Le 25 octobre 1900, il y a de cela 118 ans, les 250 ouvriers en grève à l’usine Montreal Cotton Co. étaient violemment réprimés par l’armée dans un affrontement se terminant avec une quinzaine de blessés. La grève de Valleyfield a été un des plus graves conflits de l’époque et fait partie des premières d’une longue série de grèves et de luttes dans le secteur du textile. Celles-ci ont culminé dans les grandes grèves de cette industrie qui ont ébranlé le Québec au milieu du siècle. À la Riposte syndicale, nous pensons qu’il est important de garder vivante la mémoire des luttes ouvrières du Québec. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous revenons sur ce pan de notre histoire largement méconnu qui contient des leçons pour nous aujourd’hui.

Tout commence le 1er octobre, alors que les 250 ouvriers syndiqués affectés à la construction de l’usine de la Montreal Cotton Co. entrent en grève pour obtenir une augmentation de salaire. Ils demandent une augmentation de 25 cents, pour un salaire quotidien de 1,25 $. L’objectif est simple, ils désirent obtenir le même salaire que les employés réguliers de l’usine. Le patronat reste muet devant cette demande. Une grève n’est jamais déclenchée à la légère; celle-ci demande beaucoup d’énergie, en plus d’être coûteuse pour les grévistes qui doivent survivre de leurs économies. Donc, devant l’immobilisme des patrons, les travailleurs réalisent qu’ils n’ont d’autres choix que d’augmenter la pression pour se faire entendre et avancer les choses, sans quoi la grève se dirigerait inévitablement vers la défaite. C’est pourquoi le 25 octobre, ils bloquent le pont donnant accès à l’usine. Par ce piquet de grève, ils ferment l’accès aux ouvriers non grévistes et empêchent les arrivages de houille, essentiels au bon fonctionnement de l’usine. La Montreal Cotton Co. employait à l’époque pas moins de 3000 travailleurs et était un pilier économique majeur de la municipalité. Les grévistes ont frappé là où ça fait mal, c’est-à-dire dans le portefeuille des patrons. Une fermeture prolongée de l’usine aurait eu des conséquences sérieuses sur leurs profits et sur l’économie de Valleyfield. Narcisse Langevin, maire de Valleyfield, devant cette possibilité intolérable, appelle l’armée pour faire cesser cette « menace à la paix ». Décidément, pour le maire et les patrons de la Montreal Cotton Co., il était plus rentable de mobiliser l’armée pour violemment briser la grève que d’augmenter le salaire quotidien des 250 ouvriers de 25 cents.

À 14 h, 113 hommes armés de fusils et de baïonnettes quittent la station Bonaventure avec la mission de réprimer la grève. Vers 19 h, les soldats descendent la rue Dufferin après avoir soupé à l’hôtel Queen’s et se heurtent aux 250 grévistes qui bloquent le pont. Les troupes pointent leurs baïonnettes et marchent en rang serré sur les travailleurs. Ceux-ci se défendent courageusement en leur répondant par une panoplie de pierres. La nuée de pierres fera neuf blessés du côté de l’armée. La riposte audacieuse des grévistes prend par surprise les soldats, mais une fois son effet estompé, les troupes retournent à la charge et plusieurs coups de feu éclatent. Sous la menace des armes, les soldats reprennent le contrôle de la situation. Tout de même, leur nombre inférieur à celui des ouvriers n’est pas suffisant pour restaurer le calme dans la population, c’est pourquoi des renforts sont appelés.

Dans la nuit du 25 au 26 octobre à 1 h 20, 250 soldats quittent la gare Bonaventure dans un train spécial en direction de Valleyfield. Parmi ces renforts, on ne compte rien de moins que 45 cavaliers hussards suivis d’un canon. L’arrivée des renforts armés est combinée, jusqu’au retour au calme, à la fermeture des débits de boisson. Par ces méthodes, la Montreal Cotton Co. réussit finalement à briser la grève et à forcer les travailleurs à retourner au travail. Ces événements ont fait au total une quinzaine de blessés et un seul ouvrier a été arrêté par la police.

Une déclaration officielle de l’usine nous renseigne sur le contexte bouillonnant qui régnait avant le déclenchement de la grève, tout en nous offrant une version des faits intéressante : « Au mois de mars dernier, une grève éclata dans nos fabriques. La Compagnie se montra généreuse envers les grévistes et leur accorda une augmentation de salaire. Depuis lors, des troubles plus ou moins graves n’ont cessé de régner dans nos fabriques et il y a eu plusieurs fois menaces de grève. La Compagnie s’est toujours appliquée à rendre justice à ses employés et elle avait réussi, jusqu’à ces jours derniers, à éviter une nouvelle grève. » On peut imaginer comment la victoire des grévistes plus tôt dans l’année a certainement inspiré les 250 travailleurs de la construction, bien que ceux-ci n’aient pas subi la même « justice » et « générosité » de leur employeur.

Avec la déclaration de la compagnie, on peut voir comment les grèves victorieuses ont le pouvoir d’inspirer d’autres travailleurs, jusqu’ici restés muets, à se battre pour améliorer leurs conditions de vie. Bien que ces événements se soient déroulés il y a plus d’un siècle, le mouvement ouvrier de notre époque peut, tout de même, en tirer quelques leçons utiles. Encore aujourd’hui, on observe que les travailleurs unis dans la lutte possèdent une force, une audace et un courage qui leur permet de résister vigoureusement à la répression. On constate également que la quête constante du profit, de l’enrichissement, est de loin plus importante pour le patronat que de simplement donner des salaires convenables à leurs employés. De plus, on remarque que l’État n’a rien de neutre, qu’il n’hésite pas à arriver à la rescousse des profits des grandes entreprises pour réprimer le mouvement ouvrier sous toutes ses formes. Si à l’époque c’était l’armée qui intervenait, aujourd’hui ce sont les trop fréquentes lois spéciales, les injonctions et les amendes salées, sans compter le salissage médiatique. L’État est constamment prêt à utiliser les outils à sa disposition pour protéger les intérêts des patrons si ceux-ci sont menacés par une lutte combative.

La lutte des 250 ouvriers de la construction employés par la Montreal Cotton Co. nous rappelle l’importance de s’unir et de lutter pour nos droits. Malgré la défaite, cette grève a marqué le mouvement ouvrier et l’industrie du textile et fait partie d’une série de luttes qui ont mené, entre autres, à la célèbre grève de la Dominion Textile de 1946. Nous célébrons la mémoire de ces travailleurs qui ont su se tenir debout face à l’adversité et qui ont inspiré les générations futures.