Le 27 février dernier, Aéroports de Montréal (ADM) a annoncé le licenciement de 93 coordonnateurs, préposés à l’accueil et agents administration et sûreté, membres de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC). Depuis décembre, une épée de Damoclès planait au-dessus de leurs têtes. La partie patronale les menaçait de les remplacer par des sous-traitants s’ils n’acceptaient pas une diminution de salaire de 28% à 33%. Le syndicat avait fait une contre-proposition à la solution de la sous-traitance et des négociations avaient débuté. Expliquant maintenant que les « propositions présentées n’ont pas atteint les objectifs de réduction de coût recherchés », ADM se débarrasse ainsi du tiers des syndiqués de l’aéroport.
Dès décembre, les intentions du patronat étaient claires : il voulait réaliser des économies en diminuant sa masse salariale. Aucune option mise sur la table n’aurait pu être gagnante pour les travailleurs.
Pour justifier sa restructuration, ADM explique que le recours à la sous-traitance est une pratique commune dans les autres aéroports du pays. Cela permet notamment « une plus grande flexibilité au niveau des horaires », une exigence apparemment nécessaire pour « demeurer compétitif ». Pourtant, il semble que les affaires vont plutôt bien pour ADM. En juillet dernier, son PDG, Philippe Rainville, soulignait les excellents résultats financiers d’ADM qui a dégagé 40 millions de dollars d’excédents en 2017. Bien que ADM soit une corporation à but non lucratif, et donc qu’elle ne peut pas verser de surplus sous forme de dividendes à des actionnaires, elle demeure tout de même soumise aux pressions du marché aéroportuaire. En effet, comme son financement provient principalement des redevances sur les billets d’avion (selon un modèle utilisateur-payeur), ADM cherche à courtiser les compagnies aériennes pour augmenter le nombre de vols qui passent par Montréal. La corporation est ainsi amenée à investir toujours plus dans ses infrastructures et des projets de développement afin de rivaliser avec les autres aéroports. C’est également ce qui l’amène à vouloir faire des économies, en réduisant sa masse salariale, par exemple.
Le modèle d’affaire d’ADM est donc tout à fait comparable à celui de n’importe quelle entreprise privée. Les salaires onéreux de ses dirigeants n’en laissent pas douter! C’est ce que dénonçait Yvon Barrière, vice-président exécutif de l’AFPC pour le Québec, dans une entrevue : « Le PDG [Philippe Rainville] s’octroie un salaire de plus de 400 000$, et juste en bonis de gestion, on parle de 1 million de dollars l’an dernier pour les dirigeants ». S’il y a des économies à réaliser, elles peuvent être faites dans les salaires indécents de la direction!
La direction que prend ADM en introduisant la sous-traitance n’est pas un phénomène nouveau au Canada. C’est un modèle qu’on observe déjà dans les aéroports de Toronto, Vancouver et Calgary et qui présente déjà des effets néfastes. La qualité des services aux usagers en souffre, comme on a pu en voir un exemple avec un incident impliquant une compagnie aérienne et les sous-traitants responsables de l’accueil des voyageurs à l’aéroport de Toronto. Une personne handicapée s’était alors retrouvée sans accès au fauteuil roulant qu’elle avait expressément demandé pour sa sortie de l’avion. Elle avait alors dû attendre un long moment dans la douleur avant qu’un membre du personnel de l’aéroport ne vienne l’aider.
L’annonce des licenciements à ADM est malheureusement un exemple parmi tant d’autres de la forte propension au recours à la sous-traitance. Les conséquences sur un milieu de travail sont particulièrement néfastes, puisque des bons emplois syndiqués sont détruits. Le patronat fait donc d’une pierre deux coups : d’une part, la sous-traitance lui permet de réaliser des économies sur les salaires et d’augmenter ainsi ses profits ; d’autre part, cela lui permet de s’attaquer à la syndicalisation d’un milieu de travail. Tout ceci contribue à intensifier l’exploitation des travailleurs dans le but de couper dans les coûts et tirer toujours plus de profits. Comme on le voit, cette logique règne aussi dans les grandes entreprises à but non lucratif. Du fait que les sous-traitants sont généralement moins bien rémunérés et ne bénéficient pas du levier puissant de la négociation syndicale, cela exerce une pression à la baisse sur les salaires, les conditions de travail et avantages sociaux de l’ensemble des travailleurs et contribue à la précarisation des emplois d’un secteur.
Sous le capitalisme, la concurrence force les employeurs à couper dans les conditions de travail afin de demeurer compétitifs. Les 93 employés de l’Aéroport de Montréal s’ajoutent aux nombreuses victimes de cette logique implacable. Ultimement, la seule façon de mettre fin à cette situation est d’exproprier les grandes entreprises, les banques et les services, et les placer sous le contrôle démocratique de l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Nous pourrions ainsi rompre avec la logique du marché afin de garantir de bons emplois pour tous et toutes, sans nuire à la qualité des services.