A Agadir, Marrakech, Casablanca, Fès, Tanger, Tetouan, Oujda et dans des douzaines d’autres villes et villages, des milliers de jeunes sont descendus dans la rue tous les jours qu’a duré l’agression. La plus grosse manifestation a eu lieu à Rabat, le 4 janvier, avec un million de participants. Mise à part la manifestation de Rabat, ce sont les jeunes qui ont pris l’initiative et organisé toutes les manifestations, surtout les lycéens et les étudiants.
Dans une dictature habituée à réprimer toute forme de liberté d’expression, l’expérience de ces rassemblements de masse et sit-in a eu un grand impact sur la conscience de la jeunesse et des travailleurs marocains. Sous un tel régime, toute activité de masse est une école révolutionnaire. Il faut beaucoup de courage, être prêt à se sacrifier, car on peut être confronté à une répression brutale. Lors d’une manifestation, le dimanche 28 décembre, à Marrakech, la police a tué un étudiant : Abdul Razzaq Alkadri. Son nom est venu s’ajouter à la longue liste des martyrs marocains morts pour la cause palestinienne – non par la main de la répression israélienne, mais par le poing de la répression d’Etat marocaine.
Un grand nombre de jeunes leaders ont spontanément émergé de ces magnifiques mobilisations. Pour la première fois de leur vie, ils ont appris à occuper les rues et à se confronter aux forces de répression. Ils ont acquis une expérience très précieuse de la lutte de masse. Cette expérience ne sera pas perdue : elle refera surface dans un futur proche.
Le caractère massif et très militant de ces manifestations était aussi une expression de la grande quantité de gaz explosif qui s’est accumulée, dans les profondeurs de la société marocaine. Elle n’attendait qu’une étincelle pour exploser au grand jour. Cela explique pourquoi un si grand nombre de ces manifestations ont dénoncé l’exploitation des opprimés et les privatisations. Ce fut notamment le cas à Tanger, Marrakech et Rabat.
Quel est l’impact de la crise sur la population ?
HB : Au Maroc, les conditions de vie des masses sont misérables. Prenez la santé par exemple. Les dépenses de santé publique représentent à peine 4,5 % du PIB marocain. En Tunisie, elles se situent à 5,6%, en Jordanie à 9,4% et au Liban à 9,8%. Au Maroc, le nombre de femmes qui meurent en couches est de 37 pour 1000 – contre seulement 21 pour 1000 au Venezuela et 7 pour 1000 à Cuba !
En 2007, plus de quarante enfants et deux mères âgées de 16 et 17 ans sont décédés à cause du froid et de l’absence totale d’infrastructure médicale. La plupart d’entre eux sont morts sans médicaments et sans avoir consulté un docteur de toute leur vie. La plupart n’avait jamais été vacciné.
L’illettrisme touche 50% de la population. Dans quatre villages sur cinq, en moyenne, les filles n’ont pas le droit d’aller à l’école. Le Ministère de l’Education reconnaît que 9000 salles de classe sont inutilisables, que 60% des écoles en milieu rural ne sont pas reliées au réseau électrique, que 75% d’entre elles n’ont pas d’eau et 80% pas de toilettes. Le nombre moyen d’élèves par classe est de 41. Le Ministère ajoute qu’il faudrait construire 260 lycées par an. Or, à peine 90 écoles sont ouvertes, chaque année.
Les statistiques de l’Organisation Internationale du Travail indiquent que plus de 10% de la main d’oeuvre est au chômage. Ce pourcentage est plus important chez les jeunes, surtout ceux qui ont fait des études. Parmi les jeunes non qualifiés, le taux de chômage est de 7,7%. Mais parmi les diplômés du second degré, il bondit à 28,1%. Et 61,2% de ceux qui ont un diplôme universitaire sont au chômage !
Tel est le bilan de la période de « prospérité économique ». Les commentateurs officiels insistaient sur les taux de croissance et annonçaient un avenir radieux sous le règne du jeune roi. Aujourd’hui, la situation s’est aggravée. L’activité économique a augmenté de 2,1% au dernier trimestre 2007 – alors qu’en 2006, le taux de croissance atteignait 8,1%. Les chiffres pour 2008 sont désastreux et l’année 2009 n’offre pas de meilleures perspectives.
L’économie nationale est lourdement dépendante des exportations. La récession mondiale va toucher le pays de plein fouet. Les entreprises vont fermer ou licencier massivement. Evidemment, la crise a un énorme impact sur la conscience des masses, et en particulier des jeunes. Par le passé, les conditions de vie misérables de la jeunesse et l’absence d’alternative révolutionnaire poussaient nombre d’entre eux à tenter d’échapper à cet enfer en émigrant clandestinement, malgré tous les dangers : 15 000 jeunes sont morts noyés dans le détroit de Gibraltar, ces dix dernières années, soit 4 par jour pendant dix ans ! Mais depuis que la crise commence à toucher les pays de destination, et en particulier l’Espagne et l’Italie, l’émigration n’apparaît plus comme une solution pour échapper à la pauvreté. La jeunesse est condamnée à chercher une alternative dans la lutte plutôt que dans la fuite.
Ces dernières années, nous avons assisté à des mobilisations massives du mouvement étudiant, malgré la répression qui s’est souvent soldée par des morts et de nombreux blessés. Des manifestants ont été incarcérés, et la plupart sont encore en prison. Ces mobilisations sont importantes en elles-mêmes, mais aussi par ce qu’elles reflètent le malaise général dans la jeunesse et la société. Le mouvement étudiant est toujours un bon baromètre pour jauger le niveau des tensions, dans la société.
Pour la première fois depuis longtemps, nous avons également assisté à une succession rapide de soulèvements massifs. Par le passé, il s’écoulait environ cinq années entre deux soulèvements populaires. Mais ces dernières années, nous avons assisté à des soulèvements simultanés : Sefrou, Baumal Dades, Sidi Ifni. A quoi nous devons ajouter des centaines de manifestations, de sit-in, etc.
Quelles sont les perspectives, pour le régime ?
HB : Quelques temps avant sa mort, le roi Hassan II a fait un discours dans lequel il disait que le Maroc était menacé d’arrêt cardiaque. A cette époque, le Maroc occupait le 123e rang dans le classement de l’ONU en matière d’Indice de Développement Humain. Aujourd’hui, après dix années de « modernisation », sous le règne du nouveau roi, le Maroc est à la 126e place.
Le régime marocain n’a pas de marge de manœuvre face aux luttes du peuple. Il ne peut répondre que par la répression. En 2007, le Maroc a donc acheté à l’Espagne des matraques modernes pour renforcer ses équipements et faire face aux affrontements avec les chômeurs qui manifestaient dans les rues de Rabat. Mais cela n’a pas entamé la volonté de combattre des jeunes, des travailleurs et des chômeurs. Les mouvements que nous voyons aujourd’hui se produire, dans des petites villes comme Segrou et Sidi Ifni, se propageront à la classe ouvrière et aux autres couches opprimées de Casablanca, Rabat et Tanger.