Les stagiaires en enseignement des universités québécoises ont appris, à une semaine de la rentrée, qu’ils perdraient leur bourse de 3900 dollars pour le 4e stage. Celle-ci est remplacée par la bourse « Perspective » de 2500 dollars qu’ils ne pourront demander qu’en janvier 2023. Pour tous ceux et celles qui commencent leur stage cette semaine, il s’agit d’une coupe immédiate de 1400 dollars dans leur budget. Les étudiants doivent se mobiliser pour renverser cette décision.
Le gouvernement de François Legault, qui s’était pourtant engagé à pallier la pénurie de main-d’œuvre en soutenant financièrement les étudiants des divers secteurs affectés, vient donc enlever le pain de la bouche des stagiaires non-rémunérés, qui dépendent bien souvent de ce montant pour subvenir à leurs besoins de base.
Sur les réseaux sociaux, dans les groupes d’étudiants au baccalauréat en enseignement, on peut sentir la frustration : « J’ai deux enfants à faire vivre sans revenu possible de fin de semaine, et là sans bourse de compensation? J’ai également des soins en CHSLD à payer pour mon père qui souffre d’Alzheimer. Je comptais sur ce montant pour survivre », dénonce une jeune mère de famille étudiante en quatrième année au baccalauréat en enseignement secondaire.
Cette coupe paraît d’autant plus absurde compte tenu de l’accentuation du manque d’enseignantes et d’enseignants : on apprenait la semaine dernière que le nombre de postes vacants s’élèverait à plus de 1400 selon les directions d’école, le double de l’estimé présenté par le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge. D’ailleurs, ce nombre ne prendrait en compte que les postes et contrats à temps plein, et exclurait les centaines d’autres contrats à temps partiel qui n’ont toujours pas trouvé preneur. Il s’agit d’un bond énorme depuis l’an passé, alors qu’on comptait 889 postes vacants à travers la province.
Cette coupe a eu l’effet d’une gifle pour plusieurs, qui avaient inclus les 3900 dollars de soutien aux stagiaires dans leur budget pour le quatrième et dernier stage, qui commence dès cette semaine, le 29 août. Dans le document officiel du gouvernement concernant les bourses Perspective, qui sont offertes dans des domaines où la pénurie de main-d’oeuvre est forte, on peut lire que « les premières bourses seront versées au cours de l’hiver 2023 pour la session d’automne 2022 ». Un étudiant qui bénéficie de la bourse Perspective se verra également privé d’autres bourses, telles que la bourse d’excellence.
Entretemps, à l’Université Laval, la tâche d’enseignement demandée aux stagiaires a grimpé de 50% à 75% cette année, laissant encore moins de temps libre pour occuper un emploi à temps partiel. Concrètement, cela représente une augmentation de 12 à 18 périodes d’enseignement par cycle de neuf jours. Dans d’autres universités, telles que l’UQAM, la situation est encore pire : on demande aux stagiaires une tâche d’enseignement de 100%, ou 24 périodes d’enseignement par cycle de neuf jours, et on leur interdit de faire de la suppléance pendant toute la durée du stage. Depuis les dernières années, la suppléance est pourtant devenue une source de revenu essentielle pour les étudiants, en plus d’une occasion en or pour les écoles de combler les manques causés par la pénurie. Le retrait de la bourse met en lumière le fait que même le statu quo laisse les stagiaires dans l’insécurité. Trois mille neuf cent dollars sur quatre mois, c’est à peine le quart du salaire d’un enseignant!
En plus de la situation avec les bourses, les étudiants sont frustrés de ce qu’ils ressentent comme un manque de respect. Par exemple, comme les stagiaires sont considérés comme non-qualifiés, ils doivent être accompagnés par un suppléant en cas d’absence de leur enseignant-associé. Mais vu la pénurie de main-d’œuvre, ce sont souvent des étudiants qui se retrouvent à faire de la suppléance. Sous une publication Facebook, un étudiant en troisième année témoigne des résultats absurdes de cette politique : « J’ai [donné un] cours de français, sans rémunération, pendant qu’un étudiant de deuxième année en éducation physique était sur son ordinateur portable dans le fond de la classe, payé en tant que suppléant », écrit-il. Ces situations complètement ridicules sont une norme dans le milieu. Malgré que la CAQ ait prétendu faire de la valorisation de la profession enseignante un de ses chevaux de bataille, cette promesse est toujours attendue des stagiaires, comme de l’ensemble du milieu de l’éducation.
Le gouvernement de la CAQ n’est pourtant pas aveugle aux conditions des stagiaires du Québec. En 2019, il publiait le document « Stages étudiants, programmes d’études professionnelles, techniques et universitaires; Portrait, enjeux et pistes de solutions », dans lequel on peut lire que « les étudiants qui sont dans une situation de précarité financière, qui ont une dette d’études importante et qui doivent assumer des dépenses supplémentaires liées à leurs stages seraient plus nombreux à abandonner les études avant l’obtention du diplôme que les étudiants qui ne sont pas aux prises avec des difficultés financières ». Si seulement le gouvernement écoutait ses propres recommandations!
Il est important de souligner que le programme de Bourses de soutien à la persévérance et à la réussite des stagiaires de 3900 dollars n’avait été implanté qu’en 2018. Les étudiants en enseignement qui ont fait leurs stages auparavant n’ont touché aucune aide financière. La situation des stagiaires a toujours été extrêmement difficile. Or, l’enseignement n’est pas le seul milieu à souffrir de ces conditions. Les étudiants de nombreux autres domaines se sont vus retirer cette même bourse. Les travailleurs de l’éducation, de la santé et du travail social en particulier sont constamment négligés sous le capitalisme. Quand les gouvernements se décident à faire quelque chose, c’est trop peu, trop tard.
Le choc de cette coupe soudaine doit être canalisé vers la mobilisation pour renverser cette décision et rétablir la bourse des stagiaires en éducation. Cette mobilisation pourrait commencer par une grève d’une journée des étudiants et stagiaires en enseignement du Québec cet automne, avec une invitation à ce que les étudiants d’autres domaines et les enseignants eux-mêmes rejoignent la lutte. Cela servirait à envoyer un message fort au gouvernement (qui sera probablement réélu) de la CAQ.
Mais le tollé soulevé par cette coupe dépasse la simple question de la rémunération des stagiaires en éducation. Nos écoles sont délabrées, et les enseignants actuels sont épuisés. Beaucoup d’enseignants ont hâte que la relève arrive. Que ce soit la bourse de 3900 dollars ou la bourse « Perspective », aucune n’est suffisante pour réellement venir à bout de la pénurie d’enseignants. Une enquête du Centre de recherche sur la formation et la profession enseignante démontre que 30% des nouveaux enseignants quittent le domaine dans la première année. Dans les cinq premières années, ce nombre grimperait à 50%. Afin de retenir les travailleurs et travailleuses de l’éducation, il faut plus qu’un simple chèque pendant les études.
Si l’on veut régler le problème, nous devons non seulement lutter pour la gratuité scolaire et des bourses pendant les études, mais également pour une amélioration massive des conditions de travail dans les écoles elles-mêmes. Cela ne peut venir que d’un financement massif et immédiat de l’éducation. Mais ce financement est au bas de la liste des priorités des patrons qui contrôlent le gouvernement depuis toujours. Les conditions de travail horribles dans l’éducation et le secteur public en général sont le produit de l’austérité imposée par une classe dirigeante qui ne valorise que les profits. Afin de lutter pour un meilleur avenir, nous devons lutter contre le système capitaliste lui-même.