Après cinq jours d’une grève entamée le 26 avril dernier, le gouvernement Trudeau a privé les débardeurs du SCFP 375 de ce droit démocratique par une loi spéciale. L’exécutif du syndicat a choisi de ne pas défier la loi et d’accepter de retourner au travail pour le dimanche 2 mai. Même si le conflit n’est pas réglé, ce gouvernement patronal a enlevé à ces travailleurs leur meilleure arme. Un jour ou l’autre, quelqu’un, quelque part, devra oser défier ces lois de retour au travail injustes et antidémocratiques.
L’offensive patronale contre le droit de grève
Au Canada et au Québec, le droit de grève n’existe pas. Dès qu’une grève devient trop efficace, le gouvernement s’en mêle pour prendre le bord des boss et adopte une loi spéciale.
Des lois spéciales ont été utilisées 35 fois au fédéral et 42 fois au provincial depuis les années 1950. Justin Trudeau, notre hypocrite de service qui se présente faussement comme un ami des travailleurs, avait servi cette médecine aux postiers en 2018. Il agit exactement comme les conservateurs de Stephen Harper avant lui. François Legault a demandé cette loi spéciale, tout comme la mairesse Valérie Plante. Au Québec, tant le Parti libéral que le Parti québécois ont un terrible bilan sur ce plan.
Y a-t-il des lois spéciales contre les lock-outs? Non. Y a-t-il eu une loi spéciale pour empêcher les provocations incessantes de l’Association des employeurs maritimes (AEM)? Non. C’est parce que l’État et les gouvernements sont au service des patrons.
Le droit démocratique de faire la grève est attaqué sans relâche depuis des décennies. Jusqu’à ce qu’un syndicat défie ces lois injustes, elles continueront d’être utilisées de manière routinière.
Une lutte qui concerne tous les travailleurs
Ainsi, la lutte des débardeurs a largement dépassé les enjeux immédiats de la négociation, et est devenue une lutte pour la défense du droit de grève.
Depuis l’annonce du projet de loi spéciale, La Riposte syndicale a constamment expliqué que nous avions l’opportunité de renverser la vapeur en défiant cette loi. De nombreux débardeurs nous ont exprimé leur accord avec cette perspective. Le président du syndicat, Martin Lapierre, a affirmé lors du rassemblement des débardeurs du 29 avril dernier : « Et si jamais, je vous le dis, qu’on ne défie pas cette loi-là, c’est parce qu’on va l’avoir calculé, qu’on va l’avoir choisi, et ça veut surtout pas dire qu’on va s’avoir mis un genou à terre devant ce boss-là! » Le fait même qu’il mentionne directement la possibilité de défier la loi montre que ce sentiment existait parmi les rangs.
Mais finalement, le retour au travail a eu lieu. La lutte n’est pas terminée, et nos camarades seront les premiers à venir soutenir les débardeurs dans la suite des choses au premier appel. Malheureusement, nous devons dire que nous pensons que de ne pas défier cette loi injuste, antidémocratique et certainement inconstitutionnelle a été une erreur. Les conditions étaient réunies pour y arriver.
L’exécutif du SCFP 375 a affirmé que le syndicat allait contester la loi devant les tribunaux. Cette démarche pourrait se terminer par une victoire judiciaire. Mais c’est ici et maintenant que la loi fait mal!
Les contestations devant les tribunaux prennent des années. En attendant, la grève est cassée dans l’immédiat. Une victoire judiciaire des années plus tard n’empêche pas une défaite aujourd’hui, sans grande récompense dans l’avenir.
C’est ce qui était arrivé, par exemple, lors de la grève des postiers de 2011. Stephen Harper avait implanté une loi spéciale très semblable à celle de Trudeau contre les débardeurs. En 2016, un juge de la Cour supérieure de l’Ontario avait jugé cette loi inconstitutionnelle et elle avait été annulée de manière rétroactive. Mais cela n’a rien changé au fait que la grève de 2011 avait été brisée. Et cela n’a pas empêché Trudeau d’implanter une autre loi spéciale contre ces mêmes postiers en 2018.
Malheureusement, la tactique de contester en cour tout en respectant une loi illégale dans l’immédiat ne fonctionne pas, car elle fait perdre au mouvement son momentum.
Les débardeurs ne sont pas seuls!
Le fort potentiel de solidarité avec les débardeurs a d’ailleurs déjà été démontré. Un groupe de solidarité lancé par des camarades de La Riposte syndicale a rassemblé presque 2000 personnes en une semaine. Des messages de solidarité ont été envoyés de partout au Canada et dans le monde. Cela suffit pour contredire l’argument défaitiste qui prétend que les débardeurs ne pourraient pas défier la loi parce qu’ils seraient « seuls ». Clairement, les débardeurs ne sont pas seuls! Des milliers de personnes seraient venus bloquer le port en solidarité avec les débardeurs. Ils ne pourraient pas donner des contraventions à des milliers d’entre nous!
On ne peut sous-estimer l’enthousiasme que susciterait un mouvement de défiance, notamment auprès des infirmières, enseignantes, travailleurs du rail et de la construction qui ont tous fait face à des lois spéciales ou des menaces de loi. Avec un appel à défier et en construisant un mouvement de masse pour y arriver, les autres syndicats seraient placés devant le choix entre participer activement à la lutte des débardeurs, ou se désolidariser et se couvrir de honte. Devant un mouvement de masse, tout acte de répression jette de l’huile sur le feu en créant des martyrs. Auparavant, lorsque des travailleurs ont défié des lois de retour au travail, le retrait des amendes et des mesures de représailles a fait partie des conditions de retour du travail, ou alors les amendes ont été payées grâce à un mouvement de solidarité. De plus, comme la loi sera probablement jugée inconstitutionnelle plus tard, toutes amendes ou mesures punitives seraient renversées.
Nous sommes maintenant revenus à la case départ, mais sans le droit démocratique de faire la grève. Devant le Sénat, Martin Tessier de l’AEM a affirmé que si la loi spéciale passait, l’AEM retirerait les horaires à quarts détestés par les débardeurs – ces changements d’horaire même qui avaient provoqué la grève. Mais pouvons-nous compter sur sa parole? L’employeur a démontré à de nombreuses reprises son intention de casser les débardeurs.
Nous pensons qu’il aurait été possible pour la direction syndicale d’expliquer que les débardeurs ne se soumettraient pas à une loi faite pour soumettre les travailleurs et qui viole le droit d’association protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. Plus que jamais, cette perspective est nécessaire dans le mouvement syndical.
Les centrales syndicales ont besoin d’un plan
Le SCFP 375 n’est pas seul dans sa lutte. Les centrales syndicales québécoises et canadiennes ont unanimement dénoncé la loi spéciale. Mais malheureusement, elles n’ont montré aucune voie concrète à suivre. Soit il n’y avait aucune action proposée, soit il y avait un appel naïf à ce que Trudeau ne dépose pas sa loi.
Certains diront peut-être que ce n’est pas aux autres syndicats de dire au SCFP 375 quoi faire, et que l’appel à défier la loi spéciale doit venir du syndicat affecté lui-même. Mais le devoir des centrales syndicales était de dire : « Depuis trop longtemps, nous acceptons les lois des patrons. Il est temps de défier les lois spéciales qui détruisent nos grèves. Si vous défiez cette loi antidémocratique, nous vous appuierons financièrement et sur le terrain! » Un inspirant appel de la sorte aurait rehaussé la confiance des débardeurs et de leur direction.
Il est plus que temps que le mouvement syndical se prépare aux lois spéciales. Dans chaque négociation, c’est l’éléphant dans la pièce. Les conventions collectives dans le secteur de la construction sont échues depuis le 30 avril, et déjà des travailleurs de la base parlent de la loi spéciale qui viendra. Nous pensons que des discussions sur la lutte contre les lois spéciales devraient avoir lieu dans tous les locaux syndicaux. Le mouvement a grand besoin d’un plan concret visant à défier ces lois anticonstitutionnelles. Il en va de l’avenir de notre mouvement.
Défendons le droit de grève, défions les lois spéciales!
Sans le droit de grève, le mouvement syndical n’est rien. Nous bâtissons sur les épaules de géants. Au cours des années 50, 60 et 70, nos ancêtres ont défié les lois injustes visant à empêcher les travailleurs de s’organiser. Sans cela, les travailleurs n’auraient pas les acquis qu’ils ont aujourd’hui.
Ces acquis sont maintenant tous menacés. Avec la crise économique qui sévit depuis 2008, et à laquelle s’ajoute maintenant l’énorme crise déclenchée par la COVID-19, les patrons sont à l’offensive.
D’autres luttes contre l’avarice des capitalistes viendront donc inévitablement. Nous aurons à mener d’autres grèves pour défendre nos acquis et empêcher les patrons de nous plonger dans des conditions de travail misérables. Et pour y arriver, tôt ou tard, quelqu’un devra défier les lois spéciales qui rongent le mouvement syndical.
Comme l’a dit Yvon Charbonneau, le président de la Centrale de l’enseignement du Québec à l’aube d’une grève défiant une loi spéciale en 1983 :
« La responsabilité du mouvement syndical en pareilles circonstances, c’est d’assumer le risque d’une bataille où nous aurons fait sauter les lois-cadenas, où nous aurons sauvegardé nos droits collectifs, nos conditions de travail et d’emploi, c’est de prendre en compte les intérêts et les besoins réels des centaines de milliers de sans-travail, d’assistés sociaux, des millions d’usagers des services publics, c’est de s’opposer à l’autoritarisme et à la fatalité. »
Nous en appelons à tous ceux qui souhaitent défendre cette perspective dans les syndicats de partout au Québec à rejoindre La Riposte syndicale pour y arriver.
Défendons le droit de grève! Défions les lois spéciales!