Le monde traverse une crise après l’autre, à tous les niveaux : économique, social, politique, militaire et diplomatique. Aux guerres en Afghanistan, en Irak, au Liban et en Palestine s’ajoutent de nombreuses guerres dont les médias ne parlent presque jamais : au Congo (4 millions de morts ), au Darfour, en Somalie, en Ouganda, en Côte d’Ivoire, etc. L’épidémie de terrorisme, les profonds déséquilibres de l’économie mondiale, la multiplication des crises diplomatiques : ce sont là autant de manifestations de l’impasse dans laquelle se trouve le système capitaliste.
Dans ce contexte, en tant que communistes, nous devons expliquer à la jeunesse et aux travailleurs que les causes fondamentales du chaos mondial résident dans les contradictions insolubles du capitalisme, qui a complètement épuisé le rôle progressiste qu’il a pu jouer par le passé. Il faut faire comprendre la nécessité de renverser ce système et de le remplacer par un système socialiste. Plus que jamais, l’humanité fait face à l’alternative suivante : socialisme ou barbarie.
Malheureusement, dans la section « Europe-Monde » du texte adopté lors du dernier congrès du PCF, cette alternative n’est pas clairement posée. Le texte commence par faire le constat que la régression sociale, à l’échelle mondiale, se heurte de plus en plus à la résistance des populations, comme en témoignent la succession de mobilisations massives et de crises révolutionnaires, en Amérique latine. Cependant, les propositions formulées par ce texte ne partent pas d’un point de vue communiste et révolutionnaire. Et en fait, elles nous mènent directement dans les méandres du réformisme.
Réformer les institutions internationales ?
D’après le texte, il faut exiger une « réorientation politique et monétaire des institutions financières et commerciales internationales, qui doivent être mises sous l’égide de l’ONU démocratisée ». Le problème, c’est que les « institutions financières » en question — FMI, Banque Mondiale, OMC, etc. — sont des institutions capitalistes, crées et contrôlées par une poignée de puissances impérialistes, et dont les investissements se font au profit des capitalistes. Leur raison d’être est l’organisation du pillage impérialiste de la planète. Si ces institutions se mettaient à « faire du bien » aux pays pauvres, au détriment des capitalistes qu’elles représentent, ces derniers cesseraient immédiatement de les financer. La Riposte ne s’oppose pas à des réformes en général, mais on ne peut pas tout réformer. Demander la « réorientation politique et monétaire » de ces institutions au profit de la majorité de la population mondiale revient à demander aux capitalistes de ne plus se comporter en capitalistes. Pourquoi ne pas demander une réforme du Pentagone, tant qu’on y est ?
Il en va de même avec l’ONU, dont le texte réclame la « démocratisation ». L’ONU est une organisation dominée par les ennemis des travailleurs et de la jeunesse du monde entier. Tout au long de son histoire, elle a organisé des guerres et causé d’énormes souffrances. Par exemple, l’ONU a infligé douze années d’embargo à l’Irak, au lendemain de la première guerre du Golfe, ce qui provoqué la mort d’un million d’Irakiens, dont 500 000 enfants. Sa « charte » pleine de bons sentiments n’a qu’un but : cacher sa véritable nature. Demander la « démocratisation » de l’ONU, c’est faire abstraction du caractère de classe de cette institution impérialiste. Pour lutter contre l’impérialisme et ses ravages dans le monde, notre première tâche, en tant que communistes, c’est d’apprendre aux travailleurs à distinguer leurs amis de leurs ennemis. A l’inverse, semer des illusions réformistes chez les travailleurs ne peut que nuire à cette lutte.
Notons au passage que cette question n’est pas nouvelle, dans le mouvement communiste. Lorsqu’au lendemain de la première guerre mondiale, les vainqueurs de la boucherie impérialiste ont créé la Société Des Nations (SDN), ancêtre de l’ONU, nombre de dirigeants de gauche de l’époque ont semé des illusions dans cette nouvelle institution. En réaction, Lénine engagea une lutte implacable contre ces illusions réformistes et pacifistes. L’importance de cette question était telle, à ses yeux, qu’il l’a inscrite parmi les « Conditions d’admission à l’Internationale Communiste » (la IIIe Internationale, fondée en 1919) : « Tout parti désireux d’appartenir à la IIIe Internationale […] est tenu de démontrer systématiquement aux ouvriers que, sans le renversement révolutionnaire du capitalisme, aucune cour internationale d’arbitrage, aucune réorganisation “ démocratique ” de la Société des Nations, ne sauraient sauver l’humanité de nouvelles guerres impérialistes ». [1]86 ans plus tard, il n’y a pas une virgule à changer dans cette appréciation des institutions internationales du capitalisme.
Un nouvel impérialisme ?
Le texte souligne à juste titre l’écrasante domination et le caractère ultra-réactionnaire de l’impérialisme américain. Mais les conclusions qu’il en tire sont complètement erronées : « nous combattons l’hégémonie politique, militaire, économique, financière, monétaire, culturelle des Etats-Unis, cette nouvelle forme d’impérialisme appuyée sur la libéralisation des mouvements de capitaux et des échanges de marchandises, sur le contrôle des institutions financières internationales, et sur la place privilégiée du dollar comme base du système monétaire international ».
Que peut bien signifier, d’un point de vue communiste, la « lutte contre l’hégémonie politique, militaire, etc., des Etats-Unis » ? Les communistes ne sont ni pour l’hégémonie de l’impérialisme américain, ni pour l’hégémonie des impérialismes français, japonais, allemand, etc., ni même pour un équilibre « non-hégémonique » — à supposer qu’il puisse exister – entre les différentes puissances impérialistes. Les communistes doivent lutter contre tous les impérialismes, quels que soient leur puissance, qu’ils soient ou non hégémoniques.
Pour justifier cette opposition spécifique à l’impérialisme américain, les auteurs du texte avancent l’idée que nous avons affaire, dans le cas des Etats-Unis, à « une nouvelle forme d’impérialisme ». Le problème, c’est que les caractéristiques de ce « nouvel impérialisme » n’ont absolument rien de nouveau. La « libéralisation des mouvements de capitaux et des échanges de marchandise » est un trait commun à tous les impérialismes (bien que, pour être exact, il eût fallu préciser que cette « libéralisation » se double d’une politique protectionniste). Quant au « contrôle des institutions financières internationales » et à « la place privilégiée du dollar », ils ne sont que l’expression de la position dominante de l’impérialisme américain face à ses concurrents. En aucun cas ils ne marquent une modification de sa nature, l’émergence d’une « nouvelle forme d’impérialisme », ni par conséquent une différence de nature entre l’impérialisme américain et les impérialismes français, japonais, allemand, etc.
On n’a pas affaire ici à des questions théoriques sans conséquence. En politique, chaque erreur théorique finit par se payer dans la pratique. Or, la conséquence de cette théorie fausse du « nouvel impérialisme américain », c’est de passer sous silence le caractère tout aussi réactionnaire des autres impérialismes —et notamment de l’impérialisme français. De là à présenter l’impérialisme français comme progressiste, ou potentiellement progressiste, il n’y a qu’un pas, que les auteurs du texte franchissent à de nombreuses reprises. Au sujet de la Palestine : « Les Européens et la France se doivent d’agir pour […] l’arrêt de la colonisation et le démantèlement du mur d’annexion ». Plus loin : « La France et l’Union Européenne doivent jouer un rôle positif au Moyen-Orient et dans le monde pour la paix, en se dégageant de l’hégémonie et de l’unilatéralisme des Etats-Unis ». Mais « la France et l’Union Européenne » sont des puissances capitalistes, et de ce fait poursuivent essentiellement les mêmes objectifs que les Etats-Unis. Elles aussi veulent renforcer leur position économique et stratégique dans la région. Ou faut-il peut-être comprendre que des interventions impérialistes deviennent acceptables dès lors que plusieurs puissances se mettent d’accord et agissent de façon « multilatérale » ?
Certes, le texte mentionne aussi la « responsabilité de la France » dans la misère, le chaos et les guerres qui frappent le continent africain. Mais il ajoute aussitôt : « Il y a urgence à refonder la politique de la France envers l’Afrique. » A qui s’adresse cet appel ? Aux impérialistes français ? Aux travailleurs ? On n’en sait rien. Ce n’est pourtant pas un détail ! Seul le renversement du capitalisme, en France, permettra de mettre fin aux basses œuvres de l’impérialisme français en Afrique. En revanche, tant que les capitalistes et les impérialistes français conserveront le pouvoir, ils poursuivront leur politique de pillage et de brigandage en Afrique – mais aussi au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique latine.
Plutôt que de parler, dans le vague, de « refonder la politique de la France en Afrique », le programme du PCF devrait commencer par réclamer le retrait des troupes françaises engagées en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays d’Afrique. Faute d’une telle revendication, toutes les belles phrases sur la nécessité de créer « un autre monde » — et même une « autre civilisation » ! — ne servent strictement à rien, si ce n’est à amuser la galerie.
L’Irak et l’Afghanistan
Le texte réclame « la fin de l’occupation et le retrait des troupes étrangères » en Irak, ce qui est évidemment correct. Mais là encore, il « oublie » de réclamer également le retrait des troupes étrangères – et notamment françaises — en Afghanistan. Malheureusement, cet « oubli » n’est pas innocent : il est le prolongement direct du soutien que les dirigeants du PCF ont apporté à l’invasion de l’Afghanistan, en 2001. A l’époque, Robert Hue avait même envoyé une lettre à Jacques Chirac pour souligner son soutien sans réserve à la participation de l’armée française : « J’y souscris, écrivait Robert Hue. Elle est essentielle pour la France, pour l’Europe ». (L’Humanité du 18 septembre 2001) Notons, au passage, que l’impérialisme français est intervenu, en Afghanistan, dans le cadre d’une coalition emmenée par le « nouvel impérialisme américain ». Est-ce que la présence des forces françaises, aux côtés des Américains, a suffi à les transformer en forces progressistes ?
A propos du refus de Chirac de participer à la guerre en Irak, en 2002, le texte se félicite du « choix positif d’indépendance de la France ». Dans la période d’intenses manœuvres diplomatiques qui précéda l’invasion de l’Irak, le lecteur de L’Humanité était confronté à une pénible contradiction : dans une même édition du journal, les pages internationales faisaient l’éloge de Chirac, de son « courage » et de sa « fermeté », cependant que les pages consacrées à la politique française fustigeaient la politique de régression sociale mise en œuvre par son gouvernement. Or, en réalité, la position de Chirac sur la guerre en Irak répondait aux mêmes objectifs que sa politique intérieure : la défense des intérêts de la classe capitaliste française, dont l’intervention américaine en Irak menaçait de ruiner le peu d’influence qui lui restait dans la région. L’opposition de Chirac à la guerre en Irak n’avait rien à voir avec des considérations humanitaires : elle correspondait pleinement aux intérêts de l’impérialisme français.
Plutôt que d’apporter son soutien à « la position française » et de réclamer, comme elle l’a fait, un « veto français » au Conseil de Sécurité de l’ONU, la direction du PCF aurait dû dénoncer les véritables motifs de la diplomatie française, tout en mobilisant la jeunesse et les travailleurs contre la guerre en liant étroitement la lutte contre l’agression de l’Irak à la nécessité d’en finir avec le capitalisme, en France comme au Moyen-Orient. Comme le disait le révolutionnaire allemand Karl Liebknecht, collaborateur de Rosa Luxembourg : « en matière de guerre impérialiste, l’ennemi principal est chez nous » !
Au fond, les faiblesses de ce texte sont du même ordre que celles qui affectent le programme du PCF en matière de politique intérieure. Dans les deux cas, nous sommes confrontés à une tentative de résoudre les problèmes des masses sans remettre en cause les fondements du système capitaliste, dont on prétend qu’il pourrait fonctionner suivant une « autre logique ». Comme si les guerres et le développement de la misère étaient, non la conséquence inéluctable du système capitaliste, mais la conséquence d’une des « logiques » — parmi d’autres — de ce système ! Cet idéalisme produit parfois quelques formulations particulièrement fumeuses : ainsi, par exemple, l’appel à « promouvoir un nouvel imaginaire internationaliste ». Nul doute que ce charabia a fait sursauter plus d’un militant communiste. Mais c’est ce qui arrive lorsqu’on abandonne les idées et le programme scientifiques — et non imaginaires — de Marx et de Lénine. Il est grand temps d’y revenir !
[1] Juillet 1920. Lénine. Œuvres complètes. Tome 31, p 213.