Le samedi 21 avril, des manifestations rassemblant des milliers de personnes ont fait rage à Antananarivo, capitale de Madagascar. Les manifestants, réunis sur la place du 13-mai, réclamaient la démission du président Hery Rajaonarimampianina, peu avant le début des élections présidentielles et législatives dont le premier tour se déroulera normalement en novembre prochain. Les manifestants dénonçaient notamment les nouvelles lois électorales adoptées pour favoriser la réélection du gouvernement actuel. Ces nouvelles lois, jugées depuis le 3 mai comme « non conformes à la Constitution » par la Haute Cour constitutionnelle, devaient notamment raccourcir de moitié la durée de la campagne électorale du second tour et recourir à des bulletins de vote individuels[1]. L’armée et la police n’ont pas tardé à ouvrir le feu sur la foule, faisant deux morts et 16 blessés chez les protestataires.
Le président sortant a qualifié ces manifestations de tentative de « coup d’État », et a menacé de recourir aux forces de l’ordre pour « défendre les institutions démocratiques ». Mais les manifestations se sont tout de même poursuivies. Le 28 avril, le président a affirmé sa volonté de rester à son poste.
Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, anciens présidents du pays et véritables vautours, n’ont pas hésité à s’allier et à témoigner de leur soutien à l’opposition, oubliant bien de mentionner qu’ils ont eux-mêmes dû démissionner de leurs fonctions (en 2009 et en 2014, respectivement) suite à de telles manifestations. En effet, Ravalomanana aussi bien que Rajoelina ont connu les mêmes accusations de tricherie et de corruption, sans parler de la tentative de coup d’État par Rajoelina pour renverser son prédécesseur. Ces deux anciens présidents se sont autrefois disputé le pouvoir et des médiateurs internationaux ont dû intervenir pour leur interdire de se présenter aux élections de 2013. Ils essayent maintenant d’utiliser le mouvement de masse pour récupérer leur part du gâteau suite au départ imminent de leur successeur.
Vendredi 27 avril, une enquête sur les événements du 21 avril a été ouverte et les hauts dirigeants de l’État ont directement été accusés pour les deux morts causés ce jour-là. Entre-temps, les rangs des manifestants se sont gonflés, rejoints par les fonctionnaires, les syndicalistes, des avocats ainsi que différentes associations venant des régions. Le 1er mai dernier, ils étaient près d’un millier sur la place du 13-mai, devenu un symbole d’opposition. La colère des manifestants n’était toujours pas apaisée, malgré la décision du gouvernement prise la veille de la fête du Travail d’augmenter le salaire des fonctionnaires de 8%.
Le président Hery Rajaonarimampianina a appelé à l’apaisement en affirmant sa volonté de trouver « des solutions [aux problèmes de la population] », mais ses mots sonnent de plus en plus creux après cinq ans sans résultats.
En effet, de telles manifestations et leurs conséquences n’ont rien d’étonnant dans le contexte politique et socio-économique de Madagascar : depuis 2002, la Grande Île enchaîne les crises politiques et connaît une pauvreté grandissante. La population malgache, parmi les plus pauvres du monde, souffre de nombreux problèmes liés à cette pauvreté. Notamment, le salaire moyen est de 36 dollars par mois, le manque d’investissements dans les infrastructures mène à de gros problèmes de santé publique (exemple éloquent, Madagascar connaît régulièrement des épidémies de peste), et la misère pousse de nombreuses personnes vers la criminalité (les attaques à main armée se faisant de plus en plus fréquentes) créant ainsi un climat d’insécurité. Sans parler du fait que Madagascar souffre également de la crise économique mondiale, et que le coût de la vie ne cesse d’y augmenter.
Pendant ce temps-là, les élites malgaches se remplissent les poches grâce à la corruption omniprésente, au pillage des ressources naturelles du pays, au détournement de l’argent public et à toutes sortes d’autres manigances. Les dirigeants se succèdent et prétendent changer les choses et instaurer des réformes, mais pour un nombre grandissant des travailleurs malgaches, tout cela n’est que de la poudre aux yeux.
Ces manifestations ne sont que l’expression de ce ras-le-bol généralisé du peuple malgache. Les Malgaches ne font plus confiance à leurs dirigeants, et à juste titre.
La situation de Madagascar ne se résoudra pas avec l’élection d’un énième corrompu, trop impatient de voler l’argent publique pour se payer ses 4×4. Qui qu’il soit, il y a fort à parier que le successeur de Hery Rajaonarimampianina poursuivra les mêmes politiques, promettant réformes et changements, mais tout en suivant les directives de la Banque Mondiale et du FMI, avec évidemment toujours une bonne dose de corruption. Il est temps que les travailleurs prennent le pouvoir et se débarrassent de la domination des puissances étrangères et mettent au chômage l’élite locale à la botte des banques. Pour cela, les travailleurs doivent organiser démocratiquement l’économie sous leur propre contrôle, par une politique socialiste.
Malheureusement, il n’existe pas de véritable force ouvrière organisée à Madagascar. En 1972, suite au mouvement étudiant, le parti Militant pour le Pouvoir Prolétarien (MFM) a vu le jour, mais il a depuis renoncé à ses racines socialistes et est devenu un parti libéral renommé Militant pour le Progrès de Madagascar, aujourd’hui marginal. On assiste donc à un vide, l’horizon politique étant peuplé de businessmen qui se disputent la part du lion de la corruption.
Cependant, il ne faudrait pas tomber dans le pessimisme : l’importante mobilisation de la population ces derniers jours prouve qu’il y a un potentiel pour quelque chose de plus grand. Les masses souhaitent lutter, mais il faut leur donner une direction. Les travailleurs malgaches doivent s’organiser et bâtir ensemble cette direction socialiste.
[1] La Haute Cour constitutionnelle a recommandé l’emploi de bulletins de vote uniques, soit des bulletins contenant le nom de tous les candidats, plutôt que des bulletins de vote individuels, où chaque bulletin ne contient qu’un seul nom de candidat. Cette mesure vise à éviter que certains candidats aient moins de bulletins individuels imprimés que d’autres.