Le 13 octobre dernier, la Cour supérieure de l’Ontario a autorisé la liquidation de la totalité des 130 magasins Sears au Canada. Cette annonce a été faite après que le président exécutif de Sears Canada a déclaré que le plan de rachat qu’il négociait avec un groupe d’acheteurs s’est montré irréalisable. C’est hier que Sears entreprendra la liquidation de ses succursales, un processus qui devrait durer de 10 à 14 semaines. C’est 12 000 emplois qui seront perdus dans l’ensemble du pays. Les travailleurs, n’ayant droit à aucune indemnité, se retrouveront rapidement les mains vides et forcés à se trouver un emploi dans une économie précaire.
Le cynisme de la direction
Nous avions déjà souligné, dans un article précédent, que les 43 hauts dirigeants de Sears Canada se sont fait accorder des bonus s’élevant à 7,6 millions de dollars alors qu’ils annonçaient le licenciement sans indemnité de plus de 2900 employés, le tout sanctionné par les tribunaux.
Pour faire bonne figure, la direction avait créé un fonds de secours s’élevant à 500 000 dollars. C’est une somme dérisoire qui correspond à un total d’environ 170 dollars par salarié. Considérant que les primes de rétention mentionnées plus haut sont destinées à une quarantaine de cadres, on remarque aisément le cynisme de la direction de Sears Canada face à ses travailleurs. Et pour couronner le tout, il reste toujours 200 000 dollars à verser au fonds.
Mais les peines des travailleurs ne s’arrêtent pas là. Le peu qu’ils reçoivent de ce fonds de secours, déjà plus qu’insuffisant pour apporter une aide appropriée, est déduit de leurs prestations d’assurance-emploi parce que considéré comme une source de revenus!
Comme si ce n’était pas déjà assez, les 7,6 millions offerts aux patrons de Sears devaient l’être seulement s’ils réussissaient à sauver la compagnie. Malgré qu’ils aient échoué à trouver un acheteur, 3,7 millions de dollars sur cette somme ont déjà été distribués, tandis que 2,8 millions de dollars additionnels seront offerts à 20 des 43 hauts dirigeants et à 16 autres membres du personnel!
Le cynisme de la direction se couple ici à la complicité de l’État bourgeois, qui sanctionne des bonis énormes pour les patrons tandis qu’on arrache chaque sou noir aux travailleurs.
Les travailleurs laissés à eux-mêmes
Résultat des courses, seulement quelques dizaines de travailleurs se sont inscrits au fonds de secours qui s’avère complètement inutile. Ainsi, des gens ayant travaillé pour cette société pendant plusieurs dizaines d’années pour certains se retrouvent sans emploi et les poches vides, et cela en parfaite légalité.
Les travailleurs se sentent trahis par une compagnie à laquelle ils ont bien souvent consacré de nombreuses années de leur vie. Les histoires d’horreur ont déjà commencé à circuler dans les médias. Par exemple, une centenaire qui est à la retraite depuis 26 ans verra disparaître son assurance-vie et son programme d’indemnité en cas de maladie, car Sears cessera de contribuer au financement de ces programmes!
Selon Ryan Bonnar, de Samfiru Tumarkin LLP, le bureau d’avocats représentant les travailleurs de Sears, il y a peu de chances que les travailleurs licenciés reçoivent quoi que ce soit. Il affirme que c’est « parce que les créanciers garantis seront payés les premiers dans le cadre de la liquidation, et qu’il ne restera pas d’argent pour payer des indemnités. » En ce qui concerne les fonds de retraite, pour l’instant, les travailleurs toucheront au maximum 81 % de ce qui leur est dû. Mais ils risquent de recevoir beaucoup moins, car on doit dédommager les créanciers avant tout, puis s’occuper des travailleurs avec ce qu’il reste. Le capitalisme se présente ici sous son vrai jour : en cas de naufrage, les banquiers, les actionnaires et les patrons d’abord!
Le reflet d’un système brisé
Aujourd’hui, des gérants et employés de diverses succursales avancent que c’est l’incompétence et la négligence de la direction qui ont mené à cette débâcle commerciale. Un travailleur a même affirmé avoir vu depuis longtemps les mauvaises décisions d’affaires se succéder. Cependant, nous ne devons pas voir ce scandale comme un événement isolé, mais comme le reflet de la crise générale du capitalisme, qui touche particulièrement le secteur du commerce de détail. Par exemple, Statistiques Canada indique qu’entre 2012 et 2016 le nombre d’emplois créés dans ce secteur avait augmenté de 3,7 % alors qu’on observait une augmentation de 4,7% pour l’ensemble de l’économie. Nous avons expliqué dans un article précédent que cela s’inscrit dans une tendance générale dans le secteur du commerce de détail en Amérique du Nord. Aux États-Unis par exemple, ce sont 89 000 emplois qui ont été perdus dans ce secteur entre octobre 2016 et avril 2017.
Encore une fois, les patrons jettent des milliers de travailleurs sur le pavé sans avoir à rendre de comptes. C’est le vrai visage du capitalisme qui se montre, une fois de plus, incapable de protéger les emplois des travailleurs. Cela est d’autant plus choquant que l’économie canadienne est supposément en bonne santé. Un système socialiste, avec la nationalisation des grandes entreprises comme Sears et des grands leviers de l’économie, permettrait de préserver les emplois des travailleurs tout en mettant l’économie au service de la société et non des actionnaires et des patrons. C’est pour cela qu’il faut lutter dès aujourd’hui!