Cet article est paru le 8 mai 2015 sur le site de Socialist Appeal.
Les grandes entreprises et les spéculateurs de la City de Londres fêtent la victoire de leurs amis du Parti Conservateur. Les bouchons de champagne volent et la valeur des actions monte en flèche. Le parti des riches est de nouveau en selle, avec une majorité inattendue à la Chambre des communes. Ce sera un gouvernement des riches, par les riches et pour les riches.
De leur côté, des millions de travailleurs se sont réveillés avec une terrible gueule de bois. Avec leurs familles, ils vont maintenant faire face à des années d’austérité et d’attaques contre leurs acquis sociaux. Les 12 milliards de Livres de réductions des dépenses de protection sociale, annoncées par les conservateurs, vont s’abattre sur les plus vulnérables de la société : les malades, les vieux et les infirmes. Les jeunes et les femmes seront également frappés de plein fouet par l’austérité.
Effondrement libéral
Cette élection marque un grand changement dans la politique britannique. Pendant des décennies, il n’y avait que trois partis qui comptaient à Westminster : les conservateurs, les travaillistes et les libéraux (rebaptisés « Libéraux-Démocrates »). Les « Lib Dems » ont été écrasés, recevant ainsi un châtiment bien mérité pour avoir été complice de la politique conservatrice. Ils ont perdu 49 députés et n’ont pu conserver que 8 sièges au parlement.
Les travaillistes quant à eux ont subi leur pire défaite depuis 1987 : le parti a désormais 23 sièges de moins que sous Gordon Brown, en 2010. L’ampleur de la déroute est telle qu’Ed Miliband a démissionné de son poste de chef de file des travaillistes, ouvrant la voie à une nouvelle course à la direction. Compte tenu des nouvelles règles électorales biaisées qui y ont cours, il n’y aura aucun candidat de gauche. Les représentants d’une nouvelle génération de jeunes carriéristes blairistes, plus à droite les uns que les autres, se bousculent déjà pour ces élections.
Il semble incroyable que, après cinq années d’austérité douloureuse, les travaillistes aient lamentablement échoué à battre les conservateurs. La responsabilité en incombe exclusivement à la direction de la droite du parti, qui n’a offert à l’électorat aucune alternative claire à l’austérité de Cameron. La première page du manifeste électoral du parti travailliste souligne même la nécessité de poursuivre l’austérité… ce qui n’incite pas les gens à voter pour les travaillistes. Bien que Miliband ait fait une vague tentative, durant la campagne électorale, pour se distancier des conservateurs et les libéraux, les résultats montrent que c’était trop peu et trop tard.
Débordé par le Parti national écossais (SNP)
Comme on pouvait s’y attendre, les médias blairistes et conservateurs imputent la défaite du parti travailliste à son profil qui serait « trop à gauche ». Cela ne tient pas la route, comme en témoigne le cas de l’Ecosse, où le Parti national écossais (SNP) a raflé la mise avec un programme contre l’austérité et pour des politiques plus radicales.
Le SNP est ainsi passé de 6 à 56 députés, l’équivalent d’un tsunami politique en Ecosse, avec un score sans précédent de 50 % des voix. Les trois autres partis de Westminster y ont été réduits à un seul député chacun.
Le parti travailliste a perdu d’un seul coup 40 députés au profit du SNP. Beaucoup d’anciens électeurs travaillistes ont expliqué qu’ils n’avaient pas abandonné le Parti Travailliste, mais que c’était plutôt le parti qui les avait abandonnés.
La percée de l’UKIP, parti anti-européen et nationaliste de droite, tant annoncée, ne s’est pas matérialisée. Il a réussi à conserver un député.
Le Parti Vert, qui s’est présenté avec un programme anti-austérité, a obtenu environ un million de voix, y compris parmi une couche importante de la jeunesse radicalisée. Mais à cause du système électoral, le parti ne remporte même pas un siège au parlement.
Cameron a donc remporté ces élections. C’est la première fois que le parti conservateur obtient la majorité absolue depuis 1992. Cependant, avec une faible majorité, ce ne sera pas un gouvernement stable. La question du référendum promis sur l’Europe, d’ici 2017, va ouvrir de sérieuses divisions dans les rangs des conservateurs. Majoritairement, la classe capitaliste britannique ne veut pas voir la Grande-Bretagne quitter l’UE. Mais il est possible qu’ils puissent perdre un référendum sur l’Europe, ce qui aurait des conséquences désastreuses.
Le nouveau gouvernement conservateur sera instable et sujet à toutes sortes de divisions et de crises. Bien qu’il n’y ait pas eu de véritable mouvement de masse contre la coalition précédente, en raison de l’attitude des dirigeants syndicaux, il y a une grande colère accumulée dans la population. Celle-ci peut exploser au cours de la prochaine législature. Comme les conservateurs vont intensifier l’austérité, ils peuvent très rapidement avoir à faire face à une opposition de masse, dans les rues. Les dirigeants syndicaux ne seront pas en mesure de contenir cette colère indéfiniment. Malgré eux, ils seront poussés d’abord en semi-opposition et ensuite dans une opposition frontale. Dépassant le défaitisme ambiant de la plupart des syndicats, on assiste déjà à quelques premières manifestations d’opposition dans le pays. La manifestation semi-spontanée de plusieurs milliers de jeunes au centre de Londres a ainsi été très révélatrice d’un nouvel état d’esprit de révolte. La résignation n’est pas une option pour ces jeunes. Les mois qui viennent vont voir cet état d’esprit gagner du terrain. Cameron n’a qu’à bien se tenir, car le flegme britannique risque de prendre fin.