Lorsque ce journal sera mis sous presse, la grève des étudiantes et étudiants entamera sa onzième semaine. Toutes les tentatives de Jean Charest et son gouvernement pour étouffer et diviser le mouvement étudiant ont connu l’échec et pis encore, elles ont généralement servi à nourrir la flamme et à propager l’indignation au reste de la population. La campagne médiatique aux relents de vitriol lancée autour de la supposée «violence» des étudiantes et étudiants a aussi essuyé un échec et pendant ce temps, le gouvernement s’est refusé à condamner l’usage démesuré et sans discernement de la brutalité policière et les arrestations massives à l’aveuglette.

Dimanche, le 22 avril, nous avons été les témoins d’une autre manifestation monstre où plus de 200 000 manifestantes et manifestants ont déambulé dans les rues de Montréal. Cette dernière était un soi-disant rassemblement sans but politique organisé par Quebecor, le conglomérat de médias, afin de célébrer le Jour de la Terre. Les organisatrices et organisateurs furent les premiers surpris lorsque la manifestation devint littéralement un rallye de contestation envers Charest. La plupart des manifestantes et manifestants arboraient le fameux carré rouge, symbole du mouvement étudiant. Même les slogans à saveur environnementale fustigeaient Charest et le Plan Nord du gouvernement libéral, un schème qui amènerait un flot de multinationales pourvues de subventions de l’État et d’allègements fiscaux à piller les ressources sans considération pour la population autochtone du Nord du Québec. Toutes les principales centrales syndicales étaient présentes et les travailleuses et travailleurs en lock-out de Rio Tinto Alcan étaient en grand nombre. Les tentatives des organisatrices et organisateurs à canaliser et diriger la marée de manifestantes et manifestants furent inutiles; partout à la ronde les pancartes portaient des slogans contre la hausse des frais de scolarité, contre le Plan Nord et finalement, contre Charest lui-même.

Le gouvernement Charest a essayé toutes sortes de tactiques afin de casser le mouvement étudiant. En premier lieu, il a essayé de discréditer le mouvement au moyen d’une énorme campagne médiatique (le tout aux frais des contribuables) et par la suite, en essayant de convaincre les étudiantes et étudiants de la nécessité d’une augmentation des frais de scolarité. En second lieu, le gouvernement a voulu faire patienter le mouvement, espérant qu’il se diviserait lui-même. L’État essaya alors de faire de la soi-disant «violence» des étudiantes et étudiants un sujet principal pour toujours engendrer un divorce entre les différents syndicats étudiants et tout particulièrement, entre la toute radicale CLASSE et les autres. Ceci, aussi, connut un échec cuisant.

Les occupations récentes du gouvernement furent alors à l’imposition d’injonctions là où les lignes de piquetages tenaces obligeaient la fermeture de campus. Les injonctions donnaient l’opportunité aux administrations de ne pas respecter les votes de grève et de donner les cours malgré tout. En dépit de la répression policière et judiciaire massive, aucune injonction n’a triomphé. À l’Université de Montréal (UdeM), alors que les lignes de piquetage dures sont passées à celles symboliques, les cours des grévistes ont été annulés puisqu’il n’y avait plus assez de professeures et professeurs et d’étudiantes et étudiants qui y assistaient dans la plupart des cas. Ce fut une victoire idéologique pour les étudiantes et étudiants de l’UdeM, car ils ont effectivement arrêté de se présenter en classe grâce à l’ampleur politique qu’ils représentent et aussi grâce à la solidarité profonde des professeures et professeurs.

L’envergure de la répression policière est presque inédite; en fait, c’est quarante ans en arrière qu’il faut regarder pour percevoir quelque chose de la même portée. En une semaine seulement, au moins 600 arrestations ont eu lieu sur les différents campus ou au cours de différentes manifestations. Le 19 avril dernier, à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), la police a brisé les lignes de piquetage et elle a chassé les étudiantes et étudiants hors du campus. Quelques centaines d’étudiantes et étudiants provenant d’ailleurs ne tardèrent pas à venir soutenir leurs frères et sœurs. Les professeures et professeurs grossirent aussi les rangs. La police entreprit alors des interventions violentes contre eux et laissa dans son sillage des manifestantes et manifestants en sang. La masse de protestation de plus de 800 personnes tint alors une assemblée gigantesque et décida d’emboutir le rang policier et de reprendre son université. Les manifestantes et manifestants marchèrent alors vers les policiers obligeant ces derniers à battre retraite. Ils reprirent possession de l’université pour un court laps de temps avant que la police appelle des renforts et commence ses arrestations massives. C’est approximativement 150 personnes qui furent arrêtées à l’UQO.

Le lendemain, le vendredi 20 avril, au centre-ville de Montréal, des centaines de manifestantes et manifestants se massèrent aux portes du Palais des congrès où avait lieu une allocution de Jean Charest. Charest devait alors faire une présentation de son fameux Plan Nord. La situation a rapidement dégénérée alors que les esprits s’enflammaient et la police chargea la foule. La scène tourna réellement au vinaigre lorsque les blagues de Charest devant son public partisan parvinrent aux oreilles des manifestantes et manifestant, à savoir : «(…) on pourrait leur (aux manifestantes et manifestants) offrir un emploi… dans le Nord, autant que possible.[1]» Les manifestantes et manifestants ont par la suite brisé les lignes de la police et un groupe considérable a pu gagner l’intérieur de l’édifice et se rendre sur l’étage où la rencontre avait lieu. Ils se sont vite fait expulser par les forces policières et une émeute a éclaté à l’extérieur. Les policiers, ayant envenimé la situation, perdirent alors le contrôle et le lendemain, on put voir dans les médias de nombreuses photos d’eux fuyant hors d’haleine, les manifestantes et manifestants à leur trousse criant : «BOUGE! BOUGE!» et les couvrant d’une pluie de projectiles. Le 21 avril, deuxième jour de manifestation aux portes du Palais des Congrès, les policiers arrêtèrent 60 personnes incluant nombre d’autochtones présents pour se faire entendre. Et la ministre Line Beauchamp a l’effronterie de demander que les étudiantes et étudiants dénonce la violence!

Malgré toutes les tentatives du gouvernement et malgré la fin de session, le mouvement étudiant n’a pas été écrasé et il n’est pas un pétard mouillé. En fait, il ne fait que grossir avec encore 11 000 étudiantes et étudiants qui ont récemment voté la grève illimité. Près de 180 000 étudiantes et étudiants sont présentement en grève, un chiffre record! Ceci, combiné à la manifestation monstre du 22 avril, démontre clairement qu’il se trouve toujours parmi la société un appui pour le mouvement étudiant. Les professeures et professeurs, tout spécialement, ont exprimé leur soutien profond pour le mouvement étudiant. En mars, 1300 professeures et professeurs ont signé une déclaration de solidarité avec la lutte étudiante. Dans les dernières semaines, des manifestations de plus de centaines de participantes et participants ont été organisées par des membres du corps professoral. Après que les injonctions furent statuées contre «quiconque perturberait le fonctionnement de l’université», un groupe de professeures et professeurs de l’UdeM se sont dirigés vers un poste de police pour se rendre aux autorités parce qu’ils ne comptaient pas se présenter en classe et qu’ils ne se conformeraient pas de facto à l’injonction.

Jusqu’à maintenant et malgré la pression immense provenant du mouvement, le gouvernement se refuse à reculer sur l’augmentation des frais de scolarité. Les étudiantes et étudiants ont fait tout ce qu’ils leur étaient possible. Ce qui est nécessaire à ce point-ci de la lutte, c’est de la propager au reste de la société et particulièrement, auprès des travailleuses et travailleurs. L’augmentation des frais de scolarité ne doit pas être perçue indépendamment du programme général d’austérité des gouvernements et capitalistes du monde. Le Québec n’est pas fondamentalement différent. Dans les dernières années, les lock-out se sont enchaînés que ce soit Petro Canada, Le Journal de Montréal et plus récemment, Rio Tinto Alcan. Nous avons pu voir de grosses usines du secteur textile et manufacturier fermer telles Aveos ou Mabe. Même la violence de l’État n’est pas réservée au mouvement étudiant; la police ayant attaqué, au moyen de gaz lacrymogène notamment, des travailleuses et travailleurs d’Aveos. De plus, des lois de retour au travail ont été utilisées contre les travailleuses et travailleurs en grève de Poste Canada et d’Air Canada.

Et, un coup contre l’un est un coup contre tous! Les patrons et le gouvernement profitent des divisions qui règnent entre les différentes luttes. Les travailleuses et travailleurs ont le pouvoir de paralyser la production et de forcer le gouvernement à négocier cette question. Les leaders étudiants doivent tendre la main au mouvement ouvrier pour ainsi mener de front une lutte commune contre l’austérité capitaliste. De leur côté, les centrales syndicales doivent voir le mouvement étudiant tel une nouvelle bataille dans leur guerre contre les attaques de l’État et préparer des rencontres et de la mobilisation pour une grève générale de 24 heures et pour une éducation gratuite.


[1] http://www.cyberpresse.ca/actualites/dossiers/conflit-etudiant/201204/20/01-4517416-fortes-reactions-aux-blagues-de-jean-charest.php