Cet article a été publié le 13 février 2015 sur In Defence of Marxism
Tsipras et son ministre des finances, Varoufakis, ont fait le tour des capitales européennes dans le but de rassembler des soutiens à leur politique de renégociation de la dette, mais n’ont rencontré qu’une franche hostilité. Les travailleurs de Grèce se rassemblent autour de ce qu’ils considèrent comme leur gouvernement, dans un mouvement qui pourrait encore s’amplifier dans les prochaines semaines.
La victoire de Syriza a marqué un tournant de la crise grecque et européenne. L’annonce de la mise en œuvre de certains points du programme de Thessalonique, qui représente, pour le peuple grec, la fin de l’austérité et du mémorandum, a semé un vent de panique au sein des marchés financiers et chez les stratèges du capitalisme européen.
L’opposition de Tsipras face à la Troïka s’est révélée extrêmement populaire chez les travailleurs et les jeunes. Ces deux dernières semaines, il y a eu des rassemblements et des manifestations de soutien au gouvernement à Athènes et dans plusieurs autres villes de Grèce. C’est un élément important de compréhension du conflit entre le gouvernement grec et l’Union européenne. Les masses grecques se sont mises en mouvement et sont désormais des actrices des évènements et non de simples spectatrices.
En fait, ce qui s’est passé hier est symptomatique de la situation actuelle. Selon différentes sources, Varoufakis, le nouveau ministre des finances grec, semblait avoir obtenu un accord impliquant la prolongation du programme de financement actuel. En Grèce, cela aurait été vu comme une reddition du gouvernement.
Le Financial Times prétend qu’il possède une copie du brouillon de cet accord, qui semble pencher dans le sens d’une solution de compromis avec le gouvernement grec. Le gouvernement grec a par la suite démenti la recherche qu’un tel accord, mais le Financial Times a déclaré : « Notre article est basé sur plusieurs sources provenant de multiples délégations, donc nous maintenons notre version. »
La pression des masses
Le problème, c’était qu’il y avait environ 30 000 personnes sur la place faisant face au parlement, à Athènes. Varoufakis, ainsi que Dragassakis, le vice-premier ministre grec, étaient fort loin de là à Bruxelles, mais Tsipras était à Athènes, tout près des manifestants en colère. Au final, ce sont les masses grecques qui ont sabordé toute tentative de compromission à Bruxelles.
Il a été rapporté que des économistes de la Berenberg Bank, suite à l’échec des négociations, auraient déclaré que : « Le véritable risque à Athènes semble être que Tsipras a soulevé un tel niveau d’attentes qu’il lui sera extrêmement difficile de revenir sur sa rhétorique et de conclure un accord que le reste de la zone euro puisse accepter. » (Ekathimerini, le 13 février 2015).
Les négociations doivent reprendre lundi et Varoufakis aurait dit qu’il espérait un « accord de guérison », ajoutant que « ne pas trouver de solution n’est pas au programme ». Cela pourrait indiquer qu’il y avait peut-être quelque chose de vrai dans ce que le Financial Times racontait. S’il en est ainsi, cela indiquerait également qu’il y aurait des divisions au sein du gouvernement Syriza sur cette question, entre ceux qui ne voient pas d’autre issue que de trouver un compromis avec l’UE et ceux qui sentent la pression des masses grecques qui n’ont, quant à elles, aucun désir de faire des compromis. Jusqu’à présent, la seule chose qui est ressortie de la réunion de l’Eurogroupe avec Varoufakis, c’est que les discussions vont continuer ce lundi.
Le nouveau gouvernement grec a clairement insisté sur le fait, indéniable, que l’accord de renflouement passé avec l’UE avait endommagé l’économie grecque. En conséquence et dans le but de trouver une sorte d’arrangement avec l’UE, le gouvernement Syriza a proposé de renégocier 30 % des obligations financières issues du plan de renflouement. Mais la Troïka a insisté sur le fait que les mesures d’austérité brutales imposées au peuple grec et acceptées par le précédent gouvernement grec n’étaient pas négociables et devaient être entièrement appliquées.
Ici, nous faisons face à des intérêts fondamentalement inconciliables : ceux des travailleurs grecs et ceux du capital financier européen. C’est un conflit de classe qui montre la vraie nature de la société dans laquelle nous vivons. Les travailleurs grecs veulent des salaires décents, des retraites décentes, une sécurité sociale et un système éducatif décent, de quoi nourrir leur famille et du travail. C’est ce pour quoi ils ont voté le 25 janvier, rejetant tous les partis qui avaient mis en œuvre l’austérité et les coupes budgétaires.
Le fait est que la classe capitaliste est incapable de donner tout cela sans puiser massivement dans les richesses et les profits qu’elle a accumulés. C’est encore plus vrai en cette période de crise organique mondiale du capitalisme.
Sous le précédent gouvernement de Samaras, les Grecs ont subi un effondrement sans précédent de leur économie, une pauvreté et un chômage massifs ainsi qu’une constante et incessante avalanche d’austérité.
Ils se sont battus vaillamment contre cela lors de plus de 30 grèves générales et manifestations de masse, mais le gouvernement continuait d’avancer inexorablement dans son offensive contre la classe ouvrière. C’est pourquoi les travailleurs et les jeunes grecs en ont finalement tiré la conclusion qu’un changement politique était nécessaire et qu’ils ont voté en nombre pour Syriza aux dernières élections.
Syriza a gagné sur la base d’un programme anti-austérité. C’est pourquoi, dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement de Syriza est immédiatement entré en conflit avec la Commission européenne et avec la Banque centrale européenne.
Le programme de Thessalonique
En septembre dernier, Alexis Tsipras, principal dirigeant de Syriza, a présenté le programme du parti, connu sous le nom de « Programme de Thessalonique ». Il faut dire, cependant, que cette plateforme était plus modérée que les 40 points défendus par Syriza lors des deux élections de 2012. Néanmoins, elle contient de nombreux points extrêmement progressistes qui, s’ils étaient appliqués, soulageraient les souffrances des travailleurs et des pauvres en Grèce.
Ce programme contient des mesures telles que l’augmentation immédiate de l’investissement public, l’annulation progressive des injustices du mémorandum, la reconstruction de l’Etat providence, l’effacement de la plus grande part de la valeur nominale de la dette grecque, l’arrêt des privatisations de biens publics, le rétablissement progressif des salaires et pensions, de l’électricité et des repas gratuits pour les 300 000 familles les plus pauvres, un effacement partiel de la dette des personnes qui sont désormais sous le seuil de pauvreté, la suspension des saisies de résidences principales valant moins de 300 000 euros, le rétablissement du salaire minimum à 751 euros sans exception pour les jeunes travailleurs, le rétablissement des négociations salariales collectives et de nombreuses autres revendications pour lesquelles les électeurs ont voté avec enthousiasme.
Il s’agit du programme le plus à gauche que nous ayons vu en Europe depuis de nombreuses années. C’est un authentique programme de réformes. Et c’est grâce à de telles revendications que Syriza a été capable de gagner les élections. On peut entendre, de la part des principaux dirigeants de la gauche traditionnelle tels que Hollande en France ou Miliband en Grande-Bretagne, que des revendications soi-disant « extrémistes » ne permettent pas de gagner les élections. Syriza nous prouve le contraire. Les revendications listées ci-dessus – qui ne sont pas du tout extrémistes, mais sont, bien au contraire, de modestes revendications des travailleurs – pourraient faire gagner les élections à la gauche dans toute l’Europe, si ses dirigeants avaient le courage de les défendre.
La question qui se pose à présent est : comment un tel programme peut-il être mis en œuvre et financé ? Il est clair que les institutions financières européennes ne vont pas fournir le niveau de financement nécessaire pour ce programme. Le dilemme auquel Tsipras fait face est que ce programme, quoique « raisonnable » pour les travailleurs, est complètement incompatible avec les intérêts de la classe capitaliste, aussi bien en Grèce qu’en Europe. En d’autres termes, le programme de Syriza devra aller loin pour satisfaire les besoins des travailleurs, mais cela se fera inévitablement aux dépens des profits des capitalistes.
Une leçon de démocratie bourgeoise
Sitôt élu, Tsipras a déclaré qu’il entendait s’en tenir au programme lui ayant permis de gagner. On pourrait imaginer que la volonté démocratique du peuple grec serait respectée par ses « partenaires européens ». C’est certainement la majorité qui décide dans un système démocratique ! Au lieu de cela, il lui a été dit qu’il devrait mettre de côté son programme électoral et continuer de mettre en œuvre le programme des partis qui avaient été vaincus : l’austérité.
Comme le président du parlement européen, Martin Schulz, l’a dit lors de sa récente visite en Grèce : « Syriza doit réaliser qu’elle est à présent le gouvernement grec et non un parti menant une campagne électorale. » Il a également ajouté qu’il attendait de Syriza qu’elle remplace sa rhétorique de campagne électorale par des « solutions pragmatiques qui puissent satisfaire les deux camps. »
Nous touchons ici à l’essence même de la démocratie bourgeoise : promettez au peuple tout ce que vous voudrez, mais, une fois élus, mettez en œuvre le programme du capital financier. Le problème, c’est que nous ne sommes pas dans une situation normale. Le capitalisme est dans une crise profonde et l’Europe est au cœur de cette crise. Cela explique pourquoi les événements en Grèce sont si importants.
Une économie mondialisée
Une des principales revendications de la campagne électorale de Syriza, l’annulation d’une grande partie de la dette publique de la Grèce, a immédiatement rencontré un rejet absolu de la part de l’UE et de la BCE. Tsipras a en fait renoncé à appliquer une telle promesse.
Afin de gagner un peu de répit pour son économie, il a appelé à un « prêt-relais » pour éviter que la Grèce soit en défaut de paiement à la fin du mois. Tsipras affirme qu’un tel répit permettrait aux deux parties de négocier calmement une meilleure solution pour la Grèce. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que même si un tel prêt était accordé, il ne ferait que retarder le problème de quelques mois. En ce qui concerne le remboursement de la dette globale, il a posé une condition centrale pour le gouvernement Syriza dans ses négociations avec l’UE : que les remboursements de prêts de la Grèce soient fonction du taux de croissance du pays, c’est-à-dire qu’il pourra être demandé à la Grèce de faire d’importants remboursements seulement lorsque son économie retrouvera la croissance.
Cela semble une demande raisonnable, compte tenu de la souffrance du peuple grec ces derniers temps. Si la Grèce pouvait atteindre des taux de croissance significatifs de l’ordre de 4 ou 5 pour cent sur une période prolongée, elle serait éventuellement en mesure de commencer à payer. Mais dans les conditions actuelles de l’économie européenne et mondiale, comment la Grèce pourrait-elle atteindre les niveaux de croissance nécessaires ?
Presque toute l’Europe stagne, le Japon est en récession, l’économie chinoise ralentit et entraîne avec elle le sud-est de l’Asie et la plupart des BRICS, avec le Brésil qui stagne et la Russie qui fait face à une grave crise économique. Dans ces conditions, tous les pays industrialisés cherchent des débouchés pour leurs exportations, en particulier l’Allemagne, qui exporte environ 50 % de son PIB.
Cependant, ce n’est pas uniquement une question de stagnation du marché mondial. Le problème est aggravé par le faible niveau de productivité grecque, qui est environ 30 % inférieur à celui de l’Allemagne. La raison en est que l’industrie allemande a des ressources technologiques beaucoup plus importantes, grâce à des niveaux d’investissement beaucoup plus élevés depuis de nombreuses années.
Par conséquent et sur la base du capitalisme, afin « d’exporter pour sortir de la crise », la Grèce devra augmenter massivement sa compétitivité. Cela peut se faire de deux façons : en modernisant son industrie ou en baissant les salaires des travailleurs.
La modernisation nécessiterait des investissements massifs de la part des capitalistes. Le problème est que les capitalistes investissent quand ils pensent qu’il existe pour leurs produits un marché en expansion qui permettrait de réaliser un niveau raisonnable de profit dans un laps de temps raisonnable. Dans l’état actuel de l’économie mondiale, les capitalistes n’investiront pas suffisamment en Grèce. C’est pourquoi ils préfèrent accroître leur compétitivité en réduisant les salaires des travailleurs et en les faisant travailler plus longtemps.
Tout ceci explique pourquoi les précédents gouvernements grecs s’étaient autant concentrés sur la réduction des salaires et la suppression des négociations collectives. Sur une base capitaliste, il est parfaitement logique d’agir ainsi. Les travailleurs grecs, cependant, voient cela d’une manière très différente, car ce sont eux qui en ont fait les frais, subissant une énorme baisse de leur niveau de vie.
Quatre millions de personnes vivent aujourd’hui dans la pauvreté (près de la moitié de la population). Un tiers des enfants souffrent de malnutrition ; 400 000 ménages sont sans revenu ; et un tiers des travailleurs vivent avec moins de 470 € par mois. Dans le même temps, les 10 % les plus riches des Grecs ont augmenté leur richesse.
Une tournée européenne
Ces deux dernières semaines ont vu Tsipras, le nouveau premier ministre, et son ministre des Finances Varoufakis faire une tournée de l’Europe et de ses principaux dirigeants nationaux, dans l’espoir de rassembler des soutiens autour de leurs propositions. Ils ont en général été accueillis froidement, parfois avec des mots polis – parfois non —, mais aucune avancée concrète permettant de répondre aux besoins réels du peuple grec n’en est ressortie.
Le gouvernement allemand, veillant aux intérêts de sa propre classe dirigeante, a maintenu une ligne dure exigeant que la Grèce s’en tienne aux mémorandums. En effet, la classe capitaliste allemande — tout en souhaitant préserver un marché européen le plus large possible pour ses exportations — ne veut pas payer la facture de la dette accumulée par la Grèce et les autres Etats d’Europe du Sud, membres de l’UE.
Nous sommes en présence ici d’un conflit insoluble. Les bourgeois allemands ont imposé l’austérité dans la zone euro. Ils exigent que chaque pays paie ses dettes. Pour que cela soit possible, tous les gouvernements nationaux sont contraints de réduire massivement les dépenses sociales afin d’équilibrer leurs budgets annuels et de trouver ainsi l’argent pour payer l’intérêt sur leurs dettes accumulées.
Le problème est que l’imposition de l’austérité induit la baisse du niveau de vie des gens, car ceux-ci perdent leurs emplois ou subissent des baisses des salaires. A son tour, cela conduit à une contraction du marché et donc à une baisse des ventes. Il s’agit d’un cercle vicieux qui n’offre aucune issue. Tout ceci n’aboutit qu’à une fuite constante de capitaux de ces pays vers leurs créanciers, qui continuent d’exiger toujours plus, d’autant qu’ils ne sont pas prêts à renoncer à ce qui leur est dû.
Merkel est également confronté à un problème politique. Tout signe « d’assouplissement » envers la Grèce serait interprété comme un transfert de la facture sur les contribuables allemands et augmenterait le soutien des partis situés à sa droite, comme l’AfD (Alternative für Deutschland — l’Alternative pour l’Allemagne).
Une position radicale
Avant que Syriza soit élu, tous les gouvernements européens suivaient scrupuleusement la politique d’austérité dictée par l’Allemagne, avec le soutien enthousiaste de la Hollande et de la Finlande [ces deux pays partageant fondamentalement les mêmes intérêts économiques que l’Allemagne, NDT]. En Grèce, cependant, les gens ont maintenant voté pour la fin de l’austérité et ils attendent que Tsipras tienne cette promesse. Cela explique la position radicale adoptée par le gouvernement Syriza.
La semaine dernière, lors d’un discours enflammé à son groupe parlementaire, Tsipras a dit, « la Grèce ne recevra désormais plus d’ordres… La Grèce n’est plus le partenaire misérable qui écoute les leçons pour ensuite bien faire ses devoirs. La Grèce a sa propre voix ». Et aussitôt la cote de popularité de Tsipras a grimpé à plus de 70 %, en hausse par rapport à la semaine précédente, avec 72 % de la population exprimant son soutien à sa confrontation avec la Troïka. Si Tsipras appelait à de nouvelles élections maintenant, il obtiendrait une victoire écrasante, car le peuple le voit essayer de réaliser ce qu’il a promis lors de la campagne électorale.
A travers toute l’Europe, les stratèges du capital sont maintenant alarmés. S’ils choisissent la confrontation jusqu’au bout, la Grèce pourrait finir par être chassée de l’euro et peut-être même de l’UE. Bien que l’économie grecque soit faible — seulement 2 % du PIB de la zone euro —, les conséquences de sa sortie, et le défaut de paiement inévitable qui s’en suivrait, auraient des répercussions bien au-delà de ses frontières. Cela déstabiliserait l’euro dans son ensemble, préparant le terrain pour une crise encore plus grande, impliquant des pays comme l’Italie et l’Espagne.
La zone euro fait déjà face à des pressions déflationnistes. Les stratèges du capital craignent que, si la déflation s’empare de l’économie européenne, ce soit le début d’un cercle vicieux dont il serait difficile de sortir. D’où la récente décision de la BCE d’adopter l’assouplissement quantitatif, ce qui signifie faire tourner la planche à billets, une tentative désespérée d’empêcher que l’économie tombe dans une dépression. De plus, une crise en Europe mettrait fin à la faible reprise dans d’autres parties du monde, notamment en Amérique du Nord.
Cela explique pourquoi Obama et le premier ministre du Canada ont exercé des pressions sur les responsables de l’UE pour qu’ils trouvent une sorte de compromis avec la Grèce. Ils craignent qu’un mauvais dénouement de la crise grecque n’ait de graves répercussions sur l’économie mondiale dans une période où la croissance est si fragile.
Le problème auquel sont confrontés les responsables de l’UE est que toute concession importante à la Grèce serait interprétée par le Portugal, l’Espagne, l’Italie et d’autres Etats membres comme une invitation à demander des concessions. En Espagne, nous avons vu la montée fulgurante du parti anti-austérité Podemos. Toute concession sérieuse au gouvernement Syriza renforcerait Podemos, qui pourrait gagner la prochaine élection générale en Espagne.
Si la Grèce est autorisée par la troïka à poursuivre un programme de rétablissement du salaire minimum, d’interdiction des saisies immobilières, de réembauche des fonctionnaires, etc., l’impact sur l’opinion publique dans ces pays serait énorme. Les gens se demanderaient, à juste titre : si la Grèce peut arrêter l’austérité, pourquoi ne pourrions-nous pas le faire ? Et l’évidente réponse à cette question serait : nous avons besoin de nous débarrasser de ces partis gouvernementaux de droite qui appliquent l’austérité et d’élire un gouvernement de type Syriza.
Un ministre du gouvernement irlandais a déjà déclaré que tout nouvel accord donné à la Grèce devrait aussi s’appliquer à l’Irlande. Si elle devait faire d’importantes concessions à la Grèce, la troïka serait alors aux prises avec un problème beaucoup plus grave à travers toute l’Europe !
Pas de compromis à long terme possible
Cette dernière semaine, Tsipras et Varoufakis ont fait un certain nombre de déclarations contradictoires, qui reflètent les pressions des différentes classes qu’ils subissent. Varoufakis a déclaré que la direction de Syriza accepte 70 % de ce qui a été convenu avec le gouvernement Samaras, ajoutant également que traiter avec les forces réactionnaires est « parfois nécessaire ».
Tsipras a dit que la Grèce a l’intention de respecter ses engagements et souhaite rester dans l’euro et l’UE. Avant même les élections, Tsipras a écrit un article pour le Financial Times, dans lequel il a déclaré que : « Un gouvernement Syriza respectera les obligations de la Grèce, en tant que membre de la Zone euro, à maintenir un budget équilibré, et s’engagera à respecter des objectifs quantitatifs. »
C’est la quadrature du cercle. Si la Grèce reste dans l’UE et la Zone euro, elle sera contrainte de se conformer aux diktats du capital européen.
La dette globale de la Grèce s’élève à 321 milliards d’euros et elle a déjà emprunté 240 milliards d’euros à l’UE, la BCE et le FMI (la tristement célèbre Troïka). Depuis le début de la crise, la dette publique a augmenté de 125 % du PIB à près de 180 %. Dans la même période, le PIB a diminué de 25 % au total. Afin de rembourser cette dette, la Grèce aura besoin de niveaux très élevés de croissance pendant de nombreuses années, ce qui est impossible dans un avenir proche.
Face aux conséquences importantes en Europe et à l’échelle mondiale d’un défaut de paiement grec, un compromis temporaire pourrait être trouvé dans les prochains jours. Lundi, nous verrons quel accord est possible, le cas échéant. Une proposition en 10 points est proposée par Syriza, incluant une réduction de l’objectif d’excédent pour le budget primaire, en 2015, de 3 % à 1,5 %. En échange d’une proposition de compromis, le gouvernement dirigé par Syriza espère recevoir le solde de 7 milliards d’euros du plan de sauvetage de l’UE.
Cela couvrirait les engagements du gouvernement jusqu’en juin. Ainsi, même dans le meilleur des cas, cela ne ferait que retarder de quelques mois l’inévitable. Tout compromis à court terme, sous la forme d’un prêt, ne ferait que donner un court répit durant lequel les négociations traîneraient sans qu’aucune des deux parties parvienne à un compromis global.
Un compromis à court terme et des concessions de l’UE ne sont donc pas exclus. D’après les dernières nouvelles, la Banque centrale européenne a accordé un autre prêt d’urgence de 5 milliards d’euros aux banques grecques, ce qui porte le total qu’elles ont reçu à ce jour par le biais de l’ELA (Emergency Liquidity Assistance) à 65 milliards d’euros. Cela semble indiquer que les dirigeants de l’UE ne souhaitent pas une crise bancaire en Grèce. Le problème, cependant, est que l’argent est actuellement retiré des banques grecques à un taux de 200 à 300 millions d’euros par jour. Si aucun accord n’est trouvé lundi, le risque est que ces retraits augmentent fortement, provoquant une ruée massive vers les banques.
Cela montre l’ampleur de la crise, et même si, à court terme, des mesures bouche-trous temporaires étaient acceptées, elles ne résoudraient pas le problème fondamental. La vérité est que la dette de la Grèce ne peut pas être honorée et rien ne peut changer cet état de fait.
Les créanciers ne renonceront pas aux dettes qui leur sont dues. Surtout qu’ils ont déjà accepté de soi-disant « rabais » dans le passé. Par conséquent, tant que la Grèce sera dans l’UE et l’euro, elle sera soumise à une pression insupportable pour trouver des ressources afin de payer la dette et ses intérêts. Cela signifie plus d’austérité, pas moins.
La détermination des travailleurs grecs
Le Peuple grec, malgré tout, a voté pour mettre fin à l’austérité et n’est pas prêt à supporter d’autres coupes dans son niveau de vie. Pour preuve, la semaine dernière et hier des dizaines de milliers de manifestants se sont groupés devant le parlement pour montrer leur soutien au gouvernement. Les masses ne vont pas rester les bras croisés, mais vont soutenir activement ce qu’elles considèrent comme leur gouvernement.
L’élection de Syriza et, avant tout, le fait que Tsipras semble rester ferme sur ses engagements électoraux, a changé les esprits en Grèce. Un sentiment de confiance se développe. Certaines des mesures annoncées ont eu une grande importance symbolique, c’est le cas, par exemple, de la réembauche des agents d’entretien du Ministère des Finances qui avaient mené une lutte héroïque pour défendre leurs emplois, ou de la remise en fonction de la chaîne publique ERT, qui avait été occupée par ses salariés lorsqu’elle avait été fermée par le précédent gouvernement…
Les déclarations et les décisions provocatrices des représentants de l’UE, de la BCE, de la Commission européenne et d’autres ont provoqué une colère légitime en Grèce.
Cet état d’esprit doit être transformé en un mouvement organisé. Dans chaque quartier et chaque entreprise, il devrait y avoir des comités unitaires d’action contre l’austérité et le chantage de la Troïka. Les travailleurs doivent se mobiliser pour s’assurer que le gouvernement ne fasse aucune concession et applique intégralement son programme, comme Tsipras l’a justement annoncé.
Ce n’est qu’à travers ces combats que les travailleurs grecs pourront prendre confiance en leurs propres forces et en celles de leurs frères et sœurs de classe du reste de l’Europe. Aucune astuce de négociateur ni aucun tour de passe-passe sémantique ne peuvent dissimuler le fait que les demandes électorales de Syriza sont en totale contradiction avec le mémorandum d’austérité imposé par la Troïka.
En même temps, chaque fois que des ministres de Syriza ont annoncé qu’ils allaient respecter leur programme, les capitalistes ont répondu par des déclarations de guerre de facto. Comme nous l’avons vu, il y a eu une petite ruée sur les banques depuis l’annonce des nouvelles élections en décembre. Dans le seul mois de janvier, 11 milliards d’euros en ont été retirés.
La bourse a connu quotidiennement de violentes secousses selon les intentions supposées du gouvernement de faire des concessions à la Troïka ou de rester ferme. En tout, depuis que les élections ont été annoncées, elle a perdu 20 % de sa valeur, à commencer par les actions bancaires. Cela prouve que, au-delà même des négociations de Bruxelles, les marges de manœuvre du gouvernement sont extrêmement restreintes.
La Tendance Marxiste Internationale est solidaire du peuple grec contre les meutes de loups de l’UE, de la BCE et du FMI. Nous disons à Tsipras : « appliquez le programme de Thessalonique ».
Néanmoins, nous disons aussi que, pour appliquer ce programme, il faut trouver les moyens de le financer. Vous ne pouvez pas compter sur l’UE pour apporter les fonds nécessaires. Toute aide de sa part sera conditionnelle. Mais l’argent est là : dans les mains des oligarques, de la classe capitaliste qui a plus qu’il n’en faut pour subvenir à tous les besoins du peuple. Dans le même temps, il est urgent de lutter contre la guerre économique que les capitalistes mènent sous la forme d’une fuite de capitaux.
C’est pourquoi le programme de Thessalonique ne peut être appliqué qu’en expropriant les grandes entreprises et les intérêts capitalistes. Dès que le gouvernement de Syriza aura cette richesse en son pouvoir, il pourra financer toutes les réformes qu’il a promises.
Solidarité internationale
Les travailleurs grecs ne sont pas seuls dans leur lutte. Les yeux de la classe ouvrière européenne sont tournés vers la Grèce. Les travailleurs d’Europe attendent la fin de l’austérité. Ils sympathisent instinctivement avec l’attitude des dirigeants de Syriza. En Espagne est déjà apparu le phénomène Podemos. Si la Grèce montre que l’austérité peut être stoppée, cela aura un écho immense en Europe.
En 2012, Karatzaferis, un politicien bourgeois de droite, avait déclaré que les politiques imposées à la Grèce par Merkel préparaient la première étape de la « révolution européenne », ajoutant que « la Grèce allumerait le feu de la révolution européenne ».
Ces mots sont encore plus vrais aujourd’hui. Les dirigeants de Syriza n’ont devant eux que deux options. La première est de rester sur la corde raide, de tenir aussi longtemps que possible avant de plier sous la pression de l’UE, de battre en retraite et de consentir aux mesures d’austérité que demande la bourgeoisie européenne. Si le gouvernement fait ce choix, la déception des masses qui l’ont élu ouvrira la voie à un possible retour des forces réactionnaires.
L’autre option est d’utiliser les négociations pour dévoiler la vraie nature de l’UE aux yeux des masses grecques et ensuite d’appliquer intégralement le programme prévu. Cela nécessitera d’annuler la dette extérieure et de nationaliser les banques et les grandes entreprises de Grèce. Cela « n’isolera » pas du tout la Grèce, mais au contraire, la transformera en un phare pour les masses d’Europe, en un exemple qu’elles pourront suivre.