La Grèce traverse sa plus grave crise depuis la guerre civile de 1949. En 2010, le PIB du pays a chuté de 4,5 %, la production industrielle de 8 % et l’industrie du bâtiment de 50 %. Des études officielles prévoient qu’entre 2009 et 2012, l’économie grecque aura reculé de 10 %. Les analystes tablent sur une dette publique se situant à 152 % du PIB, fin 2011.
Pour que l’Etat grec puisse payer sa dette, l’économie devrait croître de 5 % par an, pendant 20 ans. Entre 2014 et 2015, l’Etat est censé rembourser 148 milliards d’euros. Or les revenus annuels de l’Etat s’élèvent à 55 milliards d’euros. Le gouvernement du PASOK (socialiste) s’efforce désespérément d’obtenir un rééchelonnement de la dette. Mais même s’il y parvient, l’économie grecque est dans une telle impasse qu’une cessation de payement est inévitable.
Grèves générales
La classe ouvrière grecque est confrontée à l’explosion du chômage et à la baisse des salaires. Ces deux dernières années, les salaires ont baissé de 14 %, en moyenne. 850 000 travailleurs ont perdu leur emploi. Pendant ce temps, la classe dirigeante grecque dispose de 600 milliards d’euros dans des banques suisses – soit le double de la dette publique !
Après une pause de quelques mois, en 2010, les travailleurs reprennent l’offensive. Deux nouvelles grèves générales ont partiellement paralysé le pays, les 15 décembre et 23 février derniers. Dans les deux cas, toutes les grandes villes du pays ont connu d’importantes manifestations. A Athènes, plus de 70 000 personnes ont défilé dans les rues. Les salariés des transports publics constituent la colonne vertébrale du mouvement. Depuis près de trois mois, ils multiplient les arrêts de travail.
La grève générale du 23 février a été suivie à près de 100 % par les travailleurs des raffineries, des transports, des ports, du bâtiment, de l’industrie maritime, de la métallurgie, de l’électricité, du secteur bancaire, de la Poste, des télécommunications et de la Compagnie des eaux d’Athènes. Plus de 100 vols ont été annulés. Les écoles sont restées fermées. Les journalistes ont également participé au mouvement, tout comme le personnel des hôpitaux. Enfin, de très nombreux petits commerçants ont fermé leur boutique en signe de protestation.
Les slogans des manifestants exprimaient une radicalisation croissante : « Le peuple est en colère. A bas le gouvernement, l’Union Européenne et le FMI ! » ; « La révolution sera la solution ! » : « La solidarité est l’arme du peuple ! A bas la junte de l’Union Européenne et du FMI ! »
Autre symptôme important de la colère des jeunes et des travailleurs, beaucoup refusent de payer les tickets de transports publics ou les péages des routes nationales. Ce mouvement de désobéissance s’est développé à une échelle massive.
Crise politique
Pris en étau entre la lutte des classes et la dette publique, le gouvernement grec pourrait rapidement tomber. Des élections anticipées pourraient être organisées à court terme. Pour mettre en œuvre ses contre-réformes et ses coupes drastiques, la classe dirigeante a besoin d’une majorité parlementaire solide et stable. D’où la propagande en faveur d’un gouvernement de coalition (PASOK/droite). Cependant, les partis susceptibles de constituer une telle coalition ne cessent de perdre du terrain. Lors des récentes élections municipales, le PASOK a perdu 1 million de voix. De son côté, Nouvelle Démocratie (droite) en a perdu 500 000, cependant que LAOS – le parti d’extrême droite – n’a pas réussi à accroître sa base électorale, car il a soutenu toutes les mesures réactionnaires du gouvernement. Enfin, un nouveau parti de droite issu d’une scission de Nouvelle Démocratie, autour de Dora Bakoyani, n’est crédité que de 2 % des voix, dans les sondages, ce qui ne lui permettrait pas d’entrer au Parlement.
La classe dirigeante en vient à la conclusion qu’il y a des limites à la politique qu’elle peut imposer dans le cadre de la démocratie parlementaire actuelle. D’où la multiplication d’articles, dans la presse bourgeoise, en faveur d’un « gouvernement de technocrates ». Dora Bakoyanni a publiquement proposé de « limiter » le droit de grève. D’autres stratèges de la classe dirigeante défendent l’idée d’amender la constitution de façon à ce que l’exécutif puisse gouverner par décret.
Les capitalistes grecs sont terrorisés par les révolutions dans le monde arabe. Ils craignent à juste titre que les travailleurs grecs s’en inspirent. Il y a quelques semaines, le gouvernement a organisé un exercice militaire fondé sur l’hypothèse d’un soulèvement de masse dans les villes du pays. A terme, une section de l’armée et de la police pourrait prendre l’initiative de « restaurer l’ordre ». Avant que ce stade ne soit atteint, la classe ouvrière grecque aura plusieurs occasions de prendre le pouvoir. Mais les exercices militaires et les appels à limiter les droits démocratiques des travailleurs sont un avertissement qu’il faut prendre au sérieux.
Polarisation
L’intensification de la lutte des classes commence à se refléter dans les grandes organisations de la classe ouvrière. A l’initiative de Yiannis Dimaras, des cadres dirigeants du PASOK en appellent à la formation d’un nouveau parti de gauche. Parallèlement, une tendance de gauche est en cours de formation au sein du PASKE – la centrale syndicale liée au PASOK.
A gauche du PASOK, l’élément le plus significatif est la croissance de l’influence du KKE (le Parti Communiste). Lors des récentes élections municipales, ce parti a recueilli 10,5 % des voix, au plan national, soit 3 % de plus que lors des élections précédentes. A l’inverse, le front électoral de Synaspismos – l’autre formation se situation à gauche du PASOK – a stagné en pourcentage (4,5 %), mais a reculé en nombre de voix. Ce mauvais résultat électoral a aggravé la crise interne qui secoue le parti. Ses deux principales tendances sont elles-mêmes traversées par des divisions. Un nombre croissant de jeunes militants demandent ouvertement un tournant à gauche du parti.
Les grands événements qui sont à l’ordre du jour, en Grèce, accentueront encore cette polarisation au sein des organisations des jeunes et des travailleurs.