À la fin de l’année 2022, l’inflation atteignait 6,2% en France. Elle s’élevait à 7,1% aux États-Unis, à 10,7% en Grande-Bretagne, à 10% en Allemagne et à 10,1% dans la zone euro. Dans un certain nombre de pays, elle atteignait des niveaux vertigineux : 142% au Liban, 61% au Sri Lanka, 92% en Argentine, 103% au Soudan et 84% en Turquie.
Après plusieurs décennies de relative stabilité des prix, au moins dans les grandes puissances capitalistes, quelles sont les causes de cette flambée inflationniste? Par ailleurs, quels sont ses effets sur la lutte des classes? Et comment le mouvement ouvrier doit-il riposter?
La faillite des économistes bourgeois
Pour comprendre les causes de l’inflation, les économistes bourgeois ne nous sont pas d’un grand secours. De manière générale, ils se distinguent surtout par leur incapacité à anticiper les crises économiques. L’écrasante majorité d’entre eux n’avait pas anticipé la récession mondiale de 2008-2009. Ils n’ont pas davantage anticipé la crise inflationniste qui a démarré à l’automne 2021.
À l’inverse, les marxistes avaient anticipé ces deux crises. Bien sûr, nous n’avions pas prévu quand elles éclateraient : ce type de prédiction est impossible. Mais nous expliquions pourquoi ces crises étaient inévitables à plus ou moins court terme.
Lorsque la poussée inflationniste s’est manifestée aux quatre coins du monde, les économistes et les politiciens bourgeois se montraient rassurants : « cela ne durera pas ». Confiants dans la sagesse et l’efficience des marchés, ils voyaient dans l’augmentation des prix une oscillation passagère liée à une flambée de la demande, sur fond de reprise économique « post-Covid ». La « main invisible » du marché ne tarderait pas à régler ce problème : l’offre s’ajusterait à la demande, ce qui réduirait l’inflation – et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes capitalistes.
À l’inverse, nous écrivions en novembre 2021 : « L’inflation s’infiltre dans un nombre croissant de secteurs. Elle se manifeste et se répercute mécaniquement tout le long de la chaîne productive, depuis les matières premières jusqu’aux produits finis. Plusieurs facteurs concourent à inscrire cette tendance inflationniste dans la durée : la reprise économique (marquée par un rebond de la demande), la pénurie de composants et de matières premières, le chaos qui règne dans les circuits d’approvisionnement internationaux, mais aussi les gigantesques quantités de liquidités dont les États et les Banques Centrales ont inondé l’économie mondiale depuis la crise de 2008. »[1]
Salaires, prix et profits
Par définition, l’inflation signifie une augmentation des prix : la même quantité d’argent permet d’acheter moins de biens et de services qu’auparavant. Comme la nuit suit le jour, la baisse du pouvoir d’achat stimule la lutte gréviste pour des augmentations de salaire. S’ils veulent défendre leur maigre pitance, les travailleurs n’ont pas le choix : ils doivent lutter.
Face à eux, ils trouvent l’avarice du patron, la poigne de l’État – et les raisonnements superficiels des économistes bourgeois, qui pointent un doigt accusateur vers les syndicats : « Vos revendications salariales menacent d’aggraver l’inflation! » C’est ce qu’ils appellent une « boucle prix-salaires » : les augmentations de salaire feraient augmenter les prix, qui à leur tour susciteraient de nouvelles revendications salariales, et ainsi de suite.
Cette théorie a été réfutée de longue date par Karl Marx dans Le Capital et dans Salaire, prix et profit. Résumons ses arguments.
Le prix d’une marchandise est l’expression monétaire de sa valeur, laquelle est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire à sa production. « Socialement nécessaire » signifie : compte tenu du niveau de productivité moyen atteint par la société.
Certes, le prix d’une marchandise oscille en fonction de l’offre et de la demande. Mais sous la pression de la concurrence, son prix tourne autour d’un niveau moyen qui est déterminé par la valeur de la marchandise – c’est-à-dire, encore une fois, par le temps de travail socialement nécessaire à sa production.
La force de travail des salariés est aussi une marchandise, dont la valeur est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire à sa production, c’est-à-dire par la quantité de travail socialement nécessaire à la production de toutes les marchandises dont les travailleurs ont besoin pour vivre : nourriture, vêtements, logement, etc.
Dès lors, la source du profit capitaliste, c’est la différence entre la valeur totale créée par le travailleur pendant ses huit heures de travail quotidien (par exemple) et la valeur de sa force de travail (le salaire). Celle-ci doit être inférieure à la valeur totale produite pour qu’il y ait un profit. Sur le marché, ces valeurs prennent une forme monétaire, et leur prix est soumis aux variations de l’offre et de la demande. Mais il n’empêche : une augmentation de salaire n’augmente pas la valeur de la marchandise créée par le travailleur. Par contre, elle diminue de façon directe et immédiate le profit du capitaliste. C’est pour cette raison que la classe dirigeante s’y oppose de toutes ses forces.
Quatre-vingt-dix-neuf fois sur 100, loin d’être une cause de l’inflation, la lutte pour des augmentations de salaire vise simplement à restaurer l’ancienne valeur de la force de travail, car l’inflation a pour effet de réduire cette valeur en minant le pouvoir d’achat des salaires. Pour le dire très simplement : lorsque les salariés sont confrontés à une inflation de 10%, par exemple, ils ne peuvent maintenir la valeur de leur force de travail qu’en arrachant une augmentation de salaire de 10%. Tous les travailleurs comprennent cela, car ils en ressentent les douloureux effets à la fin de chaque mois, une fois payés le loyer, les courses et les factures.
La formation des prix
Les « théoriciens » de la « boucle prix-salaires » veulent bien reconnaître, en général, que les augmentations de salaire ne se répercutent pas directement sur les prix. Mais ils sont formels : les augmentations de salaire se répercutent indirectement – et fatalement! – sur les prix, car elles augmentent les frais de production, ce qui pousse les capitalistes à augmenter leurs prix pour défendre leurs marges de profit.
Nul doute que les capitalistes chérissent leurs marges de profit plus que tout au monde. Nombre d’entre eux tueraient père et mère pour défendre ces marges. Seulement voilà : comme l’expliquait Marx, le capitaliste individuel ne peut pas librement fixer le prix des marchandises qu’il jette sur le marché. En effet, au-dessus d’un certain prix, une marchandise est certes rentable, sur le papier, mais elle n’est plus compétitive, la concurrence étant moins chère. Inversement, le capitaliste individuel ne peut pas baisser arbitrairement les prix : en dessous d’un certain prix, la marchandise est certes compétitive, mais elle n’est plus rentable. Dans les deux cas, le capitaliste court à la faillite.
Dans Le Capital, Marx analyse en profondeur ces différents facteurs et démontre ceci : le prix d’une marchandise oscille autour de sa valeur réelle. Mieux encore : il tend vers cette valeur réelle, laquelle est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire qui y est incorporée. Si la plupart des économistes bourgeois ne comprennent rien à cette loi dégagée par Marx, c’est parce qu’ils ont renoncé à toute approche scientifique (par exemple, la plupart ne distinguent plus le prix de la valeur). Et s’ils ont renoncé à toute approche scientifique, c’est parce que leur véritable mission est d’un autre ordre. Elle consiste à défendre, à coup de raisonnements fallacieux, les marges de profit des capitalistes – et l’ordre établi en général.
Marx vs Weston
Prenons la question sous un autre angle. Dans l’absolu, est-ce qu’une augmentation des salaires peut, en augmentant la demande, faire augmenter le prix des marchandises? Oui, mais Marx démontre que toutes choses égales par ailleurs, il s’agirait d’un phénomène temporaire, d’une oscillation, et non d’une « boucle » infernale. En effet, l’augmentation des prix de telles marchandises augmente les taux de profit dans les secteurs économiques correspondants, ce qui a pour effet d’y attirer de nouveaux capitaux, lesquels augmentent l’offre de ces marchandises – et donc exercent une pression à la baisse sur leurs prix.
Marx résume cette idée dans Salaire, prix et profit, où il polémique contre un certain Weston, qui était justement un adversaire des augmentations de salaire. Marx souligne d’abord qu’une augmentation des salaires, en baissant les profits, fait baisser d’autant la demande qui vient des capitalistes. Puis il explique : « ou bien l’accroissement du salaire entraîne une dépense répartie également sur tous les objets de consommation – et dans ce cas, l’augmentation de la demande de la part de la classe ouvrière sera compensée par la baisse de la demande du côté de la classe capitaliste; ou bien l’accroissement du salaire n’est dépensé que pour quelques objets dont les prix du marché vont monter temporairement. Alors, la hausse du taux de profit qui s’ensuivra dans quelques branches d’industrie et la baisse du taux de profit dans d’autres branches provoqueront un changement dans la distribution du capital et du travail, jusqu’à ce que l’offre se soit adaptée à la demande accrue dans une branche d’industrie et à la demande diminuée dans les autres branches.
« Dans une des hypothèses, il ne se produira pas de changement dans les prix des marchandises; dans l’autre, les valeurs d’échange des marchandises, après quelques fluctuations des prix du marché, reviendront à leur niveau antérieur. Dans les deux hypothèses, la hausse générale du taux des salaires n’entraînera finalement rien d’autre qu’une baisse générale du taux de profit. »[2]
Marx explore les deux hypothèses pour les besoins de la polémique. Dans le monde réel, les augmentations de salaire des travailleurs n’ont pas d’effet significatif sur leur consommation de Rolex, de voitures de luxe ou de machines industrielles. Mais surtout, Marx analyse les mécanismes fondamentaux à l’œuvre dans l’économie capitaliste, c’est-à-dire les lois qui opèrent toutes choses égales par ailleurs. Or toutes les choses ne sont pas toujours égales par ailleurs, et surtout pas en ce moment, car les distorsions de l’économie mondiale sont colossales.
Concrètement, dans la situation actuelle, les augmentations de salaire arrachées par la grève ne sont pas du tout la cause de l’inflation. C’est l’inverse : la lutte pour des augmentations de salaire est provoquée par l’inflation, dont les causes sont multiples et toutes liées, au fond, à la crise organique du capitalisme, comme nous allons le voir. Encore une fois, les luttes actuelles pour les augmentations de salaire visent à restaurer le pouvoir d’achat des salaires, c’est-à-dire la valeur de la force de travail des salariés.
Pendant que les travailleurs s’efforcent de rattraper le terrain perdu, les gros capitalistes de certains secteurs se gavent encore plus que d’habitude. Par exemple, la flambée des prix de l’énergie – qui découle non d’une flambée des prix de production, mais d’un déséquilibre entre l’offre et la demande – signifie que les multinationales des secteurs gazier et pétrolier réalisent de gigantesques surprofits, pendant que des dizaines de millions de foyers, en Europe, renoncent à chauffer leur logement.
Soit dit en passant, cette situation scandaleuse signifie qu’une vaste campagne de la gauche et du mouvement syndical pour la nationalisation de ces multinationales trouverait un écho très favorable dans la masse de la population. Il ne suffit pas d’exiger qu’elles payent davantage d’impôts; il faut lutter pour arracher le secteur de l’énergie aux griffes du « libre marché ».
Capitaux fictifs
Venons-en aux causes de la crise inflationniste qui sévit depuis plus d’un an. Trois facteurs, au moins, sont impliqués : 1) l’énorme quantité de « capitaux fictifs » injectés dans l’économie mondiale au cours des dernières décennies; 2) un « choc de l’offre » de marchandises fondamentales; 3) une augmentation des frais de production liée à l’augmentation de la valeur de certaines marchandises, c’est-à-dire du temps de travail socialement nécessaire à leur production.
Sous le nom de « capital fictif », Marx désigne la masse monétaire qui est jetée dans la circulation (comme capital) sans bases matérielles en termes de valeurs produites (marchandises). Cela peut prendre différentes formes : dettes publiques, actions, produits financiers complexes (tels les célèbres subprimes), dépenses publiques dans des projets improductifs (dont les armements).
Alors que le capital réel, productif, vise l’extraction de plus-value à travers une production effective de marchandises, le capital fictif est une revendication hasardeuse, sans fondements dans la production, de profits qui n’existent pas encore. Marx explique que les capitaux fictifs « ne représentent pas autre chose que l’accumulation de droits, de titres juridiques sur une production à venir, dont la valeur-argent ou la valeur-capital tantôt ne représente pas de capital du tout, comme c’est le cas des titres de la dette publique, tantôt est régie par des lois indépendantes de la valeur du capital réel qu’ils représentent. »[3]
La crise de 2008-2009 avait révélé au grand jour le rôle de ces capitaux fictifs dans la formation d’énormes bulles spéculatives. Mais depuis, ces bulles ont été regonflées au moyen d’une injection de quantités inédites de liquidités dans l’économie, au risque d’aggraver ses déséquilibres internes et de préparer une crise encore plus sévère.
De ce point de vue, la réponse des classes dirigeantes à la crise sanitaire, à partir de mars 2021, a joué un rôle important dans la crise inflationniste. Depuis le début de la pandémie, plus de 16 000 milliards de dollars ont été injectés dans l’économie mondiale sous forme de diverses subventions et dépenses publiques. Les Banques centrales ont ajouté 10 000 milliards de dollars supplémentaires.
Aux États-Unis, les différentes mesures de « relance » se chiffraient, au total, à 25% du PIB du pays. Résultat : alors qu’en 2008 la Banque centrale américaine (la FED) détenait 7% des bons du trésor américain, elle en détient désormais 40%. De même, les actifs de la Banque centrale européenne s’élèvent désormais à 60% du PIB de la zone euro, contre 20% en 2008.
Ceci, combiné à la reprise de la consommation après la levée des restrictions sanitaires, a débouché sur une augmentation massive de la monnaie circulant dans l’économie, dans un contexte où la production ne parvenait pas à suivre le rythme, du fait de nombreuses ruptures dans les chaînes de production et d’approvisionnement.
En d’autres termes, une moindre circulation de valeurs (marchandises) est représentée par une plus grande circulation d’argent, ce qui provoque une augmentation générale des prix.
C’était prévisible et fut prévu par les marxistes. En janvier 2021, par exemple, nous écrivions : « Même parmi [les économistes bourgeois] les plus orthodoxes, on entend résonner des appels au laxisme monétaire le plus débridé. On les dirait fascinés par le retour d’un vieux fantasme : “l’argent magique”, l’argent qu’il suffirait de créer et de distribuer abondamment (surtout aux riches), sans que cela ait de conséquences fâcheuses (inflation, bulles spéculatives, etc.). (…) [Or] un tel argent, bien sûr, n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera jamais. L’économie ne peut pas se soutenir indéfiniment de pure création monétaire, sans production équivalente de richesses. La création monétaire – que la FED et la BCE pratiquent à des échelles inédites – ne peut pas suppléer la production de biens et de services »[4].
Crise de l’offre
La crise inflationniste découle d’une combinaison complexe de plusieurs facteurs. Après la récession de 2008-2009, l’injection massive de capitaux fictifs n’a pas immédiatement provoqué une augmentation des prix. Au contraire, l’inflation était faible, car elle était contenue par le phénomène de surproduction et par les politiques d’austérité drastiques, qui poussaient les prix vers le bas. Par ailleurs, les liquidités injectées dans l’économie n’alimentaient pas la demande effective, pour l’essentiel, mais la sphère spéculative. Les multinationales et les entreprises du secteur financier étaient assises sur d’énormes quantités d’argent qui n’étaient pas investies dans la production.
Mais à un certain stade, dialectiquement, les choses se transforment en leur contraire. La pandémie mondiale – et le chaos qu’elle a engendré sur les chaînes de production et d’approvisionnement – a marqué une rupture qualitative dans le développement de la crise organique du capitalisme.
La pandémie a précipité une « crise de l’offre » : l’économie mondiale a été minée – et reste minée, à ce jour – par toutes sortes de goulots d’étranglement, de pénuries de matières premières et de ruptures dans les chaînes de production et d’approvisionnement. L’offre ne suit pas la demande, moyennant quoi les prix augmentent.
C’est particulièrement le cas dans des secteurs décisifs tels que l’énergie et les transports, mais ce phénomène se répercute ensuite, graduellement, sur les prix de toutes les marchandises, à des rythmes et des degrés divers.
Dans la plupart des pays capitalistes avancés, c’est l’augmentation des prix de l’énergie qui est responsable d’une large fraction de l’inflation (plus de la moitié). Dans la zone euro, l’énergie et la nourriture constituent les trois-quarts de la poussée inflationniste.
Soit dit en passant, la guerre en Ukraine n’a pas déclenché la crise inflationniste, comme on l’entend trop souvent. Mais elle l’a indiscutablement aggravée en obligeant de nombreux pays à se fournir en marchandises plus chères, du fait d’une offre réduite.
Enfin, pendant des décennies, la concurrence a poussé les capitalistes à mettre en œuvre des méthodes de production « en flux tendus » : réduction des stocks au minimum, ajustement de la production à la demande immédiate, etc. C’est une source de profitabilité accrue lorsque « tout va bien » (pour les capitalistes), mais c’est une source de graves problèmes en cas de pénuries et de ruptures dans les chaînes d’approvisionnement et de production. En d’autres termes, la course aux profits a énormément fragilisé les capacités de l’économie à faire face à de brusques modifications de l’offre et de la demande. Cela révèle la faillite de l’économie de marché, une fois de plus, et souligne la nécessité d’une planification socialiste et démocratique de la production.
Dislocation du marché mondial
Outre les capitaux fictifs et la crise de l’offre, un troisième facteur est à l’œuvre dans la crise inflationniste : une augmentation réelle des frais de production (en valeur). Alors que les deux premiers facteurs relèvent de la pression des forces du marché sur les prix (déséquilibres entre l’offre et la demande), ce troisième facteur relève d’une augmentation relative de la valeur de certaines marchandises, c’est-à-dire de la quantité de travail socialement nécessaire à leur production.
Aujourd’hui, c’est surtout lié à l’amorce d’une dislocation du marché mondial. Pendant les dernières décennies, la mondialisation a joué un rôle important dans la pression à la baisse sur les prix. D’une part, en intégrant le marché mondial, la Chine, la Russie et l’Europe de l’Est lui ont apporté de nouvelles ressources et une vaste réserve de main d’œuvre bon marché. D’autre part, le développement des transports et de la communication, ainsi que la concentration de la production entre les mains de multinationales géantes ont généré d’importantes « économies d’échelle ». Cette augmentation de la productivité exerçait une pression à la baisse sur les prix.
Mais désormais, cette tendance commence à s’inverser. Les nationalismes économiques relèvent la tête. Le protectionnisme et la balkanisation du capitalisme aggravent les ruptures dans les chaînes mondiales d’approvisionnement, ce qui entraîne des baisses de la productivité et donc une augmentation des prix – relativement aux salaires – causée par une augmentation de la quantité de travail socialement nécessaire à la production des marchandises concernées.
« Stagflation » et lutte des classes
En réaction à la crise inflationniste, la plupart des classes dirigeantes des grandes puissances resserrent nettement leurs politiques monétaires. Les taux d’intérêt des Banques Centrales sont relevés à la hâte dans l’espoir de faire baisser la demande, et donc les prix. L’objectif est de provoquer une récession « limitée et contrôlée ». Mais les contradictions de l’économie mondiale sont trop profondes – et les dettes accumulées trop gigantesques – pour qu’un resserrement brutal des politiques monétaires se solde par un atterrissage en douceur. Dans un contexte où la dette globale, au niveau mondial, s’élève à 360% du PIB, le renchérissement du crédit pourrait précipiter une profonde récession.
Ceci étant dit, il est possible que l’inflation ralentisse un peu au cours des prochains mois. Mais elle pourrait se maintenir à un niveau assez élevé, moyennant quoi l’économie mondiale s’engagerait dans un scénario cauchemardesque : la « stagflation », c’est-à-dire une combinaison de stagnation (ou de faible croissance) et d’inflation élevée.
Une chose est sûre : quels que soient le rythme et l’intensité de la crise, l’addition sera présentée à la classe ouvrière sous la forme de politiques d’austérité – éventuellement combinées à une inflation élevée.
Face à la chute du pouvoir d’achat engendré par la hausse des prix, le mouvement ouvrier doit lutter pour l’indexation des salaires sur l’inflation. Lorsqu’ils entendent ce mot d’ordre, les économistes bourgeois lèvent les bras au ciel et prophétisent une spirale infernale « prix-salaires ». Mais nous avons vu que cette prophétie n’a aucune base scientifique; elle vise uniquement à défendre les marges de profit des capitalistes.
Ceci étant dit, la gauche et le mouvement syndical doivent prendre toute la mesure de la catastrophe économique actuelle et à venir. En dernière analyse, la crise inflationniste actuelle est un symptôme de l’anarchie et du déclin du système capitaliste, qui constitue désormais un monstrueux obstacle sur la voie du progrès social. Pour en finir avec les crises économiques et les souffrances inouïes qu’elles imposent à des milliards d’individus, il faudra en finir avec le capitalisme lui-même. Il faudra renverser ce système à l’échelle mondiale et le remplacer par une planification rationnelle et démocratique de la production, sur la base d’une collectivisation des grands leviers de l’économie.
Il faudra une révolution socialiste mondiale. Marx ne pensait pas à autre chose lorsqu’il affirmait, dans Salaire, prix et profit, qu’en luttant pour des augmentations de salaire, « [les travailleurs] ne doivent pas oublier qu’ils luttent contre les effets et non contre les causes de ces effets, qu’ils ne peuvent que retenir le mouvement descendant, mais non en changer la direction, qu’ils n’appliquent que des palliatifs, mais sans guérir le mal. Ils ne doivent donc pas se laisser absorber exclusivement par les escarmouches inévitables que font naître sans cesse les empiétements ininterrompus du capital ou les variations du marché. Il faut qu’ils comprennent que le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la transformation économique de la société. »[5]
Les « conditions matérielles » auxquels Marx fait référence, ce sont les gigantesques moyens de production développés par la classe ouvrière dans le cadre du capitalisme. Grâce à ces moyens de production, il serait possible d’en finir avec toutes les formes de misère, d’exploitation et d’oppression.
Quant aux « formes sociales » dont parle Marx, il s’agit de la classe ouvrière elle-même, que le capitalisme a puissamment développé et sans laquelle pas une roue ne tourne et pas une lumière ne brille. C’est à cette classe, la seule classe révolutionnaire de la société moderne, que revient la tâche de prendre le pouvoir et d’engager la transformation socialiste de la société. L’avenir de l’humanité dépendra de la victoire ou de la défaite de notre classe dans sa lutte pour le pouvoir – et de rien d’autre.
[1] Face à l’inflation : mobilisation ! Éditorial de Révolution, n° 56
[2] Karl Marx. Salaire, prix et profit, pages 16 et 17. Éditions sociales (1966).
[3] Karl Marx. Le Capital, livre III, tome II, chapitre 29, page 131. Éditions sociales (1970).
[4] Au bord du gouffre. Éditorial de Révolution, n° 48.
[5] Karl Marx. Salaire, prix et profit, pages 73 et 74.