La grève générale qui a eu lieu en Grande-Bretagne, le 30 novembre 2011, marque une nouvelle étape dans l’histoire politique et sociale du pays. Elle fait suite à d’autres mobilisations massives récentes et confirme la fin de la relative passivité de la classe ouvrière britannique, ces vingt dernières années. L’ampleur de la mobilisation rappelle les grandes journées d’action contre les gouvernements de Heath et de Thatcher, dans les années 70 et 80. Au total, plus de 2 millions de travailleurs ont fait grève. Les attaques contre les retraites, l’emploi et les salaires sont jugées inacceptables par l’immense majorité de la population. Un sondage réalisé par la BBC soulignait que 61 % de la population et 79 % des jeunes étaient solidaires des grévistes.
Le gouvernement de droite de David Cameron avait multiplié les appels à l’annulation de la grève. Mais dans le même temps, il confirmait que 300 000 emplois supplémentaires seraient supprimés dans le secteur public en 2012. Le syndicat PCS a annoncé des taux de participation très élevés dans l’ensemble du secteur public – jusqu’à 90 % dans plusieurs services, par exemple les douanes. La majorité des grévistes étaient des femmes, dont la présence massive sur les piquets de grève et les manifestations était évidente.
La grève était particulièrement solide dans le secteur de la santé publique. Le gouvernement a ordonné aux directions de ce secteur de ne pas communiquer de chiffres, mais il semblerait qu’au moins 400 000 salariés de la santé ont participé à la grève. Bibliothèques, piscines, centres de loisirs, mairies et administrations locales étaient également fermés. Il est significatif que les salariés qui n’étaient pas formellement en grève ont presque partout refusé de franchir les lignes des piquets, préférant rentrer chez eux plutôt que de travailler pendant que leurs collègues faisaient grève. Le parlement écossais a dû se passer de la moitié de son personnel. A Londres, les 100 000 manifestants qui défilaient à travers la capitale étaient ravis d’apprendre qu’une partie du personnel d’intendance du Premier ministre avait également débrayé.
Paul Wilcox, délégué syndical à l’infirmerie de Victoria, souligne le fait que les grévistes étaient essentiellement des travailleurs mal payés : infirmiers, aides-soignants, portiers, personnel de nettoyage et d’entretien… Il explique : « Trop, c’est trop. Je crois qu’ils ont été poussés à l’exaspération. Beaucoup d’infirmiers et d’infirmières ne voulaient pas faire grève. C’est la dernière chose qu’ils voulaient faire. Mais ils l’ont fait quand même. On ne fait pas grève à la légère. On ne cherche pas la bagarre. C’est le gouvernement qui nous agresse. Nous n’avons d’autre choix que de nous défendre. »
Le mouvement ouvrier britannique a ses caractéristiques propres. Les travailleurs peuvent paraitre lents à démarrer, comparés à ceux de France ou d’autres pays européens. Mais quand ils se lancent dans l’action, ils font preuve d’une très grande ténacité, comme lors de la grève des mineurs en 1984, qui a duré plus de douze mois. Tout semble indiquer que la génération actuelle de travailleurs est en train de renouer avec ces grandes traditions.
Le déroulement du mouvement à Birmingham, par exemple, a montré la détermination inébranlable des grévistes. La veille de la grève, la municipalité, qui est entre les mains du Parti Conservateur et du Parti Libéral-Démocrate, a tenté d’interdire la manifestation. Elle a aussi réclamé le versement de 10 000 livres sterling à la TUC (la confédération syndicale au niveau national) en guise d’indemnisation pour la gêne et les frais supplémentaires que la grève allait occasionner ! La TUC a refusé de payer, mais, cédant à la pression, elle a retiré son soutien à l’organisation d’une manifestation. Le quotidien local, le Birmingham Mail, a cru bon d’annoncer l’annulation de l’événement. Mais les réseaux établis sur internet permettent de contourner ce genre de désinformation. Des messages fusaient par milliers : « S’ils peuvent le faire sur la Place Tahrir, nous pouvons le faire à Birmingham ! » Plusieurs grands syndicats déclaraient que la manifestation aurait lieu – avec ou sans la caution des dirigeants de la TUC. La municipalité n’a pas désarmé. Insistant sur l’illégalité de la manifestation, elle a refusé d’arrêter la circulation et a engagé la responsabilité des syndicats en cas d’« incident ».
En l’absence de toute coopération de la part des autorités locales, le mouvement ouvrier a pris le relais. Un service d’ordre a été mis en place. La circulation a été interrompue et la route de la manifestation balisée par des drapeaux syndicaux. Birmingham était une « ville morte » traversée par une manifestation de 30 000 syndicalistes. Il n’y avait ni désordre, ni violence. Quant aux 10 000 livres réclamées au mouvement syndical par la municipalité, elles n’ont pas été payées et ne le seront pas.