Il y a 70 ans jour pour jour, la petite ville d’Asbestos, dans les Cantons-de-l’Est, était le théâtre d’une des grèves les plus marquantes de l’histoire du mouvement ouvrier québécois. En plus d’avoir enflammé la province pendant quelques mois, elle fut l’un des événements majeurs ayant mené à la Révolution tranquille. Pierre Elliott Trudeau a décrit cette grève comme « l’annonce violente du début d’une nouvelle ère ». Même si elle s’est soldée par une défaite, les travailleurs ont montré qu’il était possible de lutter contre le régime despotique de Duplessis et le joug des patrons. Cette lutte héroïque demeure aujourd’hui une grande source d’inspiration pour le mouvement ouvrier.
Les événements d’Asbestos surviennent dans une province dominée par les entreprises américaines et anglo-canadiennes, qui y exploitent les ressources naturelles et la main-d’oeuvre francophone bon marché. Sous couvert de nationalisme québécois, le premier ministre Maurice Duplessis et son parti l’Union nationale travaillent pour ces intérêts impérialistes en garantissant l’exploitation de la classe ouvrière de la province. Cette domination s’appuie également sur l’Église catholique, qui exerce un contrôle sur tous les aspects de la vie des travailleurs. La grève d’Asbestos est généralement vue comme la première confrontation directe et ouverte entre le mouvement ouvrier et le régime despotique de Duplessis.
Une province sous contrôle duplessiste
Après un premier mandat de 1936 à 1939, Maurice Duplessis revient au pouvoir en 1944, en faisant campagne entre autres en tirant sur les ficelles du nationalisme canadien-français, en critiquant la corruption chez les libéraux, et en surfant sur le mouvement anti-conscription qui traverse le Québec pendant la Seconde Guerre mondiale.
Celui qu’on appelait le Chef reste au pouvoir seize ans, dirigeant le Québec d’une main de fer, écrasant les luttes ouvrières pour mater les aspirations progressistes des travailleurs. À cette époque, le peuple laborieux se trouve dans un état de retard social effarant par rapport à ses voisins des États-Unis et du reste du Canada. Sous couvert de nationalisme québécois, Duplessis se fait le gardien des intérêts des entreprises multinationales, auxquelles il livre sur un plateau les ressources du Québec ainsi que ses travailleurs. Tandis que les capitalistes en Occident octroient à leur classe ouvrière des améliorations à leurs conditions de vie et de travail en raison des luttes de celle-ci, ou simplement par peur de propagation du « communisme », au Québec c’est la « Grande Noirceur ».
Le régime impose un climat de peur et de répression. En 1937, Duplessis adopte la « loi du cadenas », qui interdit toute propagande communiste ou bolchevique (sans définir aucun des deux termes dans la loi). Cela permet à l’État à et ses chiens de garde d’accuser une organisation d’être communiste, de lui retirer son accréditation et de cadenasser ses locaux.
Il est aussi à souligner que Duplessis, en plus du rôle de premier ministre du Québec, s’octroie celui de procureur général (poste qui échoit classiquement au ministre de la Justice). Cela lui donne un grand pouvoir de mobilisation de la Police provinciale (la PP), dont il se servira comme ses chiens de garde. Mais face à l’arsenal de Duplessis se trouvent des syndicats qui militeront de plus en plus radicalement pour les intérêts des travailleurs et travailleuses.
Syndicalisme catholique
À Asbestos, le syndicat des mineurs fait partie de la CTCC, la Confédération des travailleurs catholiques du Canada. La CTCC, fondée en 1921, réunit les syndicats catholiques du Québec – seuls syndicats confessionnels en Amérique du Nord. La fondation de cette centrale a pour but affiché dès le départ de s’opposer aux centrales des syndicats internationaux affiliés à l’AFL (American Federation of Labor), qui sont très combatifs et représentent les deux tiers des syndiqués québécois. La création de la CTCC vise donc à la base à calmer l’ardeur revendicatrice des travailleurs. En effet, le clergé, lié au pouvoir duplessiste, a une énorme influence sur ces syndicats, via l’aumônier de chaque local. Ce n’est qu’en 1943 que la CTCC commence à accepter des membres non catholiques de plein droit.
Cependant, des organisations conciliatrices ne peuvent pas paralyser éternellement la volonté de lutter de la classe ouvrière. La grève d’Asbestos, lors de laquelle les travailleurs adopteront des méthodes combatives et refuseront les compromis avec les patrons, sera un premier pas dans la radicalisation de la CTCC. La déconfessionnalisation de la centrale sera complétée en 1960, lorsqu’elle deviendra la Centrale des syndicats nationaux (CSN).
Les centrales « internationales » critiquent la CTCC pour son manque de combativité et sa tendance à la conciliation. Mais étant donné la puissance de l’Église dans la belle province, le syndicalisme catholique garde une emprise importante sur les travailleurs canadiens-français, qui s’y reconnaissent.
Contexte social, polarisation et lutte syndicale dans les mines d’amiante
À Asbestos, petite ville minière des Cantons-de-l’Est, on exploite les mines d’amiante dès la fin du 19e siècle. En 1949, 2000 mineurs d’Asbestos travaillent pour la mine Johns-Manville (JM). À Thetford, juste à côté, 3000 mineurs creusent aussi l’amiante pour plusieurs entreprises (Flintkote, Johnson, et Asbestos Corp.). Les mineurs travaillent dans des conditions déplorables, et, amiante oblige, souffrent de graves maladies pulmonaires. L’histoire a retenu la ville d’Asbestos, car c’est là que le combat – littéralement – s’est mené, tandis qu’à Thetford, bien qu’aussi rude, la grève y sera moins spectaculaire.
Déjà en 1937, 1200 mineurs avaient débrayé et il leur avait suffi d’une semaine pour obtenir la reconnaissance du Syndicat des mineurs d’Asbestos, ainsi qu’une hausse de salaire de 25 cents à 35,5 cents l’heure. Lors de la vague de grèves qui a frappé le Québec en 1946-1947, les ouvriers avaient obtenu que la négociation collective se fasse avec la Fédération des syndicats de l’amiante, c’est-à-dire les représentants des syndiqués de toutes les mines, plutôt qu’avec le syndicat de chaque mine. Cela aidera notamment à la solidarité ouvrière qui se mettra en place lors de la grève.
Peu avant la grève, Duplessis tente de faire passer le Bill 5, un projet de code du travail foncièrement anti-ouvrier, qui s’attaque à l’atelier fermé et demande aux syndicats de fournir au gouvernement leurs rapports financiers et leurs listes de membres. Ce code est repoussé grâce à l’union de tout le mouvement syndical (syndicats internationaux et nationaux catholiques) et de la Commission sacerdotale d’Études sociales. La commission est l’organe de l’Église au Québec qui s’exprime publiquement sur toutes les questions sociales, et elle est assez écoutée par tous les croyants.
De plus, une découverte sordide vient assombrir l’humeur des travailleurs peu avant le début de la grève : les cadavres de dizaines de mineurs non syndiqués morts de silicose sont trouvés dans une mine de kaolin dans les Laurentides, et entassés là dans un véritable charnier.
Une fois arrivés en 1949, et malgré les vagues de grèves de 1942-1943 et 1946-1947 au Québec, les mineurs syndiqués de la CTCC à Asbestos en ont marre. Leurs conditions de travail et leurs conditions de vie, sous la coupe du régime autoritaire de Duplessis, sont encore bien en deçà ne serait-ce que de celles de leurs voisins ontariens. En 1949, ils demandent plus de sécurité et de protection au travail (face aux risques associés à l’amiante), une hausse de salaire de 15 cents pour arriver à 1 dollar de l’heure, l’application de la formule Rand et des primes de nuit et de fin de semaine. Faisant preuve d’un degré élevé de conscience de classe, les travailleurs demandent également la participation systématique du syndicat dans la gestion des emplois (embauches, promotions, renvois). Ce dernier point, une certaine forme de cogestion des syndicats dans l’entreprise, effraie particulièrement les patrons, et cimente leur indéfectible volonté de refuser les revendications des travailleurs.
Les patrons ne pouvaient pas leur faire ces concessions. C’était un face-à-face entre d’un côté les multinationales américaines, soutenues par le gouvernement, la bourgeoisie locale et le clergé, et de l’autre les masses ouvrières québécoises. S’ils avaient cédé aux demandes des mineurs, cela aurait créé un précédent dans la province, et incité les autres ouvriers à demander les mêmes choses.
Rupture à la Saint-Valentin
De fin décembre à début février, les négociations puis la conciliation n’aboutissent à rien. Le 13 février, en assemblée générale syndicale, le choix doit être fait : aller en arbitrage ou bien partir en grève illégale. L’arbitrage, les mineurs le savent, ne leur sera pas favorable. Et puisqu’ils sont en cours de négociations, la grève est illégale. Les ouvriers veulent partir en grève immédiatement. Leurs représentants essaient de les convaincre d’attendre 48 heures, mais rien n’y fait. La réunion s’étire en longueur, et le 14 aux premières heures de la Saint-Valentin, c’est la rupture entre les ouvriers et les exploiteurs.
Les mineurs tiennent un piquetage à la mine. À leur initiative, seuls les travailleurs de l’entretien sont autorisés à travailler, pour ne pas que les installations de la mine s’endommagent : les travailleurs en veulent aux propriétaires des moyens de production, pas aux moyens de production eux-mêmes. La première journée est sous le signe de la liesse populaire, les grévistes célèbrent tous ensemble et en famille ce pied de nez qu’ils font à leurs exploiteurs. Dans une démonstration formidable de solidarité de classe, les mineurs de Thetford suivent leurs camarades d’Asbestos le même soir, eux qui subissent les mêmes conditions de travail pitoyables.
Mais l’euphorie ne dure pas. Dès le lendemain, le 15 février, la grève est déclarée illégale et condamnée par le ministre du Travail, Antonio Barrette, avec menace de retirer son accréditation au syndicat via la Commission des relations ouvrières (CRO). On tente de ramener les grévistes de la mine de Flintkote à Thetford au travail en leur offrant des compromis, mais ils refusent par solidarité ouvrière. Le 18 février, les grévistes occupent les bureaux de la direction de la JM, qui appelle le gouvernement à la rescousse. Ainsi, dès le lendemain, 150 agents de la Police provinciale s’installent gratuitement au club Iroquois, l’hôtel appartenant à la Johns-Manville, et l’entreprise annonce vouloir poursuivre le syndicat pour 500 000 dollars. Le 19 février, la PP se porte à la défense de la mine et les grévistes arrêtent le piquetage, pour éviter une confrontation avec la PP, d’autant qu’elle était arrivée saoule et voulait provoquer les manifestants pour les accuser de violence.
Le lundi 21 février, la CRO retire au syndicat son accréditation. Barrette et Duplessis voient que le conflit commence à s’envenimer et arrangent une rencontre avec les leaders syndicaux. Mais Duplessis ne veut voir que les représentants locaux, et refuse de voir Jean Marchand, le secrétaire général de la CTCC. Les représentants locaux refusent. Qui plus est, la proposition subséquente de Barrette est de négocier après un retour immédiat au travail et un retrait de la CTCC des négos, ce qui est inacceptable aux yeux des travailleurs. La stratégie du gouvernement, dès le départ, est donc de menacer les travailleurs et d’envoyer ses chiens sur place pour affirmer son autorité. Les grévistes, s’y attendant, ne plient pas.
La JM commence une grande campagne de désinformation dans tous les médias. Son message : « Cette grève est illégale, inutile, coûteuse ». Elle tente de semer la discorde entre les grévistes et leurs leaders syndicaux. De leur côté, les grévistes s’organisent et mettent en place des comités : le comité de grève (qui gère la stratégie générale du mouvement), le comité des loisirs (qui s’occupe de l’organisation pratique des activités : parade, manifestation, par exemple), le comité du magasin (qui distribue des bons de survie aux grévistes en fonction de leur situation familiale), et le comité du secours (qui gère la redistribution de l’aide envoyée par tout le pays). On voit les tendances à l’organisation spontanée de la classe ouvrière. En parallèle, la PP patrouille en ville pour renforcer la pression sur les grévistes et Barrette se campe sur la proposition qu’il défendra pendant la majeure partie du conflit, c’est-à-dire : « Vous retournez au travail, et ensuite nous négocierons. »
Tentatives de négociations et escalade du conflit
Après un mois de conflit, le 14 mars, le chemin de fer permettant d’aller à la mine est dynamité, signe que plus le temps passe, plus la tension monte. Ce dynamitage n’est pas revendiqué, mais il sert bien la campagne de la JM pour discréditer les grévistes. Les syndicats des mineurs tentent de contrer la campagne de désinformation orchestrée par la JM, le régime de Duplessis et les grands patrons. Le climat général périclite petit à petit dans la petite ville minière. Au même moment, la JM commence à recourir à des briseurs de grève, principalement venus des villages alentour sous escorte policière. Dans ce climat lourd, des groupes se forment spontanément, sans aval syndical, pour aller battre ces casseurs de grève, ce qui augmente en réaction les abus et la répression de la PP.
Le 28 mars, la grève est discutée à l’Assemblée nationale, où Duplessis critique la formule Rand, et affirme que la grève n’est que le fait d’une minorité de travailleurs. De même, la JM par l’entremise de L’Action catholique, un journal ayant une tradition d’antisyndicalisme et de briseur de grève (notamment celles des typographes), affirme que la grève est « préparée, provoquée et dirigée par une poignée d’entêtés ». La JM souhaite ainsi isoler la tête dirigeante, qu’elle prétend infiltrée par des socialistes zélés souhaitant faire la grève pour des raisons idéologiques.
Le ministre Barrette soutient que la grève ne peut se résoudre en raison de son caractère illégal. La direction syndicale lui répond en le qualifiant de ministre, non pas du Travail, mais du Capital. Les deux côtés campent sur leurs positions.
En parallèle, les briseurs de grève reçoivent une augmentation de 10 cents de l’heure dans l’objectif d’en attirer encore plus, et de faire retourner les grévistes à la mine. À ce moment, dans le courant du mois d’avril, environ 350 scabs ont été recrutés, et la production repart doucement. L’objectif des grévistes devient alors d’empêcher les briseurs de grève d’aller à la mine.
C’est à ce moment que la JM ordonne d’évincer des grévistes des logements qui lui appartiennent, mais le ministre Barrette la force à reculer. Il est bien conscient que ce geste serait mal perçu par l’opinion publique, sachant que l’intégralité du mouvement syndical est déjà derrière la grève.
Le PDG de la JM fait passer le 22 avril dans tous les journaux de la province, ainsi que dans le reste du Canada et même aux États-Unis « Un rapport sur la grève dans les mines d’amiante », qui blâme la tête du syndicat pour la radicalisation et lui reproche de ne plus se battre pour les travailleurs, mais contre le capitalisme et pour le socialisme ou le communisme. Il dénonce particulièrement la revendication de la gestion des emplois, qui remet en question la propriété privée elle-même. Avec celle-ci, « les chefs de la grève […] semblent avoir l’intention d’usurper les fonctions de la direction et, de cette façon, affecter injustement les droits à la propriété de milliers de propriétaires qui ont placé leurs économies dans notre mine », affirme-t-il. Ce faisant le patronat espère fomenter la peur rouge pour discréditer les syndicats aux yeux des travailleurs et du peuple québécois en général.
Le 25 avril, l’archevêque de Québec, Mgr Roy, se place en médiateur des négociations. Le raisonnement des patrons de JM est qu’ils pourront ainsi se servir de l’autorité de l’archevêque, que les travailleurs respectent, pour mettre fin à la grève et les convaincre d’abandonner certaines de leurs revendications plus radicales. Mais le conflit de classes est trop avancé. Les travailleurs exigent la réembauche des grévistes congédiés, ce que la JM refuse catégoriquement. La médiation échoue.
Asbestos polarise le Québec
Cette grève occupe une place particulière dans l’histoire de notre classe, car elle a servi de point de ralliement pour tous ceux qui voulaient lutter contre le gouvernement de Duplessis. La solidarité vient de toute la province : toutes les centrales syndicales (la CTCC, l’AFL, et la CIO) envoient des camions de denrées alimentaires ainsi que de l’argent, plusieurs dizaines de milliers de dollars (sur toute la grève, on dépassera les 300 000 dollars). Il y a même une délégation étudiante de l’Université de Montréal qui amène des vivres aux grévistes, ce qui fera dire au père Cousineau, un ecclésiastique engagé dans la Commission sacerdotale d’Études sociales, qu’il espère voir là « une génération qui placera la justice sociale au-dessus de la légalité ».
La grève est également emblématique de la situation au Québec à l’époque. Des milliers de travailleurs francophones pauvres qui luttent contre une compagnie impérialiste américaine, soutenue par un gouvernement répressif. Les forces de la réaction se rallient toutes en soutien à la compagnie alors que les forces progressistes appuient les mineurs. La grève polarise complètement la province, et divise jusqu’à l’Église catholique, cette grande alliée du régime duplessiste. Duplessis, auparavant, se vantait en disant « les évêques mangent dans ma main ». Mais avec la grève, l’Église sera profondément secouée. La majorité du clergé se range du côté des grévistes, certains par souci de l’ordre, certains pour sauver le syndicalisme catholique, mais d’autres par authentique solidarité.
Le dimanche 2 mai, à la cathédrale de Montréal, Mgr Joseph Charbonneau prononce un discours surprenant : « La classe ouvrière est victime d’une conspiration qui vise à la détruire, et lorsqu’il existe une conspiration pour briser la classe ouvrière, il est du devoir de l’Église d’intervenir. Nous voulons la paix sociale, mais nous ne voulons pas l’écrasement de la classe ouvrière. Nous sommes attachés à l’homme plus qu’au capital. » Comme punition, Duplessis envoie Mgr Charbonneau à Vancouver. Les évêques organisent une collecte d’argent et de denrées aux portes des églises totalisant 500 000 dollars et pour 75 000 dollars de denrées. Cette situation crée une crise telle au sein du gouvernement que celui-ci envoie Antonio Barrette à Rome pour demander au Vatican que les autorités ecclésiastiques du Québec retirent leur appui aux grévistes.
Aux barricades!
Les négociations sont dans l’impasse. La tension arrive à son comble lors des événements du 5 mai. Au petit jour, les grévistes se rassemblent pour aller intimider les briseurs de grève. Aux entrées de la ville, la PP est installée pour tenter d’empêcher les grévistes de Thetford de rejoindre ceux d’Asbestos, en vain. Une fois rassemblés, aux cris de « Allons sur les routes », des groupes de centaines de manifestants bloquent les quatre entrées de la ville avec des barricades, ainsi que les entrées des terrains de la compagnie.
Il y a des altercations avec la PP sur les barricades. Des policiers sont faits prisonniers, mais les responsables des barricades réussissent à retenir les gens et à empêcher un lynchage. La PP se calfeutre dans les bâtiments de la compagnie et dans son quartier général au club Iroquois. Vers minuit, les dirigeants syndicaux tentent de calmer les masses qui leur échappent, mais ils se font répondre « Ils nous auront peut-être, mais il leur faudra d’abord nous passer sur le dos ». La détermination des travailleurs est remarquable.
Deux heures plus tard, une autre assemblée est convoquée, et les grévistes apprennent qu’un convoi de 25 voitures de police et d’un camion est en route, remplis de policiers ayant l’ordre de tirer si nécessaire. Vu la violence dont faisaient déjà acte les forces de l’État bourgeois, ça aurait été un massacre que de rester sur les barricades. Confrontés à des forces vastement supérieures, les grévistes abandonnent les barricades et finissent par rentrer chez eux.
Mais Duplessis souhaite écraser la grève et en faire un exemple pour décourager le reste de la classe ouvrière. Peu après, la PP arrive et avant le matin, la ville est sous son contrôle. L’acte d’émeute est lu, et les policiers arrêtent près de 200 personnes au cours de la fin de semaine, même si la plupart sont relâchées peu après. Quelques grévistes sont condamnés à un ou deux mois de prison, peines qui seront commuées en amendes. Suite à ces événements, la JM évoque la possibilité de quitter la ville et de s’installer en Ontario, où elle a trouvé des gisements d’amiante. Enfin, le 14 mai, c’est l’arrestation des leaders syndicaux, sur accusation de complot et de conspiration. Le directeur adjoint de la CTCC, René Rocque, est emprisonné pendant six mois pour « conspiration pour intimidation ».
Suite à ces événements, le conflit s’éternise. La solidarité ouvrière est encore grande à travers la province, notamment grâce au soutien de l’Église et de la centrale syndicale qui envoient de l’argent aux travailleurs en lutte. On peut noter au mois de juin une visite de solidarité de collègues américains, syndiqués internationaux, qui confirment que les mines d’amiante du Québec ont un retard de 20 ans en matière de sécurité au travail par rapport aux conditions qui règnent aux États-Unis.
Mgr Roy, l’archevêque de Québec, continue d’être le médiateur du conflit jusqu’à la fin de la grève, médiation qui dure, car la JM refuse de réembaucher une vingtaine de grévistes qu’ils ont mis sur une liste noire. Les chefs syndicaux veulent des garanties essentielles : que le syndicat regagne son accréditation, que les grévistes ne subissent aucune discrimination, et un arbitrage impartial sur tous les points demandés au départ. La grève prend fin le 1er juillet, et les ouvriers retournent au travail. Ils obtiennent les garanties essentielles (accréditation et non-discrimination, bien que les scabs gardent leur emploi), mais c’est une défaite sur tous les points qui avaient amenés la grève au départ, en particulier sur les protections respiratoires pour l’amiante.
Faisons revivre l’esprit d’Asbestos!
Certes, la grève d’Asbestos a, bien tristement, été une défaite pour les mineurs. Malgré la défaite, elle est entrée dans l’histoire comme une des grandes luttes de la classe ouvrière québécoise contre l’exploitation capitaliste. Elle est même souvent considérée comme le début de la Révolution tranquille. Elle a attiré l’attention de toute la province sur une lutte de classe claire, et polarisé l’ensemble de la société québécoise. Les intellectuels, les étudiants, le clergé, tous ont dû choisir leur camp : celui des travailleurs ou celui de Duplessis et de la bourgeoisie. Microcosme de la société québécoise dans son ensemble – 5000 travailleurs majoritairement francophones, en lutte contre des entreprises américaines et leurs alliés de la police et de l’État –, la grève a marqué le début de la mobilisation des travailleurs au cours des années 50-60. Ce sont des luttes comme celle-là qui ont été l’impulsion de la Révolution tranquille au Québec.
Sources :
Pierre Elliott Trudeau (1956), La grève de l’amiante, Les Éditions Cité libre, 430 pp.
Confédération des syndicats nationaux.; Centrale de l’enseignement du Québec (1984), Histoire du mouvement ouvrier au Québec : 150 ans de luttes, 328 p.
http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/docs/asbestos/3d.pdf
http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/932.html
http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/docs/asbestos/3n.pdf
https://www.erudit.org/fr/revues/ehr/1994-v60-ehr1827328/1007055ar.pdf
http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/docs/asbestos/2Ah.htm