Comment lutter contre Trump? La question provoque apparemment un grand intérêt : ce 17 novembre dernier, une semaine après l’élection américaine, plus de 120 personnes francophones comme anglophones se sont rassemblées à l’Université McGill à l’occasion d’une conférence suivie d’une discussion bilingue à ce sujet organisée par La Riposte socialiste et Socialist Fightback. L’événement ayant suscité un réel engouement sur Facebook, étaient également présents dans la salle plusieurs journalistes de journaux étudiants, ainsi qu’une envoyée de CBC Radio.
Au cours de la semaine qui a suivi les élections, les médias du monde entier se sont posé maintes questions. L’Amérique blanche est-elle fondamentalement raciste? Hillary Clinton, victime avant tout d’un persistant sexisme? Les « fake news » sont-elles les véritables responsables du fiasco électoral? Mais surtout : comment en sommes-nous arrivés là, contre toute attente?
La présentation, donnée par notre camarade Joel Bergman, visait tout d’abord à défaire certains mythes par rapport à « l’électorat Trump » et à présenter une solution au-delà du réflexe instinctif de la simple manifestation. La pluralité des interventions qui ont suivi est la preuve qu’il est aujourd’hui peut-être plus que jamais nécessaire d’avoir ce genre de conversation.
La campagne électorale de Donald Trump a suscité depuis son commencement une controverse aux États-Unis comme à l’échelle internationale — controverse qui s’est graduellement transformée en incompréhension pour certains et en peur pour d’autres. La culmination de celle-ci fut bien sûr son élection le 9 novembre dernier, à la surprise de tous.
Comment quelqu’un comme Trump, qui tout au long du cycle électoral s’est révélé être un milliardaire menteur, raciste et misogyne, a-t-il pu remporter cette élection? Avec autant d’analystes de toutes tendances politiques prédisant son échec, tant de sondages en sa défaveur… où se sont-ils tous trompés?
Joel a expliqué que nous ne vivons plus dans une période de boom économique d’après-guerre. Nous ne vivons plus dans le monde de nos parents. En temps normal, Clinton aurait dû remporter cette élection. Mais nous ne vivons plus des temps normaux. Il existe un énorme ressentiment, une énorme colère à l’endroit de tout ce qui représente l’establishment étasunien, cet establishment qui a sauvé les banques à coup de centaines de milliards tout en laissant les travailleur-euses dans une insécurité perpétuelle. Le Brexit, la montée de l’extrême droite en Europe, Donald Trump… tout ceci est au final l’expression d’un même phénomène. C’est l’expression d’un ras-le-bol généralisé qui cherche à s’exprimer.
La crise de 2008, certains accords de libre-échange signés par les démocrates… tout ceci a directement mené à des pertes d’emplois massives et à une dégradation générale de la qualité de vie de beaucoup. Aux yeux d’un grand nombre d’Étasunien-nes, Hillary Clinton représentait cette faillite du gouvernement actuel. Oui, bien évidemment, la misogynie est bien présente dans la société étasunienne. Mais non, Clinton n’a pas perdu parce qu’elle est une femme. Elle a perdu parce que la population n’avait aucune intention d’élire une autre représentante de cet establishment pourri jusqu’à la moelle.
Beaucoup retiendront probablement des derniers mois de la campagne électorale de 2016 la confrontation entre Clinton et Trump; mais le phénomène qui intéresse particulièrement les marxistes a eu lieu avant ce duel, et a été abordé à quelques reprises lors de la discussion ayant suivi la présentation de Joel. Bernie Sanders est le seul candidat qui a suscité un réel enthousiasme au sein de la population, avec son appel à une « révolution politique contre la classe des milliardaires ». Mais malheureusement, cet enthousiasme soulevé chez les jeunes et les travailleur-euses a été vite transformé en déception quand celui-ci a capitulé devant Hillary Clinton et sa machine politique.
Bien que provenant de côtés opposés, le message de Trump comme celui de Sanders étaient anti-establishment, anti-Wall Street, dénonçant la corruption de l’élite politique washingtonienne. Bien que Trump soit clairement un hypocrite, son succès est compréhensible : le peuple américain en a assez.
Avec Sanders hors de la course, Trump est devenu l’unique choix ayant l’apparence de rompre avec le statu quo. Certes, un pourcentage des électeurs Trump est probablement raciste. Mais la plupart sont des travailleur-euses, frustrés et marginalisés, facilement séduits par un discours qui rejette le blâme sur les immigrant-es, sur l’Autre.
Président le plus impopulaire de l’histoire des États-Unis avant même son investiture, élu par seulement 25 % des électeurs, Trump ne va pas tenir ses promesses électorales — on peut déjà l’observer reculer sur certaines d’entre elles. Des millions de travailleur-euses ont voté pour Trump en pensant qu’il pourrait ramener les bons emplois; la crise généralisée du capitalisme ne le lui autorisera pas. Le populisme capitaliste n’est pas et n’a jamais été une réponse aux angoisses des plus défavorisés.
La colère et le ressentiment présents dans la société étasunienne ont été canalisés dans le mouvement autour de Donald Trump, tandis que 45 % de la population n’a pas daigné se présenter aux urnes malgré la présence de ce raciste et sexiste comme candidat. Mais au-delà du simple événement de l’élection à la Maison-Blanche, nous voyons émerger une nouvelle réalité. Avec la polarisation à droite viennent aussi un éveil et une radicalisation de la gauche. Des manifestations spontanées ont eu lieu dès l’officialisation même des résultats. Pour beaucoup de jeunes, ceci est leur première réelle implication politique et militante. Des centaines de milliers de jeunes ne sont pas prêts à accepter la venue d’un être comme Donald Trump à la Maison-Blanche, et ils ont raison!
Au début de la discussion, un intervenant s’est inquiété de la légitimité des manifestations contre Trump. Mais pour la plupart des gens présents dans la salle, il n’y avait aucun doute : la résistance, historiquement, a tendance à naître dans la rue. Mais après la première expression de rejet du statu quo : « Don’t mourn, organize », il nous faut aller plus loin.
Le seul antidote pour contrer le racisme, le sexisme et l’exploitation capitaliste que représente Trump est de lutter pour un parti ouvrier de masse qui peut réellement véhiculer les aspirations de la classe ouvrière. Lors de l’événement, plusieurs interventions ont souligné que le mouvement derrière Sanders était la démonstration du potentiel qui existe aux États-Unis pour un tel projet.
Il est du devoir de la gauche désormais de couper les ponts avec l’establishment bourgeois, démocrates comme républicains, et de former un parti des travailleur-euses luttant pour le socialisme. Contre Trump, l’unité derrière un tel projet est notre seule arme.