Les États-Unis connaissent actuellement une vague de grèves inspirante. Le géant qu’est la classe ouvrière américaine relève la tête après 18 mois de pandémie durant lesquels elle a porté la société à bout de bras. Avec l’inflation à la hausse, le pouvoir d’achat diminue, mais des dizaines de milliers de travailleurs américains refusent de se laisser manger la laine sur le dos. Le mouvement ouvrier au Québec et au Canada doit suivre l’exemple de nos confrères et consoeurs de classe au sud de la frontière.

Striketober

Sous le slogan de #striketober, au moins 100 000 travailleurs ont voté pour la grève au cours du mois d’octobre aux États-Unis. Les grèves ont lieu à travers divers États et industries. 

Autour de 34 000 infirmières et autres travailleurs de la santé de Kaiser Permanente en Californie et en Oregon se sont dotés d’un mandat de grève ce mois-ci. 

Les 10 000 employés du fabricant de tracteurs John Deere ont commencé à débrayer le 14 octobre. Une autre grève importante chez les 1400 employés de Kellogg’s a été déclenchée le 5 octobre.

À la dernière minute, la direction syndicale de l’Alliance internationale des employés de scène, de théâtre et de cinéma (IATSE) a annulé une grève prévue qui allait paralyser Hollywood après avoir reçu une offre patronale. Mais la question est loin d’être réglée et la colère règne chez les 60 000 membres de la base, qui pourraient fort bien rejeter l’offre.

De nombreuses autres plus petites grèves ont lieu ou se préparent.

Les raisons de débrayer sont nombreuses et varient d’un milieu de travail à l’autre. Mais au-delà des enjeux particuliers de chaque milieu de travail, ce mouvement représente les débuts d’un réveil de la lutte des classes aux États-Unis. Les travailleurs commencent à dire « Assez, c’est assez » après des décennies d’érosion de leurs conditions de vie et de travail par un système en crise profonde.

Crise du capitalisme

Ici non plus, les raisons d’être en colère ne manquent pas. La pandémie a révélé au grand jour la banqueroute du capitalisme. 

Alors qu’on nous disait que « nous sommes tous dans le même bateau », certains étaient plus « dans le même bateau » que d’autres. 

Les travailleurs essentiels, hypocritement appelés des « anges gardiens » par les grands médias et les politiciens, ont risqué leur santé et leur vie et tenu la société sur leurs épaules. Si de maigres primes ont été accordées à certains d’entre eux, les gouvernements et patrons se sont empressés de les retirer. 

Pendant ce temps, les riches propriétaires d’entreprises empochaient profits et subventions publiques confortablement depuis leurs maisons luxueuses, à l’abri du virus. 

La pandémie a ainsi exacerbé les inégalités déjà hallucinantes que produit inévitablement le système capitaliste. Les ultra-riches, loin de souffrir de la pandémie, en ont profité. Les milliardaires du monde entier ont agrandi leur fortune de 68% depuis le début de la pandémie, plus que pendant les 15 années précédentes combinées. 

À l’inverse, les plus pauvres sont ceux qui ont le plus souffert de la pandémie. Selon les données de Statistique Canada, il y avait une corrélation inverse claire entre le salaire et le risque de perdre son emploi pendant la pandémie. Les travailleurs les moins rémunérés sont ceux qui ont perdu leur emploi en plus grand nombre.

Selon une étude de l’Institut de la statistique du Québec, 63% des Québécois se considérant comme pauvres ont connu des difficultés financières en raison de la pandémie. Le recours aux banques alimentaires a aussi explosé. Environ 18% des Canadiens ont eu recours à l’aide alimentaire depuis mars 2020.

Si la situation n’était pas assez grave, s’ajoute maintenant à cela l’inflation, qui vient gruger dans les salaires.

Inflation

Avec la fin des confinements en 2021, les politiciens et les patrons qu’ils servent se sont réjouis d’une remontée de l’économie après la grave récession de 2020. Les taux de croissance sont revenus au noir. On nous annonçait un retour des beaux jours, alors que les consommateurs se remettaient à faire ce qu’ils font le mieux – consommer – et à faire rouler la machine capitaliste. 

Il y avait bien quelques signaux d’alarme, sous la forme d’une montée de l’inflation. Mais la plupart des économistes se faisaient rassurants, affirmant que l’inflation serait éphémère. Pour eux, la montée des prix constituait la conséquence normale d’une économie qui repartait sur les chapeaux de roue après avoir roulé au neutre pendant un an. 

Les représentants du capital commencent à déchanter. De façon euphémiste, le gouverneur de la Banque d’Angleterre a été obligé d’admettre que l’inflation « sera éphémère pour plus longtemps ». La banque centrale américaine prévoit maintenant que l’inflation demeure au-dessus de 2% en 2022.

Au Canada, en septembre, l’inflation s’est élevée à 4,4%. Au Québec, c’est à 5,1%. Elle a même atteint le 6,3% à l’Île-du-Prince-Édouard. Les banques centrales considèrent habituellement un taux d’inflation à 2% comme idéal. L’inflation de base atteint ainsi des niveaux pas vus depuis le début des années 90. 

Au-delà de l’abstraction des chiffres, cela signifie pour la classe ouvrière une hausse du coût de la vie à un rythme rapide. En pratique, les travailleurs qui ne reçoivent pas de hausse de salaire au-dessus de 4 ou 5% cette année connaissent une baisse de salaire réel.

Les économistes à la solde du capital expliquent cette hausse des prix par les problèmes que connaissent actuellement les chaînes d’approvisionnement, par une hausse du prix du carburant et par la pénurie de main-d’œuvre. Toutefois, il est difficile de croire que les politiques monétaires délirantes des gouvernements n’ont rien à y voir. 

Des sommes gigantesques d’argent ont été pompées par les gouvernements (canadien y compris) dans l’économie pour la garder sur le respirateur artificiel depuis le début de la pandémie. Des centaines de milliards de dollars canadiens ont ainsi été créés à partir de rien, grâce aux fameux programmes « d’assouplissement quantitatif ». 

Comme cet argent ne correspondait à aucune valeur réelle sous forme de marchandise, la valeur de chaque dollar en circulation a ainsi été réduite. Derrière la complexité des politiques monétaires des gouvernements se cache en réalité la bonne vieille politique de la planche à billets.

Normalement, la solution utilisée par les banques centrales pour combattre l’inflation consiste à augmenter les taux d’intérêt. L’idée est d’encourager les ménages et les entreprises à économiser leur argent plutôt qu’à le dépenser, afin de limiter la demande qui pousse les prix à la hausse. 

Plus facile à dire qu’à faire. 

L’économie se remet à peine de la récession de l’an dernier. Les banques centrales ne veulent pas couper dans la demande. La Banque du Canada ne souhaite pas hausser les taux d’intérêt avant la fin de 2022. Comme l’explique le Financial Times, « un resserrement prématuré [des taux d’intérêt], toutefois, pourrait mener à la stagnation qu’elles [les banques centrales] redoutent : en étouffant la croissance alors même que l’économie connaît une reprise ».

De plus, les taux d’intérêts presque à zéro depuis des années ont contribué à un gonflement de la dette publique. La dette publique du Canada a atteint un sommet historique de 117% par rapport au PIB, poussée par la nécessité pour le gouvernement de venir à la rescousse des entreprises de ses amis capitalistes au bord de la faillite à l’aide des deniers publics.

Dans ce contexte d’endettement élevé de l’État, une hausse des taux d’intérêts pourrait avoir des effets graves sur les finances publiques. Soudainement, le coût du remboursement de la dette exploserait. Le Bureau du directeur parlementaire du budget calcule qu’une hausse d’un point de pourcentage des taux d’intérêt ferait monter le coût du remboursement de la dette fédérale de 4,5 milliards de dollars dès la première année, pour monter à 12,8 milliards la cinquième année. Les finances des gouvernements se trouveraient alors en mauvaise posture.

Par conséquent, dans le scénario où les gouvernements haussaient les taux d’intérêts, même si cela réussissait vraiment à contrôler l’inflation (ce qui reste à voir), cela signifierait une grave austérité. Les gouvernements capitalistes, à la solde des patrons, chercheront inévitablement à rembourser leurs dettes en en refilant le coût aux travailleurs. Ils iront piger dans les poches des travailleurs et couperont dans les programmes sociaux.

Ainsi, il est probable que les gouvernements bourgeois préfèrent laisser l’inflation continuer à s’emballer pour un moment encore, et si les travailleurs en payent le prix par une baisse de salaire réel, tant pis pour eux. Dans tous les cas, les travailleurs en ressortiront perdants.

Il faut stopper l’érosion des salaires!

Devant l’érosion des salaires, le mouvement ouvrier au Canada et au Québec doit se réveiller et entrer en action. Déjà en 2019, un Canadien sur deux vivait d’un chèque de paye à l’autre. Les travailleurs ne peuvent se permettre une baisse de salaire réel. 

La combativité de nos voisins américains devrait nous servir d’inspiration. La classe capitaliste n’a jamais rien concédé aux travailleurs sans combat. Au contraire, elle sera bien contente d’augmenter ses prix tout en laissant l’inflation gruger nos salaires, car cela signifie plus de profits pour elle.

Pourtant, trop de directions syndicales continuent de vivre dans le passé. Elles s’imaginent pouvoir en arriver à des compromis, des ententes à l’amiable avec les patrons. Elles tentent de négocier avec le cambrioleur quels bijoux celui-ci pourra voler. 

La récente négociation des infirmières du réseau public au Québec nous en a donné un bon exemple. Alors qu’elles vivent des conditions de travail cauchemardesque depuis des années et qu’elles quittent la profession par milliers, la direction syndicale de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) refuse toujours de faire quoi que ce soit, préférant négocier avec un gouvernement qui n’en a rien à faire. N’ayant pas voulu faire la grève, la direction syndicale a fini par accepter une entente pourrie qui ne règle rien.

Les directions syndicales doivent revenir sur terre et regarder la réalité en face. Le seul langage que le patronat comprend est celui des manifestations, des grèves et des occupations. Les directions syndicales devront mobiliser leurs membres pour demander des hausses de salaires importantes. Celles qui ne le font pas méritent d’être écartées et de laisser la place à un leadership prêt à se battre pour ses membres.

La grève à John Deere nous a donné un exemple intéressant d’une telle révolte de la base. La bureaucratie syndicale n’étant pas prête à s’engager dans une grève difficile et risquée, elle a préféré capituler tout de suite et défendre l’offre bidon de l’employeur. Mais les travailleurs de la base ont organisé une fronde contre la direction syndicale et lui ont forcé la main pour rejeter l’entente et déclencher la grève.

Cette lutte contre l’érosion des salaires concerne l’ensemble de la classe ouvrière. Le pouvoir de notre classe repose justement sur son nombre. Ensemble, nous sommes plus forts. La solidarité est notre meilleure arme. Une lutte unie de l’ensemble des travailleurs pour réclamer des hausses de salaire au-delà de l’inflation aurait beaucoup plus de chance de réussir que des grèves isolées. 

Cela signifierait une lutte classe contre classe, travailleurs contre capitalistes. Mais cette lutte de classe ne peut s’arrêter là. En dernière analyse, l’érosion de nos salaires et de nos conditions de vie par l’inflation et l’austérité fait partie inhérente du système capitaliste. Tant que le système économique restera dominé par l’anarchie du marché et par la dictature des patrons, nous devrons nous battre pour chaque miette dans notre assiette, et même pour garder le peu de miettes que nous avons déjà.