La situation économique, sociale et politique en Haïti continue de se détériorer. Les manifestations anti-gouvernementales se sont poursuivies au dernier trimestre de cette année. Et face à ces soulèvements répétés contre le régime, Jovenel Moïse ne fait qu’utiliser la police et les gangs pour massacrer et terroriser les masses populaires dans les rues et quartiers défavorisés.
Malgré la terreur et l’intimidation visant la conservation du pouvoir, les masses populaires continuent à fouler le macadam pour exiger la démission de Jovenel Moïse et consorts. Alors qu’approche la fin de son « mandat présidentiel », le 7 février 2021, le peuple continue à dénoncer sa misère fabriquée par cette classe dirigeante. Cela était évident avec les manifestations massives de l’opposition le 10 décembre 2020. À chaque minute de plus au pouvoir, crie encore le peuple, « Jovenel et consorts nous enfoncent de plus dans la vallée de l’ombre de la faim, de l’insécurité et de la mort! »
Si pour certains membres de l’opposition structurelle fragmentée, le mandat du président va prendre fin cette année, pour le peuple c’est à l’instant même.
La criminalité d’État
Quand les outils idéologiques du capitalisme ne peuvent plus assujettir le peuple, il ne lui reste que la répression.
Les crimes se multiplient et s’imposent en ce moment comme un grand fléau qui détruit au jour le jour la population. Les massacres et les exécutions sommaires concoctés par le pouvoir ne cessent d’amplifier la colère de nombreux secteurs dans la société. Plusieurs professionnel(les), universitaires et écolier(es) sont kidnappés, violés et assassinés par cette même vague de terreur systématisée. À signaler que plusieurs de ces cas d’assassinats sont effectués par les sbires de ce pouvoir, quelquefois dans les périmètres de la résidence privée du président ou du palais national. Sans oublier que dans cette même période, beaucoup d’autres cas de kidnapping en série ont été enregistrés sur tout le territoire.
Comme ça a toujours été, c’est la classe exploitée, défavorisée qui est la principale victime de ces représailles. Cette forme de répression s’inscrit dans une stratégie de dépolitisation de cette couche et a pour but de détourner le peuple de ses revendications principales. Étant donné que cette couche est la victime immédiate de ces bagarres et qui, par conséquent, peut chambarder radicalement ces pratiques, la classe dirigeante vise à l’intimider pour éviter toutes formes de dénonciation des gabegies administratives et politiques : dilapidation des fonds de la CIRH (Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti) et de PetroCaribe, ldifférents massacres organisés par ce régime et lmisère atroce que le peuple affronte au quotidien.
Mais, cette pratique exercée par la police et les gangs ne peut retenir la colère du peuple qui ne cesse jamais de souligner la compromission de l’État avec les gangs, qui laisse empirer à volonté la situation de l’insécurité pour pouvoir se maintenir au pouvoir par la voie du chaos et du sang. La population refuse de laisser faire de telles atrocités et cherche par sa lutte à mettre fin à ce régime barbare.
L’insécurité, reflet de la lutte économique
Comment comprendre le fait que l’insécurité qui gangrène le pays soit légitimée et légalisée par l’État?
Ce serait une mauvaise interprétation que de considérer ce fléau comme simple fait isolé, produit du hasard dans notre société qui, depuis des siècles, est soumise à l’influence d’un ordre social et économique enrichissant un petit groupe. Il n’est pas tombé du ciel. Il s’agit d’une forme de violence de classe exercée contre une autre. Dans cette société où l’économie est à un stade rétrograde, avec une force de production faible et déficiente, l’insécurité organisée par l’État bourgeois est apparue comme une déformation de la société où la bourgeoisie utilise l’insécurité, la pauvreté et l’exploitation impitoyable de la classe ouvrière et des pauvres pour compenser des gains que la production réelle ne peut pas donner vu l’état faible de l’infrastructure industrielle. Ce sont les pauvres qui souffrent et se plaignent davantage de ces effets.
D’ailleurs, il faut remarquer qu’en dépit de la haute montée des crimes, les entreprises continuent de fonctionner normalement comme si tout allait bien au pays. Les patrons n’éprouvent aucune panique face au calvaire que représentent ces troubles sociaux pour la classe exploitée. En plus, ils ont leurs propres groupes de gangs attachés, payés pour continuer la répression sur les ouvriers à chaque tentative de manifestation exprimant leurs souffrances et leur mécontentement. Ces patrons ont à leur disposition le pouvoir étatique qui les autorise à s’enrichir non seulement par l’exploitation, mais également par la corruption des institutions; pour arriver à cette fin, tous les mauvais moyens sont bons.
Prenons l’exemple du Parc industriel de Caracol. Le personnel de direction se vante ouvertement dans les médias que tout va bon train pour les entreprises du parc, et va recevoir plus de 65 millions de dollars de la Banque interaméricaine de développement pour l’exécution du plan d’extension du parc, notamment pour de nouvelles constructions. Rodolphe Daniel, directeur du Parc industriel de Caracol, l’a confirmé. Interviewé par Le Nouvelliste, le 9 novembre 2020, il affirmait que globalement, le parc « se porte très bien en dépit de la Covid-19, des épisodes de peyi lòk, des pannes d’essence ». Ce représentant des patrons s’est prononcé avec sérénité et audace pour dire que depuis un an et demi le parc travaille sans interruption avec ses 16 800 ouvriers et que toutes les mesures ont été prises pour créer des conditions meilleures pour ces travailleurs. Ces mensonges sur la situation des travailleurs de Caracol, comme ceux des autres industries, font partie de la nature des patrons. Ceux-ci sèment des illusions pendant qu’en vrai les ouvriers sont en train de vivre les pires moments de leur vie, depuis leur zone de résidence jusqu’au sein des usines.
Les ouvriers sont en majeure partie ceux qui habitent les quartiers populaires les plus tourmentés et insécuritaires du pays, des ghettos dirigés par des groupes de gangs armés, semant la terreur à longueur de journée. Dès l’aube ils doivent laisser leur maison, malgré les risques de violences et de fusillades par les gangs, s’ils ne veulent pas perdre leur emploi, puisque leur employeur n’aura aucune considération pour les risques qu’ils subissent.
Par conséquent, cette classe exige le respect et la garantie de ses droits inaliénables, du pain à la place de la guerre intestine, sociale et économique. Le droit au travail émancipé, l’éradication du système capitaliste et le gouvernement bourgeois en passant par le déchoquage du PHTK (Parti Haïtien Tèt Kale) est le seul moyen pratique et concret de garantir ce bonheur collectif.
Toutefois, les revendications et la volonté populaire ne sont pas prises en compte dans les mascarades que font le pouvoir et quelques groupes de l’opposition. Le peuple dépasse la lutte superficielle entre l’opposition et le pouvoir, celui-là pour la prise du pouvoir et celui-ci pour le conserver. Jovenel a publié des décrets gouvernementaux sur l’établissement d’une agence d’intelligence et pour une nouvelle constitution. De tels actes confirment l’autoritarisme et l’obscurantisme de ce régime voulant piétiner tous les acquis historiques du peuple haitien. Le pouvoir veut tout contrôler pour réprimer. La fédération de gangs et l’instrumentalisation de la Police nationale d’Haïti en était déjà la preuve. Ni une modification de la constitution, ni la prise du pouvoir par l’opposition ne peuvent améliorer le sort de la classe pauvre, qui souffre de famine, d’analphabétisme et d’insécurité.
Nonobstant cette précarité généralisée planifiée, le peuple ne baisse pas la tête, il tient son combat. À chaque moment qu’on le croit s’effondrer dans ses peurs et résignations, il rebondit de plus bel avec sa voix, ses chansons, ses slogans, ses barricades, ses pancartes, et regarde ses adversaires et frappe. Le mouvement populaire haïtien se poursuit et a vocation à chambarder l’actuel état social et politique du pays. Rien ne peut le remplacer, puisque lui seul est capable de broyer la bourgeoisie, les politiciens corrompus et leur politique mafieuse et destructive du bien-être. La fin du régime de Jovenel est proche, ce malin criminel. Les magnats du commerce qui pillent le pays sont appelés à être noyés dans le flot de l’histoire.
L’unité de classe pour renverser Jovenel Moïse
Ce qui reste à faire pour en finir avec le régime du PHTK n’est pas au-dessus des forces morales et matérielles du mouvement révolutionnaire de la masse haïtienne. Il faudrait que l’unité des masses se réalise à travers un front uni soutenu par les diverses organisations du mouvement. Les luttes de fractions entre les secteurs de l’opposition, leurs opportunismes et leurs postures petits-bourgeois en quête de compromission ou de négociation avec le pouvoir constituent un obstacle à la victoire finale; si rien ne change, on risque de reproduire les mêmes erreurs du passé, c’est à dire d’aider l’ennemi du peuple à se perpétuer malgré toutes les énergies dépensées par les masses pour maintenir leur lutte.
Il n’y a pas de voie à suivre pour le mouvement de masse en Haïti sur la base du capitalisme et la politique et des parlements bourgeois. Comme nous l’avons souligné dans un article précédent, l’ancien cadre politique du pays se désintègre en raison de la crise du capitalisme mondial et de l’intensification de la lutte des classes. La classe dirigeante ne peut plus gouverner comme elle l’a fait dans le passé. C’est pourquoi Jovenel s’oriente vers la réécriture de la Constitution et vers la dictature.
Mais qu’en est-il de la direction des partis d’opposition et du mouvement en général? Moise Jean-Charles et son parti politique les Pitit Desalin appellent à un nouveau régime. Lavalas, dirigé par l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, par exemple, a également appelé à un nouveau régime en Haïti. Dans une récente déclaration de la direction Lavalas, le parti dénonce correctement le coup d’État électoral du PHTK et condamne les gangs et les massacres. Lavalas reproche également à juste titre à Jovenel et au PHTK de vouloir « remplacer la constitution du pays par une autre déjà préparée sans l’apport du peuple ». Il expose également les mouvements de Jovenel vers la dictature, affirmant qu’« ils continuent à déclarer la guerre à la population en versant de l’huile sur le feu de la dictature ».
Lavalas a proposé un « gouvernement de sécurité publique » qui unirait « toute la nation ». Ce n’est pas clair ce que cela signifie, mais si cela signifie une autre constitution bourgeoise avec un parlement bourgeois, ce ne serait pas fondamentalement différent de ce qui existe actuellement. En fait, ce qui existe maintenant se désintègre sous la pression de la crise économique, de la pandémie et de la lutte des classes. Donc, en réalité, cela ne représenterait aucun changement.
Comment un tel « gouvernement de sécurité publique » pourrait-il unir « toute la nation » alors que la nation est fondamentalement divisée entre la classe capitaliste d’un côté et la classe ouvrière et les pauvres d’un autre côté? Un gouvernement bourgeois régnera dans l’intérêt de la classe capitaliste, et donc aucune unité n’est possible sur cette base. De nombreux opportunistes de l’opposition proposeront quelque chose qui ressemble exactement au statu quo, seulement avec eux au pouvoir au lieu de Jovenel. Ou peut-être proposeront-ils quelque chose comme un retour à la Constitution de 1987. Mais ce n’est pas du tout une solution à la crise, cette proposition conduira finalement à la même situation que nous avons maintenant.
L’opposition bourgeoise et petite-bourgeoise lance de vagues appels à un régime de transition où elle détiendra le pouvoir. Malgré des phrases sur la démocratie et les droits de l’homme, ils ne veulent vraiment remplacer Jovenel que par leur propre gang d’escrocs. Un tel régime ne signifierait aucun changement fondamental pour les travailleurs et les pauvres et signifierait la poursuite de l’instabilité et du chaos.
La classe ouvrière ne peut pas se laisser berner en soutenant une aile de la bourgeoisie contre une autre. La classe ouvrière et les organisations socialistes et ouvrières doivent lutter pour une rupture radicale avec le pouvoir de la bourgeoisie. Un régime de transition est nécessaire, oui, mais un régime de transition basé sur la domination de classe de la bourgeoisie ne résoudra pas la crise. Les travailleurs et les pauvres doivent se battre pour leurs propres intérêts de classe et appeler à un régime de transition ouvrier, un régime basé sur les intérêts de classe des travailleurs et des pauvres et sur la démocratie ouvrière.
À cette fin, nous devrions lutter pour un front uni des organisations socialistes et ouvrières tel que le concevait Lénine. Nous sommes en faveur d’une action unie par la classe ouvrière, la gauche et les organisations ouvrières contre ce régime. Les organisations socialistes et ouvrières ne fusionnent pas, elles ne mélangent pas leurs bannières politiques et n’ont pas besoin d’adopter les programmes des autres, mais elles doivent rester unies dans leurs actions contre le pouvoir de Jovenel et le règne de la bourgeoisie. Nous devons tous être unis dans la lutte pour mettre fin au régime. Comme le disait Lénine, « marchez séparément mais frappez ensemble! »
Il y a des appels à un gouvernement de transition après la fin du mandat de Jovenel, ou des appels à un gouvernement de transition pour remplacer son régime. Mais, une transition serait également très instable. Si la situation devient trop instable en Haïti, une autre intervention internationale pourrait également être possible. L’ONU est discréditée en Haïti, mais elle pourrait encore revenir ou l’une des puissances impérialistes pourrait envoyer des troupes pour maintenir le contrôle. Cela poserait des problèmes à l’opposition et pourrait même faire taire certaines parties de l’opposition. D’autres membres de l’opposition pourraient même soutenir les troupes étrangères afin d’obtenir la stabilité. Certains dans l’opposition peuvent voir un chemin vers le pouvoir pour eux-mêmes basé sur une intervention internationale. Mais les troupes étrangères ne résoudraient fondamentalement rien.
Nous devons également garder à l’esprit que la lutte des classes ne s’arrête pas avec la fin du régime de Jovenel. Quoi qu’il arrive avec son régime, nous ne pouvons pas oublier la lutte de classe, nous ne pouvons pas oublier les intérêts de classe des ouvriers et devons continuer à lutter contre la bourgeoisie. Si un régime de transition bourgeois devient une possibilité réelle, soit à travers la dynamique interne de la situation dans le pays, soit à la suite d’une intervention impérialiste, la classe ouvrière doit lutter contre la domination de classe de la bourgeoisie et lutter pour un régime de transition ouvrier. Si la classe des travailleurs n’arrive pas au pouvoir, Haïti demeurera en situation d’instabilité et de chaos et la bourgeoisie tentera d’imposer une dictature dans l’illusion de parvenir à la stabilité.
Le peuple haïtien a déjà été dans cette situation. Le gouvernement de la bourgeoisie est corrompu et incompétent et finit toujours par tomber, pour être remplacé par un autre gouvernement de la bourgeoisie tout aussi corrompu et incompétent. Ce qu’il faut en Haïti, c’est une rupture totale avec la politique de la bourgeoisie et des impérialistes. Les travailleurs eux-mêmes doivent prendre le pouvoir, créer leur propre pouvoir et gouverner dans l’intérêt général de la société : voilà le seul moyen de sortir de l’impasse.