Les apologistes du capitalisme l’ont répété et répété : la crise actuelle a été causée par des banquiers trop avares, par la dérèglementation des marchés financiers et par l’effondrement du marché immobilier. Mais est-il possible qu’on ne voie là que la pointe de l’iceberg? On se plaint allègrement des excès de Wall Street et de sa spéculation abusive, mais où sont passées les critiques systémiques du capitalisme, qui remettent l’entièreté du modèle en cause? Les bulletins de nouvelles n’en parlent pas. Comme si on prenait pour acquis que les assises du capitalisme sont fondamentalement saines et que la crise n’est qu’une [autre] erreur de parcours. Comme si on prenait pour acquis qu’il n’y a pas d’alternative viable à la sacrosainte quête du profit. On se questionnera aujourd’hui, d’un point de vue résolument marxiste, sur la crise et sa cause profonde mais aussi sur certains problèmes du monde dans lequel on vit.
Les trente dernières années ont été marquées par un consensus presque unanime des économistes. Pour la plupart d’entre eux, les cycles dits de boom & bust du capitalisme étaient histoire ancienne. Nous étions entrés dans une nouvelle ère de croissance à long terme et de prospérité sans limites : c’était le début d’un nouveau paradigme économique. Au coeur de ce qu’il convient maintenant d’appeler la Grande Récession, il est clair qu’ils n’auraient pu être plus loin de la réalité.
Parallèlement à ce consensus d’économistes néo-libéraux, les médias ont constamment tenté de convaincre l’Occident que le marxisme est mort, qu’il ne s’applique plus, qu’il est démodé. On nous dit que le socialisme ne fonctionne pas, pointant du doigt les dérives stalinistes et maoïstes comme autant de preuves irréfutables que Marx avait tort. La vérité est que ces régimes se sont transformés en des caricatures morbides du socialisme, qui se sont éloignées de leurs buts au point d’en devenir méconnaissables. Et puis, pourquoi autant d’efforts pour attaquer une idéologie obsolète? La réponse est simple : le marxisme n’est pas mort, au contraire, et les idées subversives qu’il contient sont dangereuses pour la bourgeoisie capitaliste qui se sent forcée de les attaquer sans relâche.
Bon nombre d’attaques contre le marxisme s’en prennent à la validité de ses théories à cause de leur âge. Il est impossible qu’un livre écrit il y a 150 ans puisse décrire adéquatement le monde d’aujourd’hui, n’est-ce pas? Une lecture du Manifeste du Parti Communiste suffira à vous convaincre du contraire. On retrouve dans le Manifeste des concepts étrangement contemporains. La description qui y est faite d’une crise économique, entre autres, aurait pu être écrite hier:
‘Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s’abat sur la société, – l’épidémie de la surproduction. […] Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein. Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D’un côté, en détruisant par la violence une masse de forces productives; de l’autre, en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant plus à fond les anciens. À quoi cela aboutit-il ? À préparer des crises plus générales et plus formidables et à diminuer les moyens de les prévenir. »1
On constatera que la crise actuelle présente toutes ces caractéristiques. Les difficultés de l’industrie automobile, entre autres, représentent un cas classique de surproduction. De façon plus générale, l’hécatombe des marchés financiers marque de façon définitive la faillite d’un système qui a largement dépassé sa durée de vie utile. La conclusion que Marx a tiré il y a 150 ans ne pourrait être à la fois plus simple et lourde de conséquences : c’est le capitalisme lui-même qui est à la source de ces crises périodiques. Peu importe les réformes qu’on tentera de faire pour contrôler les excès du capitalisme, la bourgeoisie – comme l’a parfaitement démontré le comportement des banquiers – découvrira toujours de nouvelles façons de contourner les limitations et son insatiable appétit pour le profit provoquera invariablement d’autres crises.
Un autre exemple de la lucidité dont Marx a su faire preuve dans son analyse a trait à la mondialisation. La plupart des gens la considèrent comme une ramification récente du capitalisme moderne. En 1848, les marchés nationaux en étaient à leurs premiers balbutiements; aucune preuve empirique ne pouvait alors laisser croire à l’apparition éventuelle d’un marché global. Néanmoins, le théoricien du socialisme scientifique avait compris que le point culminant du capitalisme serait inévitablement une économie mondialisée – transcendant toutes frontières nationales – sous l’égide d’un groupe restreint de gigantesques entreprises monopolistiques. À cet égard, il s’exprimait ainsi:
»Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations. […] Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. […] A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. A la place de l’ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, sedéveloppent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. »
‘Par le rapide perfectionnement des instruments de production et l’amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu’aux nations les plus barbares. […] Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production ; elle les force à introduire chez elle la prétendue civilisation, c’est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image. »2
Mais quels sont les impacts réels de la mondialisation? Il y a un mythe – perpétué par les disciples du néo-libéralisme – qui avance qu’elle permet le plein développement des forces productrices et accélère la modernisation des pays en voie de développement. Examinons la question par rapport à ces pays et à la crise alimentaire qui fait, selon les estimés de l’ONU, une moyenne de 36 millions de morts par année3. On peut se demander s’il est nécessaire qu’autant de gens de meurent de faim au 21ième siècle. La bourgeoisie capitaliste rejette toute responsabilité sur les classes moyennes et ouvrières en prétendant que c’est parce qu’on consomme trop que le Tiers Monde crève de faim. La réalité est aux antipodes de cette vision saugrenue. Selon un rapport daté du 10 janvier 20084, la production actuelle de denrées alimentaires est non seulement amplement adéquate pour nourrir chaque être humain sur terre aujourd’hui, mais elle suffirait pour 12 milliards de personnes! Le problème n’en est pas un de production, mais de distribution.
Les grandes multinationales de l’alimentation possèdent la majorité des terres agricoles du Tiers Monde5. Au lieu de se soucier de la population locale, elles produisent des bananes destinées à être exportées vers nos supermarchés6. On le sait, ceux qui meurent de malnutrition sont aussi les plus pauvres; incidemment, puisque leur pouvoir d’achat est inexistant, ils n’existent tout simplement pas pour la main invisible du marché. Dans les pays industrialisés où le capitalisme a atteint un niveau de développement avancé, où le principe de rentabilité est roi, on détruit des récoltes et on impose des quotas pour éviter que les prix ne baissent trop (ce qui, en passant, est contraire aux principes élémentaires du libre-échange) au lieu de donner ces surplus pour tenter de sauver des vies. Presque aussi odieux que la destruction des récoltes est la nouvelle tendance verte des biocarburants. Un pourcentage plus alarmant à chaque année de la production agricole est détourné vers nos réservoirs d’essence, avec comme conséquence directe une flambée des prix de la nourriture.
Bien sûr les états capitalistes tentent de faire bonne figure afin de dissimuler leur holocauste annuel. Ils se prétendent généreux en organisant des programmes d’aide insignifiants, font de beaux discours sur la nécessité de changer les choses, mais fondamentalement ils poursuivent les mêmes politiques qui tuent de plus en plus de gens à chaque année. Il est tout à fait compréhensible que la bourgeoisie néo-libérale défende les bienfaits évidents de son idéal de la mondialisation; c’est elle qui récolte les profits du génocide. Le fait qu’elle orchestre par ailleurs cette défense autour d’une argumentation fallacieuse est éminemment caractéristique de son caractère réactionnaire qui ne vise qu’à conserver sa position au sommet de la pyramide sociale. La mondialisation a pourtant un caractère indéniablement progressiste; c’est son articulation autour du mode de production capitaliste qui l’a transformée en un crime contre l’humanité.
Nous avons tous déjà entendu la rhétorique devenue classique qui soutient que le duo démocratie et libre échange est le meilleur système qui soit. Nous croyons tellement à la démocratie que nous sommes prêts à ce que nos politiciens partent en guerre pour la défendre ou la promouvoir à l’étranger; pourtant, tout le monde accepte tacitement la structure de pouvoir monarchique inhérente à l’entreprise privée. De plus, les scandales récents ont mis à jour une crainte exprimée depuis longtemps par certains : la corruption est une réalité institutionnalisée et légitimée aux sein des partis politiques bourgeois. Les grandes entreprises et leurs millions exercent un contrôle de plus en plus autoritaire sur l’état. Est-ce là l’essence même de la démocratie ? Évidemment la perspective d’une vraie démocratie fait l’objet d’une farouche opposition de la part de la bourgeoisie capitaliste; elle préfère que les décisions continuent à être prises par l’élite et pour l’élite. Les partis bourgeois ont édicté des lois qui protègent leur domination de la scène politique sous le couvert d’un financement qu’ils disent plus transparent. Dans les faits, ils ont également rendu l’accès au financement presque impossible pour une nouvelle formation politique; les partis bourgeois s’assurent ainsi le monopole des idées politiques par défaut. Ils font porter le débat sur des questions secondaires et réduisent l’électeur au rôle de spectateur devant une émission de télé-réalité. Le peuple est un excellent consommateur, mais il serait après tout malvenu qu’il puisse avoir un impact tangible sur le processus décisionnel par l’entremise d’un parti qui représenterait ses véritables intérêts…
Depuis une dizaine d’années, on assiste aux soubresauts ultimes d’un système malade. Le capitalisme a largement survécu à son utilité historique comme mode d’organisation socioéconomique. Les capitalistes produisent d’une façon irrationnelle en ne cherchant qu’à maximiser leurs profits. Ce faisant, ils contraignent non seulement des milliards de personnes à vivre dans la pauvreté la plus abjecte, mais en plus – comme si ce n’était pas assez – ils menacent maintenant de polluer la terre jusqu’à la rendre inhabitable pour les générations à venir. Il est plus que temps de mettre les forces de production titanesques dont le monde dispose aujourd’hui au service de l’humanité et de chercher à enrayer concrètement la famine et la misère. En somme, pour finir sur les mots de Marx, le choix est simple : socialisme … ou barbarie.
»Que les classes dirigeantes tremblent à l’idée d’une révolution communiste! Les prolétaires n’y ont
rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. Prolétaires de tous les pays, unissezvous! »
– Karl Marx & Friedrich Engels, Le Manifeste du Parti Communiste
1 Le Manifeste du Parti Communiste, Karl Marx & Friedrich Engels, (http://www.initiativecommuniste.
fr/wordpress/uploads/manifeste.pdf), p.14
2 Idem, p.15
3 “Independent Expert On Effects Of Structural Adjustment, Special Rapporteur On Right To Food Present Reports: Commission Continues General Debate On Economic, Social And Cultural Rights”, Service d’information de l’ONU, 29 mars 2004
4 “Promotion And Protection Of All Human Rights, Civil, Political, Economic, Social And Cultural Rights, Including The Right To Development: Report of the Special Rapporteur on the right to food, Jean Ziegler”, Conseil des roits de l’homme de l’ONU, 10 janvier 2008
5 “The Great Land Grab : Rush For World’s Farmland Threatens Food Security For The Poor, Shepard Daniel & Anuradha Mittal”, The Oakland Institute, 8 octobre 2009
6 C’est une vulgarisation : évidemment ces grandes compagnies ne produisent pas que des bananes, mais le même principe vaut pour la plupart des aliments exotique en demande en occident.