Depuis plus de 20 semaines, les 200 tutrices et tuteurs de la TÉLUQ sont en grève pour sauver leurs emplois. L’université à distance veut éliminer leurs postes et les remplacer par des professeurs contractuels moins rémunérés et qui consacreraient moins de temps à l’encadrement des étudiants. L’université cherche à faire des économies au détriment de la qualité de l’enseignement. En plus de lutter pour préserver de bons emplois qualifiés et syndiqués, les travailleurs de la TÉLUQ mènent un combat essentiel pour préserver un modèle d’éducation accessible et de qualité.
Affiliée à l’Université du Québec, l’Université TÉLUQ offre des cours à distance à plus de 20 000 étudiants au travers la province. Depuis quelques années, l’université cherche à implanter un nouveau modèle d’éducation qui minimise le suivi personnalisé des étudiants qui est présentement assuré par les tuteurs, qui sont des enseignants qualifiés, dont la majorité a une maîtrise ou un doctorat. Les étudiants qui suivent une formation à distance à la TÉLUQ sont généralement des travailleurs qui concilient travail, famille et études. Plus de 70% d’entre eux sont des femmes et 80% des étudiants suivent leurs cours à temps partiel. L’université à distance rend l’éducation accessible pour de nombreux travailleurs qui ne pourraient autrement suivre une formation. Pour pallier aux difficultés de l’apprentissage à distance, le soutien personnalisé et l’encadrement par les tuteurs sont essentiels.
En marge du congrès du Conseil central du Montréal métropolitain-CSN qui se tient cette semaine à Montréal, une camarade de La Riposte syndicale s’est entretenue avec Roselyne Fortier, une tutrice en grève. Celle-ci a expliqué :
« L’enjeu principal du conflit c’est la qualité de l’enseignement et de garder nos postes, parce que l’employeur tente de nous éliminer pour nous remplacer par des professeurs sous contrat qui vont être payés moins cher et qui vont faire moins d’heures d’encadrement que nous auprès des étudiants. Donc, nous on craint beaucoup pour la perte de la qualité de l’enseignement à la TÉLUQ parce que ces professeurs sous contrat n’ont pas d’expérience, alors que les tuteurs ont en moyenne 15 années d’expérience à la TÉLUQ, donc on est habitué d’encadrer les étudiants et de leur prodiguer un bon soutien. »
Sans convention collective depuis deux ans, les négociations entre les travailleurs du Syndicat des tutrices et tuteurs de la Télé-Université (STTTU) et la TÉLUQ n’avancent toujours pas. La partie patronale refuse tout compromis, comme nous l’a dit Roselyne Fortier : « Ils restent campés sur leur position d’un « nouveau modèle d’encadrement », c’est comme ça qu’ils appellent ça. Il y a eu trois rencontres de négociation depuis qu’on est en grève depuis 20 semaines, presque 5 mois, et il n’y a vraiment pas grand-chose qui bouge. Au début des négociations avant la grève, ils nous ont fait une offre, puis ils sont revenus sur leur position en janvier. » C’est à ce moment que les travailleurs sont entrés en grève illimitée, suivant le mandat de grève voté à 84% en novembre dernier.
En fait, la lutte contre l’administration dure depuis 2016. À cette époque, la TÉLUQ avait confié un contrat à une entreprise privée, l’Institut MATCI, pour assurer les services d’encadrement des étudiants. L’université avait alors renvoyé 20% des tuteurs. Cette mesure, conforme au « nouveau modèle d’encadrement » que cherche à implanter la TÉLUQ, avait été réalisée de manière illégale, en secret, sans appel d’offres et en violation des lois concernant les établissements publics et d’enseignement. L’an dernier, la ministre de l’Enseignement supérieur avait suspendu le directeur général de la TÉLUQ et procédé à une enquête qui avait mené à la rupture du contrat avec l’Institut MATCI. Mais la direction de la TÉLUQ n’a pas cessé ses attaques. La création d’un nouveau poste de « professeur sous contrat » pour assurer l’encadrement des étudiants est une autre façon qu’a trouvée la TÉLUQ d’éliminer les emplois bien rémunérés et syndiqués des tuteurs.
Par ailleurs, les patrons de la TÉLUQ usent de tous les moyens pour se soumettre les travailleurs et arriver à leurs fins. L’an dernier, l’administration avait retiré à la présidente du STTTU, Nancy Turgeon, ses affectations d’étudiants, la privant ainsi de salaire. Mais la Cour a rabroué l’université pour cette manoeuvre illégale qui bafoue la liberté syndicale. De plus, bien avant que la grève n’éclate, l’administration a tenté, en envoyant des mises en demeure, de museler le syndicat qui dénonçait la privatisation des services d’enseignement qu’avait entamée la TÉLUQ. Également, la rumeur plane que des briseurs de grève auraient été embauchés pour assurer la charge de correction des tuteurs.
Si, jusqu’à présent, l’université demeure intransigeante dans les négociations, la grève met toutefois une grande pression sur celle-ci. C’est ce que comprennent bien les grévistes, comme nous l’a indiqué Roselyne Fortier : « On a un bon rapport de force, parce que c’est un important manque à gagner pour la TÉLUQ. » Les répercussions financières de la grève sont effectivement très importantes, alors que les inscriptions pour le trimestre d’été ont baissé de 60%. De plus, pour éviter le fiasco de devoir rembourser les frais de scolarité aux étudiants affectés par la grève, l’université a décerné à certains d’entre eux une note S pour « exigences satisfaites » sans qu’ils aient même complété toutes leurs évaluations.
Il est clair que les dirigeants de l’université se préoccupent davantage de son portefeuille que de la qualité de l’éducation offerte. Le STTTU dénonce avec raison le manque de sérieux de l’Université quant aux résultats scolaires et s’inquiète du fait que l’université pourrait offrir des diplômes à rabais. Cette situation démontre la nécessité que le système d’éducation puisse être non seulement public, mais également contrôlé démocratiquement par les professeurs, tuteurs, et par l’ensemble du personnel et des étudiants. Ceci comprendrait un contrôle de l’embauche par les syndicats, ce qui préviendrait l’ingérence des intérêts privés et des sous-traitants dans notre système d’éducation.
Si les tutrices et tuteurs ont reçu des appuis syndicaux, notamment celui des syndicats des chargés de cours associés à la Fédération des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ), les professeurs de la TÉLUQ se sont malheureusement désolidarisés de leurs collègues dans une lettre ouverte. Cela démontre un étroit esprit corporatiste qui ne peut que nuire à la lutte. De plus, les attaques contre les tutrices et tuteurs de la TÉLUQ s’inscrivent dans le contexte plus large de menace à la qualité de l’éducation et d’érosion des bons emplois syndiqués au profit d’emplois à contrat, plus précaires. Cette une tendance que nous observons dans d’autres domaines également. Cette course vers le bas que nous voyons sous le système capitaliste doit être combattue par l’ensemble des travailleurs et des travailleuses. Aujourd’hui, ce sont les tutrices et tuteurs; demain, ce sera un autre secteur de la classe ouvrière. C’est pourquoi tous les travailleurs de l’éducation et les centrales syndicales doivent se ranger derrière les tutrices et tuteurs.
Non à la sous-traitance dans les universités!
Pour une éducation publique et de qualité!
Pour le maintien des bons emplois syndiqués!