La classe dirigeante a reçu un violent choc au matin du 6 novembre 2024, lorsque Donald Trump a franchi la barre des 270 grands électeurs nécessaires pour redevenir président des États-Unis. Malgré l’hostilité et les manœuvres de la grande majorité de l’establishment bourgeois, Trump a réussi à gagner le soutien de millions d’Américains et à démentir tous les sondages qui prédisaient une élection serrée. La réélection de ce démagogue réactionnaire marque une nouvelle étape de la profonde crise de régime du capitalisme américain.

Le caractère contradictoire du trumpisme

Il est évident que Kamala Harris et Donald Trump sont tous deux des politiciens bourgeois et des ennemis résolus de la classe ouvrière. Une question reste néanmoins posée : comment un milliardaire réactionnaire comme Trump a-t-il pu gagner et conserver le soutien de millions de travailleurs américains?

Les démocrates prétendent qu’ils sont « du côté de la classe ouvrière ». Mais l’expérience de décennies de stagnation et de crise a convaincu les travailleurs qu’il n’en était rien. Les salaires réels d’une bonne partie d’entre eux n’ont quasiment pas progressé depuis les années 1970, pendant que les inégalités se sont accentuées. Depuis l’éclatement de la crise de 2008, cette situation n’a fait qu’empirer. Sous Obama, puis sous Biden, les pauvres sont devenus de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches.

Des millions de travailleurs étaient donc à la recherche d’une alternative radicale. Bernie Sanders aurait pu l’incarner, à condition de rompre avec les démocrates. Mais il a capitulé face aux dirigeants bourgeois du Parti démocrate et laissé le champ libre à Trump. Ce capitaliste cynique et réactionnaire s’est alors délibérément présenté comme un « adversaire du système » et s’est explicitement tourné vers la classe ouvrière. Cela lui a permis d’attirer des millions de personnes qui voulaient porter un coup contre l’establishment corrompu de Washington.

Les appels démagogiques de Trump aux travailleurs représentent une menace pour l’équilibre du système politique que la classe dirigeante américaine a patiemment élaboré pour défendre ses intérêts. C’est cela qui explique ses manœuvres et ses attaques contre Trump. Mais celles-ci n’ont fait que convaincre davantage son électorat qu’il était réellement un ennemi du « système ». Son élection en 2016 – et sa réélection aujourd’hui – sont donc une expression déformée de la profonde radicalisation politique de la classe ouvrière américaine. Il s’agit aussi d’une conséquence du déclin relatif de l’impérialisme américain.

Isolationnisme?

Après la chute de l’URSS en 1991, les États-Unis étaient la seule superpuissance mondiale, incontestée tant sur le plan économique que militaire. Aujourd’hui, si les États-Unis restent la première puissance mondiale, ils sont de plus en plus concurrencés par la Chine. Pendant près de deux décennies, l’impérialisme américain s’est embourbé dans plusieurs guerres, en Afghanistan et au Moyen-Orient, qu’il a finalement perdues. Les dépenses militaires liées à ces conflits ont été l’une des sources de la dette écrasante qui menace l’économie américaine. La défaite de l’Ukraine – qui semblait déjà inéluctable avant l’élection de Trump – expose les États-Unis au risque d’une nouvelle humiliation.

De ce point de vue, l’« isolationnisme » que professe Trump a une certaine logique et un certain attrait électoral. Mais le capitalisme américain est lié à l’ensemble du marché mondial, et il lui est impossible de s’en séparer.

La situation internationale est extrêmement instable, en premier lieu à cause de la lutte entre la Chine et les États-Unis. L’impérialisme russe sort lui aussi renforcé de la guerre par procuration que lui a mené Washington en Ukraine. Il a noué de nouveaux liens économiques avec la Chine, l’Arabie Saoudite et de nombreux autres pays, et dispose d’une armée massive, qui est probablement la plus endurcie de la planète.

Dans ce contexte, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche équivaut à l’irruption d’un chien dans un jeu de quilles. Sa volonté d’intensifier la guerre commerciale contre la Chine, tout comme ses menaces à destination des Européens de retirer les États-Unis de l’OTAN – donc d’abandonner les capitalistes européens à leur propre sort – sont un péril pour l’équilibre déjà précaire des relations internationales et du commerce mondial.

Et maintenant?

Dans l’hypothèse où Trump met bel et bien les pieds à la Maison Blanche en janvier 2025 (notamment s’il n’est pas victime d’une tentative d’assassinat, réussie cette fois), il sera confronté – dans un pays plus polarisé que jamais – à une situation inextricable aussi bien en ce qui concerne les relations internationales que l’économie américaine qui se trouve déjà au bord de la récession.

Trump a fait de nombreuses promesses, dont celle de « rendre sa grandeur à l’Amérique ». Mais il n’y a aucune garantie qu’il pourra en concrétiser une seule. Les travailleurs américains qui lui ont accordé une nouvelle fois leur confiance ne connaîtront que crise et austérité et devront lutter pour défendre leurs conditions d’existence. Cela pavera la voie à un profond virage vers la gauche. Un nouveau chapitre tumultueux de l’histoire de la lutte des classes se prépare aux États-Unis.