Les 1300 travailleurs de la compagnie minière Iron Ore Company (IOC) ont voté à 91,9% en faveur d’une grève qui a débuté le lundi 26 mars à Labrador City. Leurs 305 collègues de Sept-Îles ont également voté presque unanimement (98,1% avec un taux de participation de 87,0%) en faveur d’une grève le jeudi 29 mars. La date de début de la grève à Sept-Îles n’est pas encore connue. Ces mouvements surviennent après de longues et infructueuses négociations concernant le renouvellement de la convention collective. Dans les deux cas, les travailleurs, membres du syndicat des Métallos, qui se sentent acculés au pied du mur, ont rejeté en bloc la dernière offre patronale.

Tant à Sept-Îles qu’à Labrador City, l’augmentation de salaire proposée de 2,4% sur cinq ans ainsi que les augmentations prévues au régime de retraite ont été jugées insuffisantes. Dans le cas de Labrador City, la situation des travailleurs temporaires est aussi au cœur du conflit. Ces travailleurs, qui composent 12,5% de l’effectif de la minière à Labrador City, n’ont pas droit aux mêmes conditions que leurs collègues qui détiennent des postes permanents bien qu’ils effectuent les mêmes tâches. Cela crée un système à deux vitesses qui pénalise tous les travailleurs. En effet, tant qu’il sera permis d’embaucher des travailleurs qui sont forcés d’accepter des conditions inférieures à celles des employés réguliers, la menace d’être remplacé par des travailleurs « de seconde classe » planera sur les travailleurs réguliers, qui oseront peut-être moins faire des demandes ou se battre pour leurs droits. Notons aussi qu’un travailleur peut garder son statut « temporaire » même s’il travaille à IOC depuis des mois, voire des années, une situation inacceptable selon le syndicat. Pour toutes ces raisons, les travailleurs demandent l’abolition de ce travail temporaire. L’offre d’IOC de réduire la proportion de ces travailleurs temporaires à 6% a donc été jugée insuffisante. Enfin, l’implantation d’un âge minimal pour la retraite, qui obligerait certains travailleurs à travailler plus longtemps que les trente années minimales de service figurant au contrat actuel, ainsi que des changements dans la manière de payer les heures supplémentaire et les vacances, ont également déplu aux travailleurs.

Les travailleurs ont également manifesté des inquiétudes face aux impacts que pourrait avoir sur leurs emplois l’automatisation des procédés que la minière souhaite implanter. À Sept-Îles, on parle en effet d’automatiser la roue à godets, qui envoie le minerai dans les bateaux. Selon Robert Marquis, PDG de l’Institut national des mines, l’utilisation de camions automatisés à Labrador City a également été envisagée par la minière. L’objectif de l’automatisation est, bien sûr, d’augmenter la productivité et de réduire le nombre d’employés.

La situation économique difficile au Labrador rend la situation à IOC encore plus critique. En effet, selon le professeur Ian Lee de l’Université Carleton, à Ottawa, la province de Terre-Neuve-et-Labrador pourrait bien se retrouver en faillite d’ici dix ans. Il y a peu d’occasions d’emplois et les jeunes quittent massivement la région. Dans ce contexte, le conflit de travail à IOC a une importance cruciale pour toute la région. Pour mettre en perspective le quasi-monopole d’IOC sur l’emploi, il suffit de quelques nombres : la minière représente 1300 emplois à Labrador City, une ville qui avait en 2011 une population totale, incluant la ville jumelle de Wabush, de 9106 habitants. Il est donc facile pour l’entreprise de malmener ses travailleurs et d’attaquer leurs conditions de vie et de travail puisque ceux-ci n’ont pas beaucoup d’autres possibilités d’emploi de toute façon. Le spectre d’un ralentissement économique causé par la grève a aussi été évoqué par l’ex-maire de la ville de Wabush et par le président de la Chambre de Commerce des deux villes jumelles.

Quoi qu’il en soit, la grève au Labrador a suscité un élan de solidarité. Les travailleurs d’IOC à Sept-Îles ont versé un chèque de 25 000$ en soutien à leurs collègues de Labrador City. La communauté de Labrador City a également montré son soutien de plusieurs manières aux travailleurs en grève, notamment en apportant de la nourriture et du bois de chauffage sur les piquets de grève. Kenny Temple, un travailleur, a déclaré en entrevue avec CBC : « Nous nous battons contre IOC, et tout le monde nous en est reconnaissant ». Une manifestation de soutien avait d’ailleurs lieu jeudi dernier à Labrador City, en appui aux travailleurs de l’IOC.

L’arrogance de l’entreprise ne passe pas inaperçue auprès des travailleurs. Dany Maltais, représentant du syndicat des métallos à Sept-Îles, a ainsi fait la déclaration suivante :

« On sait que l’employeur a fait 8,8 milliards de dollars de profit en 2017 et qu’il va verser 5,5 milliards de dollars à ses actionnaires en dividendes. Ce qu’on demande, c’est d’avoir la juste part de ce succès-là. À quelque part, l’employeur est redevable de ce succès à ses travailleurs. »

L’intuition de M. Maltais est partagée par bon nombre de ses confrères : les travailleurs ne reçoivent pas leur juste part. Cependant, dans notre système économique, le salaire et les autres avantages des employés ne sont pas en corrélation directe avec les profits de l’entreprise. Les patrons n’ont pas intérêt à partager leurs profits avec les travailleurs. Ce qu’ils achètent, c’est la force de travail de leurs employés, et ils n’ont qu’à leur donner le salaire et les avantages minimaux qu’ils sont prêts à accepter pour travailler pour eux. La tendance que l’on observe depuis déjà de nombreuses années, c’est que les patrons demandent toujours plus de concessions aux travailleurs et s’acharnent à faire reculer leurs conditions de vie.

Il faut toutefois comprendre que ces attaques font partie de la logique du système capitaliste et continueront tant que les entreprises seront contrôlées par une minorité de patrons et d’actionnaires, et elles ne cesseront pas de sitôt. C’est pourquoi nous disons que pour les minières d’IOC comme dans le cas de toutes les grandes entreprises privées, la solution ultime, c’est de s’emparer de l’entreprise et de la nationaliser sous le contrôle démocratique des travailleurs. Cela nous permettrait d’avoir un contrôle démocratique sur le profit et de protéger les bons emplois syndiqués.

Le conflit de travail à IOC s’inscrit dans une vague de conflits à travers la province et le pays dans lesquels on voit de nombreux votes de grève à 90% et plus. Cette situation est un signe qu’après plusieurs années d’austérité, et en période de légère reprise économique sur le papier, les travailleurs réclament leur dû et refusent d’accepter davantage de concessions. Pensons notamment à la grève de la construction au Québec au printemps 2017, à la grève des travailleurs des collèges en Ontario de l’automne dernier, au mandat de grève des chefs de trains et ingénieurs du Canadien Pacifique, ou, tout récemment, à un vote de grève unanime des chauffeurs d’autobus scolaires au Saguenay.

Les travailleurs du Québec et du Canada démontrent une volonté grandissante de résister aux attaques répétées sur leurs conditions de vie. C’est ce que nous voyons actuellement au Labrador et à Sept-Îles. La résistance des travailleurs est un modèle, et le mouvement syndical en entier doit se mobiliser et poser des actions de solidarité avec les grévistes. Une victoire des ouvriers de l’IOC face à leurs patrons est une victoire pour tous les travailleurs.

Solidarité avec les travailleurs de l’IOC!