La série télé Fondation m’a donné l’envie de me plonger dans l’œuvre d’Isaac Asimov (1920-1992). Il est considéré comme l’un des plus grands auteurs de science-fiction et est l’inventeur des fameuses « lois de la robotique ». Un thème récurrent dans son œuvre est la relation entre le déterminisme et la liberté, qui intéresse particulièrement les marxistes.
Dans la saga Fondation, il nous présente un univers fascinant, qui se situe plusieurs millénaires après notre ère. Un scientifique (Hari Seldon) découvre une nouvelle science, la « psycho-histoire », qui lui permet de prédire l’effondrement de l’empire galactique, et avec lui, le retour à la barbarie. Dans le but de reconstruire la civilisation humaine après son effondrement, le Dr Seldon fonde une organisation de scientifiques (la Fondation), qui doit rassembler tout le savoir historique de l’humanité dans une Encyclopedia Galactica.
Grâce à des calculs mathématiques fondés sur la physique et la psychologie, la psycho-histoire serait capable d’établir les probabilités de différents avenirs. Ses prédictions concernent les mouvements et les tendances sociales – pas celles des individus – comme les guerres, les rébellions et les crises sociales. Selon Asimov, les humains, en prenant connaissance des déterminismes à l’œuvre dans l’histoire, acquerraient la possibilité de modifier le cours des événements.
Asimov exprime ici des idées puissantes : la liberté humaine n’existe pas dans l’absolu, mais est conditionnée par toutes sortes de déterminismes. En retour, l’être humain, en prenant connaissance de la manière dont ces déterminismes agissent sur lui, peut les influencer, et tenter de s’en émanciper. La société capitaliste, par exemple, nous conditionne à penser et agir de telle ou telle manière, mais nous pouvons étudier son fonctionnement, et faire le choix de lutter pour son renversement.
Le grand philosophe Hegel disait à juste titre que la liberté réside dans le fait de prendre connaissance de la nécessité. Marx, quant à lui, expliquait que ce sont les êtres humains qui font leur propre histoire, bien qu’ils la font dans des conditions qu’ils n’ont pas choisies, et qu’ils ont hérité du passé. Il n’y a pas de liberté absolue ni de déterminisme absolu. Les deux coexistent et se conditionnent mutuellement. Cette grande vérité philosophique, au cœur du marxisme, se trouve exprimée de manière particulièrement intéressante chez Asimov.
Asimov n’était pas marxiste. Il a cependant grandi dans un milieu russe progressiste à Brooklyn pendant la montée du stalinisme, et connaissait vraisemblablement les fondements théoriques du marxisme. Il était athée et enseignait la biochimie, ce qui se répercute dans son œuvre, où la philosophie matérialiste est omniprésente.
Pouvons-nous cependant réellement prédire l’histoire humaine? Asimov y ajoute de nombreux bémols, liés à l’existence de la liberté individuelle. Mais reste qu’il nous présente la psycho-histoire comme une science capable de prédire des événements sociaux avec de fortes probabilités. C’est évidemment de la fiction. Le marxisme, quant à lui, n’a pas cette prétention. Il ne fait pas de prédictions, mais établit des perspectives sur la base d’analyses des processus à l’œuvre.
Ensuite, la psycho-histoire ne saurait prédire le comportement des individus, mais seulement celui de larges groupes d’individus. L’auteur reprend ici des thèmes de la physique comme le mouvement brownien : on ne peut prédire le mouvement d’une particule individuelle dans un fluide, mais l’on peut arriver à des prédictions très précises en étudiant de grandes quantités de particules en interaction, où un certain ordre émerge du chaos. C’est ce qu’on appelle un phénomène émergent.
Le problème principal de la psycho-histoire (si l’on peut parler ainsi d’une théorie purement fictive) est qu’elle prétend pouvoir réduire la complexité de l’histoire humaine à des interactions mathématiques, physico-chimiques et psychologiques. Cette vieille conception mécaniste du monde tombe dans le piège du réductionnisme. À l’inverse, la méthode dialectique, au cœur du marxisme, comprend que la société humaine est un phénomène émergent de la nature, et qu’elle possède ses propres lois irréductibles à celles qui régissent les particules.
Pour réellement établir des perspectives sur l’histoire, il faut se doter de la bonne méthode d’analyse, celle du marxisme. Marx en avait brillamment résumé l’essence : « Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. »
Contrairement à l’effondrement de l’empire galactique dans Fondation, celui du système capitaliste n’est pas inévitable, mais dépend de nous. Nous devons nous organiser pour le renverser, avant qu’il n’entraîne l’humanité dans une barbarie encore plus grande. Et quand nous avons besoin d’un repos bien mérité, il y a toujours Asimov.