Le 15 février dernier, La Riposte socialiste a participé, en tant que membre partenaire, à une rencontre du Club du 15$, un groupe de recherche et d’action d’étudiants de l’Université de Montréal, qui cherche à rassembler différentes associations étudiantes et organisations politiques afin de revitaliser la lutte pour le salaire minimum de 15$ l’heure. Le Club du 15$ avait invité à la rencontre Patrick Rondeau, le conseiller pour la mobilisation de la FTQ et le responsable de la campagne #Minimum15. Le représentant de La Riposte socialiste à cette rencontre en a profité pour lui poser plusieurs questions concernant l’avancement de la campagne de la FTQ. Malheureusement, les réponses obtenues ne présagent rien de bon pour la campagne.
Les syndicats doivent mobiliser leur base
J’ai tout d’abord questionné M. Rondeau pour savoir où en était rendue la campagne #Minimum15 actuellement. Il a répondu qu’« à toutes les tables de négociation, les syndicats doivent demander comme revendication au minimum le salaire minimum à 15$ l’heure. » Je lui ai ensuite demandé s’il y avait un plan pour aller mobiliser les couches non-syndiquées des travailleurs, étant donné que les travailleurs de la FTQ gagnent souvent pour la plupart plus du 15$. Il a répondu : « ce n’est en effet pas une campagne pour nous-mêmes. On a la volonté d’aller à l’offensive. On cherche principalement, à l’heure actuelle, à ce que la campagne du 15$ ait une présence médiatique et qu’elle fasse pression sur les différents partis politiques, en vue de la prochaine élection provinciale d’octobre 2018 ».
Il ajoutait qu’« on a fait du travail pour mobiliser les non-syndiqués. Mais ça s’est fait de manière désorganisée. Cet aspect du travail est primordial, mais il faut l’organiser un peu plus. On a eu l’impression que nos actions ont eu peu d’impact. Ce soir à notre rencontre de la FTQ, nous chercherons à réorienter la lutte. Un de nos objectifs est d’obliger les partis politiques à se prononcer sur la question du 15$. Mais bref, la lutte ne ralentit pas! »
Ce que j’ai retenu de cette discussion, c’est que les efforts de la FTQ sont de moins en moins dirigés vers la mobilisation de leurs membres pour la campagne du 15$, et les dirigeants syndicaux n’ont pas de plan concret pour mobiliser les couches non syndiquées, qui sont celles surtout touchées par le bas salaire minimum au Québec. L’énergie de la campagne de la FTQ est surtout dirigée vers les médias et à mettre de la pression sur les partis bourgeois, pour que les représentants politiques du patronat québécois s’intéressent un peu plus au sort des salariés qu’ils exploitent.
On ne peut pas avoir d’illusions dans la bonne volonté des partis procapitalistes à défendre les conditions de vie des travailleurs. En Ontario, le Parti libéral est en processus d’instaurer le 15$. Les patrons de Tim Hortons ont rapidement répondu à cette attaque sur leurs profits en coupant dans les pauses payées de leurs employés. Ce que la classe dirigeante peut nous donner de la main gauche, elle cherchera à le reprendre de la main droite.
La seule manière de véritablement implanter le 15$, sans que les patrons coupent dans nos avantages sociaux, c’est de mobiliser les travailleurs, syndiqués et non syndiqués, à travers un mouvement de masse de manifestations et de grèves qui sera capable de bloquer les attaques du patronat. Les employés du Tim Hortons ne sont pas syndiqués. C’est notamment pour cette raison que leurs patrons ont pu leur retirer des avantages sociaux aussi facilement. Si le mouvement syndical veut vraiment lutter pour le 15$, il doit se faire un devoir d’aider les travailleurs non syndiqués à se syndiquer, pour construire un véritable rapport de force.
Le problème de la direction du mouvement
J’ai demandé à M. Rondeau quels étaient les obstacles actuels à la campagne #Minimum15. Il a répondu que « nos membres se sont retournés contre nous. Il y a une vague anti-15$. On a eu à convaincre nos propres membres. Notre but est d’en faire un enjeu public. Il y a aussi le problème qu’il y a une multitude de campagnes différentes pour le 15$ (par exemple le « 5-10-15 », la campagne d’Alternative socialiste, etc.). On essaye de soutenir toutes les luttes, mais on perd un peu le fil. Dans nos manifs, il y a seulement autour de 2000 personnes qui se présentent, ça ne lève pas beaucoup. Il faut rebâtir le rapport de forces. »
Mais comment bâtir ou rebâtir un rapport de force? Un préjugé répandu au sein du mouvement syndical et étudiant consiste à penser que les dirigeants ne peuvent pas dire quoi faire aux membres. C’est ce qu’un représentant de la FAECUM, la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal, nous expliquait pendant la discussion : « la souveraineté locale est extrêmement importante. Nous sommes réticents à franchir la ligne d’aller mobiliser les associations locales pour le 15$. La FAECUM est une organisation de défense des droits étudiants. Quand on part du leadership pour mobiliser la base, ce n’est pas un mouvement de la base. La FAECUM n’ira pas dire à ses membres quoi faire. » Le représentant de la FAECUM a lui-même tiré la conclusion logique de leur stratégie, concédant « qu’on n’est pas trop proactif ».
J’ai rétorqué que pendant la grève étudiante de 2012, des militants de l’ASSÉ avaient fait le travail de mobiliser pendant des mois les étudiants de la base, en allant expliquer dans chaque assemblée générale locale la nécessité de lutter contre la hausse de 1625$ de frais de scolarité imposée par le gouvernement Charest. C’est de cette manière qu’on a pu construire un mouvement de grève générale de 8 mois mobilisant 500 000 étudiants. Jouer un rôle de leadership, c’est pousser pour ses idées et convaincre la base de la pertinence de mener la lutte. Un leadership qui ne prend pas d’initiative a failli à sa tâche.
Les travailleuses et les travailleurs québécois ont besoin de leur propre parti politique
Cette année, pour le 1er Mai, le salaire minimum à 15$ était l’une des revendications principales mises de l’avant dans le cadre de la manifestation organisée par les syndicats. Malheureusement, en ce qui concerne le 15$, les dirigeants syndicaux et du mouvement étudiant n’ont pas, jusqu’à présent, effectué le travail de mobilisation nécessaire pour y arriver. Pour que la campagne du 15$ puisse gagner la masse des étudiants et des travailleurs, les représentants syndicaux doivent prendre leur responsabilité et faire le travail de mobilisation. Les représentants étudiants et syndicaux doivent se sortir de la tête l’idée que mobiliser la base et proposer un plan d’action est une infraction à la souveraineté des associations locales.
Lors de la rencontre, j’ai également questionné M. Rondeau, le conseiller à la mobilisation de la FTQ, sur les rapports entre la FTQ et Québec Solidaire. La FTQ a traditionnellement donné son appui au Parti québécois, un parti entièrement à la solde du patronat et qui se dirige de plus en plus vers la droite. Pourquoi la FTQ n’appuie-t-elle pas Québec solidaire, le seul parti qui milite activement pour le 15$, lui ai-je demandé? M. Rondeau m’a répondu qu’un « appui de la FTQ à QS, ça n’arrivera pas. On a appuyé André Boisclair du PQ il y a une dizaine d’années, puis on a appuyé le Bloc québécois plus récemment. Mais alors, le Bloc a mangé la volée de sa vie. Pour discuter d’un possible appui à QS, il faudrait un congrès extraordinaire de la FTQ. Mais la position d’appui à QS serait battue, parce que dans les rangs de la FTQ, la majorité des membres sont péquistes, et de plus en plus de membres appuient la CAQ. Cependant, je dois dire qu’il y a un canal très clair d’ouvert entre la FTQ et QS, surtout avec Manon Massé, avec qui nous travaillons de temps en temps. Il y a aussi Andrés Fontecilla de QS, qui venait nous consulter. Il y a le conseil métropolitain de la FTQ qui va peut-être appuyer QS. » On doit en conclure que les dirigeants de la FTQ ne croient pas avoir la capacité de convaincre leurs membres de soutenir le seul parti qui soutient activement leur campagne pour le 15$ l’heure.
Officiellement, un des objectifs principaux de la FTQ demeure, comme M. Rondeau nous l’expliquait, « d’obliger les partis politiques à se prononcer sur la question du 15$. » À ce sujet, la direction de la FTQ a récemment annoncé les revendications du syndicat en vue des élections de 2018 (qui incluent le 15 $ l’heure), mais a expliqué qu’elle ne donnerait pas de consigne de vote. Ces revendications sont adressées aux partis en général. Mais que pouvons-nous attendre des grands partis capitalistes? Les libéraux s’opposent au 15$ et envisagent plutôt une hausse d’environ 1$ en mai, pour atteindre 12,45$ en 2020. Quant à la CAQ, elle vient de recruter Youri Chassin, un économiste de droite, qui affirmait en décembre 2016 que le salaire minimum à 15 $ « n’est rien d’autre qu’une solution à la recherche d’un problème qui n’existe pas vraiment. » On ne peut rien attendre de ces partis du patronat.
Le PQ, quant à lui, semble avoir cédé sous la pression de la motion de Québec solidaire pour le 15$ l’heure, mais demeure hésitant et craintif. Le député péquiste et ancien ministre des Finances, Nicolas Marceau, déclarait en mai 2016 « Moi, je dirais puis je plaiderais qu’à priori les changements brusques ne sont pas souhaitables, qu’il vaut mieux, lorsqu’on a un objectif, par exemple, l’objectif de 15 $ de l’heure, le faire de façon progressive. […] Moi, à ce jour, en tout cas, en l’absence de connaissances sur l’impact d’une telle hausse, je ne serais pas à l’aise, là. Je pense qu’il y a des travaux préliminaires à faire. » Si la lutte pour le 15$ suivait la vitesse péquiste, on aurait le 15$ dans une décennie, au moment où l’inflation continue nous imposerait de lutter pour le 20$ ou le 25$ l’heure.
En cette année électorale, la perspective d’une victoire de la CAQ se dessine. Sa victoire constituerait une menace pour tous les acquis du mouvement ouvrier, et nous éloignerait du 15$ l’heure, entre autres choses. Les syndicats ont les moyens d’empêcher cette éventualité, mais ils ne peuvent y arriver par une approche passive consistant à simplement mettre de l’avant des revendications adressées à tous les partis. Se borner à faire pression sur les partis bourgeois (PQ, PLQ, CAQ) est clairement insuffisant pour permettre aux travailleurs de lutter contre ces partis et leurs politiques, sans parler de lutter pour le 15$ l’heure. Pour que les travailleurs puissent réellement mettre leur poids dans la balance, il leur faut leur propre organisation, leur propre parti indépendant des capitalistes.
À moins de cinq mois des élections, le mouvement ouvrier fait face à un sérieux défi. Les syndicats doivent mobiliser leurs membres et leurs ressources contre les partis bourgeois. Tel que mentionné plus haut, M. Rondeau a parlé d’une ouverture avec QS auprès de Manon Massé. Si QS et les syndicats unissaient leurs forces, cela créerait un pôle d’attraction capable d’enthousiasmer les travailleurs et de les rallier en masse à la lutte pour le 15$, pour de meilleures conditions de vie et de travail, et contre l’establishment capitaliste en général.
Vous pouvez consulter ici l’analyse complète de La Riposte socialiste concernant la lutte pour le 15$ dans une perspective socialiste : https://marxiste.qc.ca/analyses/752-la-lutte-pour-le-15-une-analyse-marxiste.html