Le 27 octobre dernier, Robert Gregory Bowers, un militant d’extrême droite, a fait feu sur 11 personnes dans la synagogue Tree of Life à Pittsburgh en s’exclamant « Tous les juifs doivent mourir! » Cette attaque envers la communauté juive est la plus meurtrière de l’histoire des États-Unis. Quelques jours avant l’attentat de Pittsburgh, des bombes artisanales ont été envoyées par la poste à des détracteurs connus de Donald Trump, tels que Hillary Clinton et George Soros, ainsi qu’à des membres du bureau de New York de CNN. Malgré le caractère troublant de ces événements, ils ne devraient surprendre personne. Il ne s’agit que de la plus récente atrocité parmi toutes celles commises récemment par l’extrême droite.
Deux poids, deux mesures
Quand un massacre est commis par une personne d’extrême droite, c’est toujours « deux poids, deux mesures ». De façon hypocrite, les médias traditionnels se sont encore une fois abstenus de désigner la tuerie de Pittsburgh comme un attentat terroriste. Et ce, malgré le fait qu’il s’agissait clairement une attaque préméditée motivée par les idées nazies de Bowers, idées qu’il partageait ouvertement en ligne. Avant de commettre la fusillade, Bowers a publié sur le réseau social Gab : « Screw your optics, I’m going in » (« Au diable l’opinion publique, j’y vais »).
Sans surprise, le vice-président des États-Unis Mike Pence a balayé du revers de la main les allégations prétendant que la rhétorique de Trump ait quelconque rapport avec cette attaque : « Je ne crois pas qu’on peut établir de lien avec des menaces ou des actes violents… Je ne crois pas que le peuple américain dresse de liens. » Les résidents de Pittsburgh, eux, ont vu le lien. Plus de 80 000 personnes ont signé une pétition affirmant que Trump n’est pas le bienvenu à Pittsburgh tant qu’il n’aura pas « entièrement dénoncé le nationalisme blanc » et demandant qu’il « cesse de viser et de mettre en danger toutes les minorités ».
Il est complètement ridicule de dire que cette violence n’a rien à voir avec Trump. La justification de Bowers pour avoir commis l’attentat était qu’une organisation juive, la Hebrew Immigrant Aid Society, « aime faire entrer des envahisseurs qui tuent notre peuple ». Quelques semaines avant l’attentat, Trump a appelé la caravane de migrants parcourant l’Amérique centrale à travers le Mexique « une invasion » et a déployé 5000 soldats au sud de la frontière des États-Unis avec comme ordre de tirer s’ils rencontrent quelconque résistance. Ce nombre est deux fois plus élevé que le nombre de troupes qui combattent l’État islamique en Syrie. Enhardies par les actions du gouvernement, des milices anti-immigrants se sont rendues à la frontière pour prendre les choses en main.
La fusillade de Pittsburgh est semblable à l’attentat commis au centre culturel islamique de Québec. Le 29 janvier 2017, Alexandre Bissonnette est entré dans la mosquée, a tué six personnes et en a blessé 19 autres. Deux jours plus tôt, Trump avait signé le décret présidentiel qui interdisait l’entrée aux ressortissants de sept pays musulmans. L’enquête a révélé que Bissonnette était un avide partisan de Donald Trump et de Marine Le Pen et qu’il était obsédé par cette interdiction. Durant l’interrogatoire, Bissonnette a déclaré qu’il a commis l’attentat parce qu’il avait peur que des musulmans viennent tuer sa famille. Comme c’est toujours le cas, Bissonnette n’a pas été accusé de terrorisme.
Le soi-disant danger de la « violence de gauche »
Deux mois avant la fusillade de Pittsburgh, Trump a soulevé l’épouvantail de la « violence de gauche » qui serait déclenchée si les républicains perdaient les élections de mi-mandat. Les médias traditionnels et les politiciens de droite font souvent un tollé à propos de la supposée violence de la gauche, et font équivaloir les fascistes aux antifascistes. Le gouvernement américain et les grands médias tentent par là de minimiser la menace que représentent les groupes fascistes et de faire porter le blâme à ceux qui combattent cette menace.
L’année dernière, l’extrême droite s’est rassemblée à Charlottesville et a terrorisé la ville pendant une fin de semaine complète. Le rassemblement a culminé avec l’assassinat de la militante de gauche Heather Heyer par un extrémiste de droite, qui avait décidé de prendre les choses en main en fonçant avec sa voiture dans la foule de contre-manifestants, blessant ainsi une dizaine d’autres personnes. Encore là, ni le gouvernement ni les médias n’ont qualifié cette attaque d’attentat terroriste. En réponse, Trump a affirmé : « Nous condamnons vivement cette monstrueuse démonstration de haine, d’intolérance et de violence venant des deux côtés. » En d’autres mots, selon lui, il serait possible de trouver un juste milieu entre le fascisme et ceux qui manifestent contre le fascisme.
En 2017, le FBI et la sécurité intérieure américaine ont lancé des avertissements concernant la recrudescence d’attaques par des antifascistes, et ont accordé à Antifa la classification de « terroristes intérieurs ». Quelle hypocrisie que de qualifier de « terroristes intérieurs » les gens combattant les fascistes, tout en ne faisant rien pour empêcher des extrémistes de droite de tuer des gens.
L’État est complice
La majorité des meurtres liés à l’extrémisme en 2017 ont été commis par des personnes associées à l’extrême droite. Dans les 10 dernières années, 71% des meurtres extrémistes commis à l’intérieur des États-Unis l’ont été par des extrémistes de droite. Malgré cela, l’État ne semble pas s’inquiéter de la montée de l’extrême droite et concentre ses ressources sur le terrorisme islamique et de plus en plus sur la surveillance de groupes de gauche comme Black Lives Matter et sur des groupes antifascistes.
Un rapport récent du Stimson Centre révélait que le montant total dépensé dans la lutte contre le terrorisme aux États-Unis depuis les attentats du 11 septembre 2001 est de la somme vertigineuse de 2,8 billions de dollars. Ces dépenses constituent pas moins d’un sixième du budget discrétionnaire annuel du pays. De cet argent, presque rien n’a été consacré à lutter contre la menace évidente que constituent les terroristes intérieurs d’extrême droite. Sans surprise, Trump a augmenté le financement de la lutte contre le terrorisme en renouvelant un programme anti-extrémisme visant exclusivement sur l’extrémisme islamique.
Cela ne veut pas dire que le gouvernement américain n’est pas au courant de la montée de l’extrémisme d’extrême droite. Celui-ci a plutôt été ignoré et balayé sous le tapis. Le département de la Sécurité intérieure a publié un rapport en 2009 qui expliquait qu’une des principales menaces terroristes à venir proviendrait de l’extrême droite nationale. Ce rapport a subséquemment été rejeté et ignoré.
Il y a également une inquiétante tendance chez la police à fermer les yeux ou même à protéger les groupes fascistes et d’extrême droite. En 2017, lors d’une manifestation à Portland, en Oregon, il y a même eu un cas où un milicien d’extrême droite a aidé un policier à passer les menottes à un militant de gauche qui était immobilisé par un membre des Proud Boys. Le fondateur des Proud Boys, Gavin McInnes, a admis cette collaboration consciente en affirmant : « Casser la gueule de ces gens, je pense que c’est à nous de le faire, et les policiers ont le devoir fermer les yeux. »
McInnes a également affirmé avoir un nombre important de partisans dans le NYPD (la police de New York), ce qui explique pourquoi les Proud Boys ont attaqué des manifestants de gauche avec si peu d’hésitation lors d’un événement républicain tenu à leur quartier général à la mi-octobre. Lors de cet événement, McInnes a reconstitué l’assassinat du dirigeant socialiste japonais Inejiro Asanuma en 1960 par l’ultranationaliste Otoya Yamaguchi devant un groupe d’environ 200 républicains. À l’extérieur de l’enceinte, McInnes a brandi une épée sous la protection de la police, qui évidemment fermait les yeux. C’est seulement une fois que les événements ont été connus du public que le NYPD a arrêté des membres des Proud Boys.
Ce n’est pas la première que les Proud Boys agissent de la sorte. Cette bande protofasciste a fait les manchettes en raison d’attaques dirigées contre des manifestants de gauche et pour avoir incité à la violence et même au meurtre. Pour citer McInnes lui-même : « Nous allons vous tuer. Voilà ce que sont les Proud Boys. » Il a également ajouté : « Est-ce qu’on peut appeler à la violence en général? Car c’est ce que je fais. La bagarre règle tout. Les partisans de Trump ont besoin d’être plus violents. Prenez un putain de fusil. Préparez-vous à exploser des putains de têtes. »
Révolution et contre-révolution
Le système capitaliste est en crise et les répercussions de celle-ci sont ressenties dans tous les pays et chez toutes les classes. Une polarisation massive de la société en résulte. Le processus moléculaire de la révolution socialiste se bute au processus inverse, soit la montée de l’extrême droite et ses violents auxiliaires fascistes. La révolution et la contre-révolution se développent parallèlement en période de crise.
Mais les marxistes ne sont pas les seuls qui sont conscients de ce processus. Certaines couches de la bourgeoisie comprennent ce qui se passe et cherchent consciemment à endiguer la montée du socialisme avec leur populisme de droite. Ces hommes et femmes de la haute société ne font pas confiance aux bandes fascistes, mais ne se gênent pas d’attiser le racisme et la xénophobie afin de se maintenir au pouvoir. Nous l’avons vu lors d’un débat tenu à Toronto le 2 novembre dernier entre le conservateur pro-establishment David Frum et l’idéologue d’extrême droite et architecte de la victoire de Donald Trump, Steve Bannon.
À 100$ le billet, l’audience lors du débat était largement composée de riches figures de l’establishment. Lors du débat, Bannon a parlé de la crise de 2008, des plans de sauvetage qui ont suivi, de la crise de l’Euro, de l’immigration de masse, des multiples guerres ratées, etc. Il a expliqué que tout cela était le produit d’un groupe d’élite bien établi et déconnecté de la société, un groupe fondamentalement opposé aux intérêts des gens ordinaires. Il a mis en garde la foule que la société était sur le bord d’une « révolution ».
Bannon, s’adressant de toute évidence à l’establishment, a résumé ses propos ainsi : «La question n’est pas de savoir si le populisme est à la hausse et si c’est l’avenir de la politique. La seule question qui se pose à nous est de savoir si ce populisme sera nationaliste ou socialiste. »
Les propos de Bannon montrent que certaines personnes à droite en arrivent à des conclusions semblables aux marxistes, mais d’un point de vue de classe opposé. Elles peuvent voir les défaillances du capitalisme et la polarisation qu’elles entraînent. Elles voient ce qui se prépare. La montée en popularité du socialisme chez les jeunes, et particulièrement aux États-Unis, est très inquiétante pour les capitalistes.
L’argumentaire de Bannon se réduit à un appel à la classe capitaliste pour qu’elle trouve de nouvelles façons de régner, car la démocratie libérale ne sera pas capable de défendre cette classe devant la révolution socialiste. Cette idée a également été expliquée par nul autre que l’ex-premier ministre du Canada, Stephen Harper, lors d’une récente entrevue :
« Les Donald Trump ou les Nigel Farage de ce monde, on peut être en désaccord avec eux… mais ils essaient, au moins, de réparer ce qu’ils voient de mal dans nos sociétés démocratiques, capitalistes et axées sur le marché. Ma peur est que s’ils échouent ou si les conservateurs ne s’adaptent pas aux pressions politiques qui motivent ces mouvements [populistes], nous nous retrouverons avec une version de gauche de ça, qui sera antimarché, un marché socialiste ou marxiste. » Il a ensuite expliqué que « les Bernie Sanders de ce monde ou les Jeremy Corbyn de Grande-Bretagne sont ceux qui m’effraient vraiment, mais vraiment. »
Combattons la droite par la révolution socialiste
La violence inhérente à la société capitaliste se manifeste de manière aiguë en période de crise. Des guerres interminables aux meurtres presque quotidiens de jeunes noirs désarmés aux États-Unis par des policiers en passant par l’utilisation de l’armée pour attaquer la caravane des migrants venue d’Amérique latine et les tueries de masse perpétrées par l’extrême droite, le capitalisme, comme le disait Lénine, est « une horreur sans fin ». En plus de tout cela, le capitalisme commet quotidiennement des « meurtres sociaux » sous la forme d’un accès limité aux soins de santé, à des logements décents et à de la nourriture pour des centaines de millions de gens.
L’extrême droite canalise la colère devant cette situation et l’oriente dans une direction nationaliste contre les immigrants et les minorités religieuses. Dans cette situation, la montée d’éléments fascistes violents qui prennent ces idées et les mènent à leur conclusion logique est inévitable. Nous ne pouvons pas affronter ces éléments en niant le problème et en nous accrochant au statu quo capitaliste qui n’a rien à offrir aux travailleurs, aux jeunes et aux couches opprimées qui peinent à joindre les deux bouts. C’est là l’approche de gens comme Hillary Clinton et Justin Trudeau, une approche qui a misérablement échoué. Notre réponse au mouvement d’extrême droite doit être de créer notre propre mouvement qui peut unir toutes les couches de la classe ouvrière dans une lutte commune contre les patrons, qui sont les vrais coupables de nos malheurs. Contrairement à ce que dit l’extrême droite, la solution n’est pas d’expulser les immigrants, mais de se débarrasser des brigands capitalistes qui soutirent des profits immenses sur le dos de tous les travailleurs. Avec cette perspective, nous pouvons construire un mouvement qui va non seulement vaincre l’extrême droite, mais qui peut également renverser le système pourri qui nourrit tous ces maux.