Le 13 septembre, une jeune femme kurde nommée Jîna Emînî était arrêtée à Téhéran par la « Police de la moralité », qui lui reprochait de porter son hijab d’une façon « incorrecte ». Après avoir battu son frère, ils ont torturé la jeune femme jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. Après avoir été emmenée à l’hôpital, elle est finalement morte de ses blessures le 16 septembre.
Ses funérailles ont rassemblé des milliers de personnes, qui ont entonné des chants révolutionnaires kurdes et scandé le slogan « Femmes, vie, liberté » (ژن، ژیان، ئازادی). Cette mort d’une jeune femme, des mains d’une « police de la moralité » détestée, a déclenché un mouvement de masse qui a embrasé toutes les villes du pays.
Après deux semaines de soulèvement révolutionnaire, le mouvement continue de s’étendre. Dans toutes les grandes villes du pays, des heurts violents ont opposé des foules de jeunes aux forces de sécurité, alors que la répression devient de plus en plus féroce. Déjà plus d’une centaine de personnes ont été tuées et bien davantage arrêtées. Le 26, les étudiants ont lancé un mouvement de grève qui touche aujourd’hui près d’une centaine d’universités. Pour autant, la question reste posée aujourd’hui de savoir comment continuer à développer le mouvement.
Après avoir été d’abord pris par surprise par la vitesse et la radicalité de la mobilisation, le régime a maintenant recours à une répression de plus en plus violente. Depuis le 24 septembre, de nombreux étudiants ont été arrêtés dans tout le pays et il y aurait déjà près de 180 morts. L’accès à Internet a été presque totalement coupé et les universités ont été fermées et remplacées par des cours en ligne, pour empêcher les étudiants de se rassembler en nombre. Néanmoins, pour l’instant cette répression semble n’avoir pas réussi à étouffer le mouvement, même s’il est difficile d’avoir accès à des informations fiables. Des affrontements entre manifestants et forces de répression semblent se produire toutes les nuits, particulièrement à Téhéran, Karadj, Qom, Chiraz, Ispahan, Racht, et dans les villes du Kurdistan comme Sanandaj. Par ailleurs, des vidéos montrent des foules de jeunes attaquant des policiers et incendiant des bâtiments des autorités religieuses ou policières.
Après des attaques de la police contre des internats universitaires durant lesquelles des centaines d’étudiants ont été arrêtés, les syndicats étudiants ont appelé à une grève nationale des universités, pour exiger la libération des prisonniers politiques. Certains professeurs d’université ont rejoint le mouvement tandis que la coordination des syndicats enseignants a appelé à une grève de 48 heures dans les écoles pour protester contre la répression. Un comité de lutte des ouvriers précaires de l’industrie pétrolière, déjà connu pour son rôle clé dans plusieurs grèves durant la dernière période, a aussi menacé d’appeler à la grève si le régime ne met pas fin à la répression.
L’entrée en scène de travailleurs organisés est un pas en avant significatif, mais la situation exige davantage que des menaces et des grèves limitées. Seule une grève générale pourrait mettre fin à la répression, paralyser le régime et poser la question du pouvoir. Des appels à une telle grève ont déjà été lancés dans certaines régions et circulent sur les réseaux sociaux. Ils doivent devenir le cri de ralliement de l’ensemble du mouvement.
La préparation d’une telle grève devrait commencer par la constitution de comités de lutte dans chaque quartier, chaque entreprise et chaque école, connectés à l’échelle locale, régionale et nationale. Si la jeunesse a fait preuve d’un courage remarquable, elle ne peut renverser le régime à elle seule. L’entrée en action de la classe ouvrière en tant que force organisée est indispensable. C’est la seule solution pour enrayer la répression et redonner de l’élan au mouvement.
Briser l’isolement
La lutte héroïque de la jeunesse iranienne, et particulièrement des femmes, a capté l’attention de millions de personnes à travers le monde. La détermination de ces jeunes est aux antipodes de l’attitude des dirigeants réformistes et libéraux qui menaient le mouvement de contestation de 2009. Ceux-ci se présentaient comme les champions de la démocratie, mais ont passé des années à ramper aux pieds des « durs » du régime en espérant obtenir quelques concessions de leur part, alors qu’aujourd’hui, la mobilisation de la jeunesse terrifie Khamenei et ses semblables.
Mais, aussi enthousiasmant que soit ce mouvement, il reste numériquement faible. Si la majorité de la population sympathise avec lui, la masse des travailleurs n’y participe pas encore de façon active, parce qu’elle ne le pense pas capable de renverser le régime.
Les cinq dernières années ont été les plus agitées de l’histoire de la République Islamique, avec une succession de luttes locales et nationales, mais aussi les plus importantes vagues de grèves depuis la révolution de 1979. Presque chaque semaine, des luttes nouvelles font irruption dans un coin ou l’autre de la société. Pourtant, ces mobilisations sont restées largement isolées les unes des autres, alors même qu’elles représentent toutes des facettes du même phénomène : l’impasse du capitalisme et son incapacité à faire avancer la société. La tâche des révolutionnaires est précisément de tirer cette leçon et de la mettre en pratique, en unifiant toutes ces mobilisations dans un mouvement commun.
Il faut un programme révolutionnaire
Le mouvement actuel a émergé de la lutte pour les droits des femmes, pour les droits des minorités nationales et pour les droits démocratiques de façon plus générale. Ces revendications doivent prendre la forme d’un appel à la fin de toutes les oppressions et à l’égalité de droits pour tous, quels que soient le genre, l’orientation sexuelle ou la nationalité. A cela doit s’ajouter la dissolution de la police de la moralité, des milices des gardiens de la révolution et des services de renseignement, la libération de tous les prisonniers politiques, la liberté de parole et de la presse, la liberté de s’organiser et la convocation d’une assemblée constituante par des élections libres organisées par des conseils démocratiques mis sur pied par les masses elles-mêmes.
Mais la démocratie ne suffira pas à régler à elle seule les besoins et les aspirations des masses. Ce n’est pas un hasard si un des principaux slogans de la révolution de 1979, « Du pain, du travail et la liberté », a refait surface récemment. Le mouvement doit lier la lutte pour les droits démocratiques à des revendications économiques et politiques.
Nous devons avant tout réclamer la fin des contrats « en blanc » qui concernent près de 90 % des travailleurs, ainsi qu’un salaire minimum et des retraites décentes, fixés par les organisations ouvrières, et alignés sur l’inflation. Dans le même temps, la semaine de travail doit être ramenée à 30 heures pour garantir un emploi pour tous.
Pour financer tout cela, les entreprises privées les plus importantes ainsi que toutes les entreprises et les banques privatisées devront être nationalisées et placées sous le contrôle de leurs travailleurs. Les profits de ces entreprises pourront ainsi servir à développer la société plutôt qu’à engraisser les fidèles du régime qui les contrôlent actuellement. L’économie nationalisée doit être organisée sur la base d’une planification démocratique, pour permettre l’industrialisation du pays et ainsi arracher la majorité de la population à la misère dans laquelle elle est plongée.
Un tel programme devra être pris en main par les organisations de lutte de masses pour qu’elles puissent l’appliquer elles-mêmes et l’adapter si nécessaire. Ce n’est que sur cette base que le mouvement pourra gagner la majorité des travailleurs, des pauvres et des jeunes qui subissent la pression du capitalisme.
La question de la direction
En l’absence d’une direction et d’un programme révolutionnaires, la seule alternative qui a été offerte aux masses est Reza Pahlavi, le fils du Shah renversé par la révolution de 1979. Celui-ci se présente et a été présenté par la presse occidentale comme le seul espoir des masses iraniennes, comme un démocrate préoccupé uniquement par le bien-être de son peuple.
Loin de l’image idyllique que décrit Pahlavi, le régime de son père était une tyrannie brutale, qui régnait par la terreur et une répression sans bornes. Lui-même est soutenu par le gouvernement intégriste d’Arabie Saoudite, qui soumet la population saoudienne à une dictature inhumaine, et par l’impérialisme occidental, qui regrette le temps où le régime du Shah avait fait de l’Iran une semi-colonie offerte aux entreprises étrangères et qui, aujourd’hui, a soumis le pays à des sanctions économiques effroyables. Par ailleurs, les impérialistes et leurs laquais réactionnaires ont semé le chaos et la barbarie à travers tout le Moyen-Orient. L’appui que ces forces prétendent apporter au mouvement ne peut que discréditer celui-ci aux yeux des masses iraniennes et renforcer le régime. Les seuls alliés que la révolution iranienne peut trouver sont les jeunes et les travailleurs de la région, qui subissent une situation comparable, ainsi que leurs frères et sœurs du prolétariat d’Occident – qui ont été enthousiasmés par le mouvement actuel.
En l’absence d’une direction révolutionnaire, les monarchistes soutenus par les impérialistes ont pu se présenter comme la seule alternative au régime. Cela a servi d’excuse à une partie de la gauche iranienne, en particulier parmi les staliniens, pour ne pas soutenir le mouvement. C’est une erreur grave. S’il est exact qu’il n’existe pour l’instant pas de direction visible pour le mouvement en dehors des monarchistes, les jeunes qui sont descendus dans la rue ne l’ont pas fait à l’appel de Reza Pahlavi. Ils sont entrés en lutte sous la pression de leurs conditions de vie insoutenables et les monarchistes tentent en réalité de détourner cette colère à leur profit. En refusant de soutenir le mouvement, ces soi-disant communistes laissent en réalité le champ libre aux partisans de Pahlavi et, au final, facilitent la répression du mouvement par le régime. La tâche des révolutionnaires n’est pas de se tenir à l’écart du mouvement en le critiquant, ce qui ne peut que le pousser dans les bras de Reza Pahlavi et de ses soutiens occidentaux, mais de l’aider à se doter d’un programme et d’une direction révolutionnaires. Cela suppose de soutenir le mouvement, et de suivre attentivement ses évolutions, pour pouvoir éduquer ses meilleurs éléments. Même si le soulèvement devait être vaincu par la répression avant qu’une telle direction ne soit prête à jouer son rôle, les premiers pas de ce travail auraient été accomplis. Ce problème se reposera en effet à chaque soulèvement, tant qu’une direction révolutionnaire ne sera pas prête à offrir aux masses iraniennes une issue à la déchéance dans laquelle les plonge le capitalisme.
La Tendance marxiste internationale apporte son plein et entier soutien à la jeunesse révolutionnaire d’Iran. Mais nous ne nous limitons pas à de vagues déclarations de soutien au mouvement. La tâche des marxistes est de suivre le mouvement à chacun de ses pas, pour pouvoir en tirer des conclusions et des mots d’ordre capables de l’aider à avancer. Ce soulèvement nous a offert un timide aperçu de la force des masses iraniennes. Mais, en l’état actuel, sans une organisation et un programme révolutionnaires, le régime peut tout à fait finir par se ressaisir et écraser le mouvement.
En dernière analyse, tous les problèmes du mouvement se ramènent à la question de l’absence d’une direction révolutionnaire, et celle-ci restera posée que le mouvement réussit à avancer ou pas. La tâche des communistes iraniens est précisément de construire une telle direction, basée sur les idées et les méthodes du marxisme. La situation n’a jamais été plus favorable. Chaque jour, de nouvelles couches de travailleurs et de jeunes entrent dans l’action révolutionnaire et cherchent des idées qui pourraient les guider dans cette lutte. Seul le marxisme est capable de les mener à bon port.
En plus d’un siècle, le capitalisme, quelle que soit la forme qu’il a pris, s’est révélé systématiquement incapable de faire progresser la société iranienne. C’est cette situation qui a été à l’origine de la révolution de 1979, et qui est aujourd’hui à la base du mouvement actuel. L’heure est venue de forger une direction qui puisse regrouper la classe ouvrière pour abattre ce système.
Du pain, du travail et la liberté!
À bas le dictateur!
Construisons une direction révolutionnaire!
Pour une révolution socialiste!