Longtemps vantée comme un modèle de croissance, l’économie grecque est aujourd’hui en faillite. Les politiques d’« ajustement » mises en œuvre par le gouvernement socialiste de Papandréou sont les pires attaques que les travailleurs aient connues en 35 ans : coupes drastiques dans les retraites et les salaires du secteur public ; augmentation de l’âge du départ à la retraite ; abolition du 14e mois de salaire (une tradition établie de longue date, mais qui revenait souvent à étaler 12 mois de salaires sur 14…) ; licenciements massifs et gel de tous les programmes d’embauche dans le secteur public. Ces mesures draconiennes ont déclenché une mobilisation impressionnante, comme on l’a vu lors des deux grèves générales du 24 février et du 11 mars dernier.
La faillite de l’économie grecque jette également une lumière crue sur la nature de l’Union Européenne et sur sa viabilité. Elle laisse présager d’une crise majeure de l’UE, d’autant que les économies espagnole, italienne, irlandaise – et même britannique – prennent la même direction que la Grèce. Toutes accumulent de gigantesques dettes publiques, non loin des 120% du PIB, pour certaines.
Impasse du capitalisme
Le capitalisme grec est à un point critique de son histoire. Après 16 ans de croissance continue, l’économie est entrée dans sa deuxième année de récession. En 2009, le PIB a reculé de 1,6%. En 2010, les économistes s’attendent à un recul semblable. Dans certains pays européens, il existe des signes de reprise – même si celle-ci reste faible et instable. Mais la Grèce, maillon faible de l’Union Européenne, plonge dans un profond marasme. Entre septembre 2008 et septembre 2009, la production industrielle a chuté de 24,5%. Fin 2009, le ministre du Travail, Andreas Lomverdos, a même prédit devant le Parlement que la Grèce connaîtrait une baisse de ses investissements de l’ordre de 20%, en 2010. Le chômage augmente rapidement. En 2009, 186 000 emplois ont été supprimés, sur une population de 11 millions d’habitants. Le même ministre a annoncé que le chômage pourrait rapidement atteindre la barre des 20%, comme c’est le cas en Espagne.
Des démagogues pro-capitalistes déclarent quotidiennement, dans les médias grecs, que la gravité de la crise est à mettre sur le compte de l’appétit insatiable du peuple grec pour le bien-être. C’est d’un cynisme sans bornes. Ce sont les contradictions fondamentales du capitalisme qui ont provoqué la crise mondiale. Ce sont ces contradictions, également, qui ont fait chuter les économies les plus faibles, sur le marché mondial – telle que l’économie grecque. Le capitalisme et ses institutions produisent des crises, de la corruption et de la dette comme la nuée porte l’orage.
Les capitalistes et l’Etat grecs sont responsables de cette gigantesque dette nationale. Elle a été créée par des subventions publiques massives au secteur capitaliste, par des allégements fiscaux et une évasion fiscale débridée, par d’énormes dépenses publiques dans la défense, par les salaires scandaleusement élevés dont bénéficient les hauts fonctionnaires, et enfin par les vagues de privatisations qui ont réduit les revenus du secteur public comme peau de chagrin.
Voici quelques chiffres qui illustrent l’origine de la dette publique grecque :
67,5% des recettes fiscales de l’année 2009 ont été reversées principalement dans les coffres des banques nationales et internationales, et plus généralement vers les détenteurs d’obligations d’Etat et de bons du Trésor, qui ont « prêté » de l’argent à l’Etat à des taux très juteux.
L’enveloppe de « sauvetage » des banques s’est élevée à 28 milliards d’euros, soit 12,4% de la dette publique. Cela aurait suffi à racheter ces mêmes banques, sans parler de les exproprier.
En 2004, le taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés a été ramené de 35% à 25%. Pendant ce temps, les profits des 300 plus grandes entreprises ont augmenté de 365%. Cela signifie que des dizaines de milliards d’euros qui auraient pu être versés à l’Etat sont restés dans les coffres des capitalistes.
Chaque année, en Grèce, l’évasion fiscale représente quelque 20 milliards d’euros de manque à gagner, pour l’Etat, soit près de 40% du déficit budgétaire. Ces sommes n’atteignent jamais les caisses de l’Etat. La plus grande partie est absorbée par les propriétaires d’entreprises privées. En 2008, 15 300 entreprises ne payaient pas de taxes.
Le budget de la défense grecque, sur la période 2009-2010, a atteint les 6 milliards d’euros.
Le résultat de tout ce gaspillage et du favoritisme dont bénéficient les capitalistes, c’est cette énorme dette publique qui, selon un rapport d’une commission d’enquête créée en octobre 2009, dépasse désormais la barre des 300 milliards d’euros.
Parasites
La dette publique est une énorme source de profits pour les banquiers qui prêtent au secteur public. Le gouvernement va leur emprunter 55 milliards d’euros – pour rembourser la dette. Le seul remboursement des intérêts de la dette va s’élever à 12,3 milliards d’euros. Les « prêteurs » bénéficieront d’environ un milliard d’euros de plus que ce qui sera consacré aux retraites de la fonction publique. Cela représente aussi deux milliards de plus que le niveau des investissements publics. C’est environ le double des dépenses publiques dans la santé ou l’éducation. C’est enfin 125 % de l’ensemble des recettes fiscales d’une année entière. Sur les 55 milliards d’euros que le gouvernement va emprunter, 32,5 milliards seront versés aux banquiers.
L’année dernière, les banques grecques ont emprunté, auprès de la Banque Centrale Européenne, à un taux d’intérêt de 1%, tout en achetant à l’Etat grec des obligations rémunérées à hauteur de 7,24 % ! En janvier 2009, ces taux d’intérêt lucratifs ont attiré une énorme quantité de spéculateurs, qui ont « prêté » à l’Etat grec 8 milliards d’euros à un taux d’environ 6,2 %. Ceci leur a rapporté 496 millions d’euros de bénéfices, soit le niveau de financement nécessaire à la construction de 350 écoles !
En fin de compte, le gouvernement de Papandréou va mettre l’ensemble de la société grecque à contribution – à l’exception d’une poignée de capitalistes – dans le but de soutenir les énormes profits des usuriers qui parasitent l’Etat grec.
L’Union Européenne
Les capitalistes et les politiciens bourgeois des grandes puissances européennes – Allemagne et France en tête – ne sont pas seulement préoccupés par les menaces que cette situation fait peser sur l’euro. Ils craignent également pour les banques européennes qui possèdent des obligations grecques. Une faillite de l’Etat grec aurait de graves répercussions sur les banques européennes, qui ont investi environ 300 milliards d’euros dans les obligations de l’Etat grec et dans des actions. Les banques françaises, suisses et allemandes y ont davantage investi que les banques grecques elles-mêmes. Les banques grecques ont investi 30 milliards d’euros en obligations. Tous craignent que l’Etat ne parvienne pas à répondre à ses engagements. Sarkozy, qui s’est soudainement découvert solidaire de la Grèce, n’est pas désintéressé. Les banques françaises sont les premiers « préteurs » de l’Etat grec, avec environ 80 milliards d’euros en obligations.
C’est une situation très grave, pour l’ensemble de l’Europe. Si la Grèce fait faillite, cela pourrait provoquer un « effet domino », c’est-à-dire une série de défauts de paiement qui affecterait non seulement l’Espagne, le Portugal, l’Italie et l’Irlande, mais aussi la Grande-Bretagne. Cela conduirait à l’effondrement immédiat de toute perspective de reprise économique, en Europe.
Les bailleurs de fonds internationaux sont de plus en plus préoccupés par la solvabilité de ces Etats. Renflouer l’économie grecque, qui est relativement petite, est une chose. Mais que se passerait-il si des économies plus importantes se trouvaient dans la même situation ?
La crise grecque est sans doute la plus grave de l’histoire de la zone euro. Les plus hautes autorités de l’UE ont exigé que la Grèce réduise sa masse salariale, accélère la contre-réforme des retraites et réduise immédiatement de 10% les dépenses de l’Etat. Mais la perspective de trois années d’austérité économique n’ira pas sans provoquer de grandes lutes – et, à terme, une explosion sociale.
La crise financière grecque a accru la pression sur les autres pays de l’UE pour qu’ils « assainissent » leurs finances publiques. Cela ne peut que mener à une intensification de la lutte des classes, partout en Europe. La montée rapide du chômage a d’abord agi comme un frein sur les grèves économiques. Mais le mécontentement s’accumule, et peut éclater à tout moment. Les récentes grèves générales, en Grèce, sont une indication des perspectives qui se dessinent pour l’ensemble du continent européen.