Le Parti libéral du Québec est en crise. Après le pire score électoral de son histoire en octobre 2022 et la démission de sa cheffe, Dominique Anglade, le parti a subi une défaite écrasante dans l’élection partielle dans la circonscription de Saint-Henri-Saint-Anne le 14 mars dernier. Château fort libéral depuis sa création, le parti n’y a récolté que 29% des voix contre 45% pour Québec solidaire. Comment le Parti libéral, qui était autrefois le principal véhicule politique de la classe dirigeante québécoise, en est-il arrivé là?
La chute de ce vieux parti fondé en 1867, qui a occupé le pouvoir pendant un total de 87 ans, est une autre démonstration du rejet grandissant de l’establishment capitaliste et de ses représentants traditionnels.
Le règne du PLQ
Pour comprendre la crise actuelle, il faut regarder l’histoire de ce parti dans les dernières décennies.
À partir des années 60-70, le Parti libéral est devenu le parti par excellence de la bourgeoisie québécoise montante. La classe dominante pouvait compter sur lui pour remettre à leur place les syndicats et défendre ses intérêts. Avec la montée du Parti québécois et de son projet de souveraineté à la même époque, le Parti libéral se vendait comme le parti de la stabilité. Le principal argument de vente du parti était qu’il n’était pas le PQ et qu’il s’opposait à l’indépendance du Québec. Éventuellement, dans les années 80 et 90, le PQ s’est discrédité en implantant lui-même des mesures d’austérité drastiques. Chaque fois, le PLQ s’en servait pour reprendre le pouvoir, et faire essentiellement la même chose. Pendant plus de 40 ans, ces deux partis se sont échangé le pouvoir de cette manière.
L’étoile du Parti libéral a commencé à pâlir dans les années 2000 et 2010. Suivant la crise de 2008, le PLQ a proclamé la nécessité d’une « révolution culturelle » au Québec, c’est-à-dire de mesures d’austérité drastiques s’attaquant à l’État providence québécois.
Le gouvernement de Jean Charest de l’époque a proposé notamment la fameuse hausse des frais de scolarité de 75%. Cette mesure a entraîné la plus grande grève étudiante de l’histoire du pays au printemps 2012, qui a mené à une défaite libérale humiliante, Charest lui-même perdant son siège. La répression et la violence du gouvernement face au mouvement ont marqué toute une génération de jeunes Québécois, et leur ont fait détester les libéraux.
C’est également dans cette période que la corruption massive du parti a été révélée. Les audiences de la commission Charbonneau en 2011 ont dévoilé l’étendue de la collusion entre le PLQ et les entreprises de la construction. Les riches capitalistes québécois remplissaient les coffres du parti et les libéraux les remerciaient avec des traitements de faveur. Corruption et austérité ont sapé la réputation du parti.
Après un bref gouvernement péquiste entre 2012 et 2014, les libéraux ont repris le pouvoir et sont revenus à la charge avec des mesures d’austérité massives. Au lendemain de son élection, le ministre des Finances affirmait : « On va revoir, programme par programme, pour voir si c’est encore pertinent de maintenir ça, ou de les éliminer au complet. » Et c’est ce qu’ils ont fait. Tous les services publics ont été affectés. La réforme Barrette, entre autres, a gravement endommagé le système de santé. Les mesures du Parti libéral ont fait de l’édition 2014-2018 le gouvernement le plus détesté de l’histoire récente du Québec, et avec raison. Le parti vit aujourd’hui les conséquences de toute cette époque d’attaques envers la classe ouvrière.
Le PQ entraîne le PLQ dans sa chute
Parallèlement aux actions du PLQ au pouvoir, le paysage changeait dans l’opposition. Pendant cette période, les luttes de classes (Front commun de 2004 et 2010, grève étudiante de 2012, entre autres) ont relégué les débats sur la question nationale à l’arrière-plan. Avec le désintérêt envers la question de l’indépendance et le débat fédéralisme-souverainisme, le PQ a commencé à perdre du terrain au profit de QS à gauche et de la CAQ à droite. Le PLQ perdait ainsi son épouvantail habituel.
Nous avons expliqué à l’époque que la chute du PQ et la montée de QS et de la CAQ exprimaient la polarisation à droite et à gauche au Québec et le rejet de l’establishment. Maintenant, ce rejet de l’establishment a rattrapé le Parti libéral lui-même.
C’est la CAQ qui a le plus bénéficié du recul du Parti québécois. Legault rejetait ouvertement le débat fédéralisme-souverainisme, tout en se présentant comme un parti nationaliste qui défendrait les intérêts des Québécois. La CAQ exploitait (et exploite toujours) les questions « identitaires », se présentant comme le grand défenseur de la nation québécoise.
Tout en volant le terrain nationaliste au PQ, Legault se présentait comme un homme de confiance pour diriger l’économie. Ainsi, le PLQ s’est fait voler le titre de parti de « l’économie » – c’est-à-dire de parti des patrons – par la CAQ. Avec le PQ en chute libre et la montée de la CAQ comme nouveau parti du patronat, il n’existe presque plus de raison pour les libéraux d’exister.
Cela se voit dans le financement du parti. À son apogée, le Parti libéral amassait plus de 9 millions de dollars par année et était de loin le parti le plus riche. Mais en date d’août 2022, le PLQ était bon dernier en financement derrière QS, le Parti conservateur, le PQ et la CAQ avec seulement 310 688$ amassés! La bourgeoisie a manifestement abandonné son véhicule traditionnel.
Ultimement, l’effondrement du Parti libéral du Québec reflète la crise du système capitaliste dans son ensemble. L’effondrement du parti historique de la classe dominante n’est pas propre au Québec. Dans de nombreux pays, les partis traditionnels qui se sont rendus coupables d’implanter l’austérité depuis 2008 se sont discrédités et ont été punis par l’électorat. La colère sourde qui règne partout contre le statu quo pousse un nombre grandissant de gens à aller essayer de nouveaux partis.
Achever le Parti libéral
Même s’il est faible, le PLQ n’est pas mort. Bizarrement, le parti est encore l’opposition officielle, grâce à ses 19 députés concentrés surtout dans les circonscriptions à forte concentration d’anglophones. Historiquement, le parti a réussi à maintenir une base chez les anglophones et les autres minorités en prétendant les défendre contre les nationalistes et les souverainistes. Une bonne partie des minorités qui ne se retrouvent pas dans le nationalisme identitaire de la CAQ et du PQ votent encore, probablement sans grand enthousiasme, pour le PLQ.
L’effondrement du PLQ offre une occasion d’unir la classe ouvrière québécoise au-delà de toute division linguistique. Après sa victoire dans Saint-Henri-Saint-Anne, QS s’est fait accuser par le PQ de masquer son nationalisme (ne pas parler d’indépendance, avoir des tracts en anglais seulement, etc.). Ces accusations ridicules démontrent tout de même une dynamique constante où les nationalistes de droite mettent de la pression sur QS pour qu’il prouve son nationalisme. Malheureusement, QS tombe souvent dans leur piège. Le vote des députés solidaires en faveur du projet de loi 96 de la CAQ et leur appel à la démission d’Amira Elghawaby en sont des exemples. Ainsi, aux yeux des travailleurs anglophones et de minorités opprimées, QS donne parfois l’impression d’être dans le même camp que le PQ et la CAQ. Québec solidaire devrait plutôt dénoncer ouvertement et sans ambiguïté chaque manifestation du nationalisme identitaire.
Les travailleurs de toutes les origines, même ceux qui votent pour le Parti libéral de génération en génération, sont affectés par la crise du capitalisme. Si Québec solidaire adoptait un discours de classe qui rejette les tentatives de division sur des lignes linguistiques, religieuses, nationales, il pourrait soustraire au PLQ les derniers restants de sa base électorale. Pour y arriver, il devrait adopter un programme socialiste, seul capable d’offrir une solution aux problèmes de l’ensemble de la classe ouvrière du Québec. C’est ainsi qu’on pourrait achever le Parti libéral du Québec.