversement historique – un bouleversement qui ouvre une période nouvelle et turbulente dans la lutte des classes en Amérique du Nord.