Des milliers d’enfants entassés dans de minuscules cages, dormant épaule contre épaule sur le sol dur, couverts seulement de couvertures en papier d’aluminium, détenus pendant des jours et des jours. Les conditions sinistres des enfants immigrés dans les installations frontalières américaines dressent un tableau familier que beaucoup associent aux « jours sombres » de l’administration Trump. Mais cela se passe maintenant sous la présidence de Biden. Le nombre croissant d’immigrants retenus en captivité par les agents frontaliers américains montre que les politiques du nouveau président en matière d’immigration poursuivent l’assaut bipartisan de longue date contre les droits des travailleurs sans papiers.
L’administration Biden a « appréhendé » plus de 170 000 migrants à la frontière en mars, ce qui représente une augmentation de 70% par rapport à février et le nombre le plus élevé depuis 15 ans. Parmi eux, près de 19 000 enfants non accompagnés ont été placés en garde à vue, ce qui explique l’augmentation spectaculaire de la charge des centres de détention des migrants du Service des douanes et de la protection des frontières (CBP) des États-Unis. Dans des centres comme celui de Donna, au Texas, le nombre de détenus est de 1600% supérieur aux recommandations sanitaires, avec plus de 4100 détenus dans un espace conçu pour 250 personnes. Plus de 3400 d’entre eux étaient des enfants.
Au départ, l’administration Biden a interdit aux avocats l’accès à l’installation, probablement pour éviter la couverture médiatique gênante qui s’ensuivrait inévitablement. En effet, une fois que des visiteurs ont été admis, des images ont révélé que les « modules » conçus pour accueillir 32 enfants abritaient en fait environ 600 mineurs. Des milliers d’enfants sont gardés plus longtemps que la durée maximale de 72 heures fixée par les tribunaux, souvent pendant plus de deux semaines. Malgré la surpopulation, le CBP ne teste pas les enfants pour la COVID-19, même si plus de 100 d’entre eux ont été testés positifs après avoir été transférés dans d’autres refuges. Certains doivent attendre plus de cinq jours pour se doucher, et beaucoup n’ont pas été autorisés à appeler leurs proches.
Demandeurs d’asile refoulés
Ces dernières années, on a assisté à une augmentation progressive du nombre de personnes demandant l’asile aux États-Unis pour échapper à des conditions désespérées. Si le changement climatique joue un rôle, en dernière analyse, tout ceci est la conséquence directe ou indirecte de l’impérialisme américain. Les circonstances sont devenues particulièrement désastreuses l’année dernière, lorsque deux ouragans ont dévasté l’Amérique centrale et laissé des centaines de milliers de sans-abri rien qu’au Honduras et au Guatemala, déplaçant 7 millions de personnes dans la région qui s’étend de la Colombie au Mexique. Si l’on ajoute à cela l’impact de la pandémie de coronavirus et la crise économique, des centaines de milliers de personnes ont fui leur pays, dans l’espoir que la nouvelle administration se montre plus clémente que la précédente.
Mais la grande majorité de ceux qui entrent au pays – qui sont principalement des familles et des adultes célibataires – sont immédiatement refoulés par les agents frontaliers en vertu du Titre 42 du Code des États-Unis. L’administration Trump a d’abord mis en œuvre cette politique d’immigration controversée en mars 2020 en utilisant la pandémie comme prétexte, donnant aux agents frontaliers l’autorité unilatérale de refuser l’asile et d’expulser toute personne traversant la frontière, sans procédure régulière. Même si des avocats, des législateurs, des juges fédéraux et des représentants de l’ONU ont dénoncé cette politique comme étant illégale, l’administration Biden a continué à l’appliquer pour cibler tous les franchissements non autorisés de la frontière. Pour reprendre les mots du nouveau secrétaire à la Sécurité intérieure de Biden, Alejandro Mayorkas : « La frontière est fermée. Nous expulsons des familles, nous expulsons des adultes seuls, et nous avons pris la décision de ne pas expulser de jeunes enfants vulnérables. »
Mais Mayorkas, ce gusano cubano-américain violemment anticommuniste, a oublié de mentionner qu’en novembre 2020, un juge fédéral avait déjà ordonné que les enfants non accompagnés ne soient pas expulsés, interdisant cette pratique parce qu’elle violait les lois sur la santé publique, notamment. Comme toujours, les démocrates tentent de farder leur politique frontalière xénophobe, déclarant que « sécuriser nos frontières ne nous oblige pas à ignorer l’humanité de ceux qui cherchent à les traverser ». En d’autres termes : « Nous expulsons les migrants et les jetons dans des cages, mais nous le faisons « humainement ». »
Non seulement la frontière américaine est fermée, mais l’administration Biden a conclu un accord avec le Mexique, le Honduras et le Guatemala pour qu’ils resserrent leurs frontières. Malgré tous les discours sur la nécessité de s’attaquer aux racines des « facteurs de migration », le premier accord de politique étrangère conclu par Biden avec des dirigeants latino-américains a simplement consisté à leur demander de placer davantage de troupes à leurs propres frontières. Les demandeurs d’asile seront ainsi empêchés de fuir leur pays par une répression étatique accrue. Depuis janvier de cette année, le gouvernement américain a investi dans plus de 28 000 publicités radio, utilisant la propagande pour tenter de dissuader l’immigration.
La logique du moindre mal
Ceux qui ont pris la défense de la gestion de la « crise frontalière » par Biden affirment que, contrairement à Trump, le président actuel ne sépare pas de force les enfants de leurs familles. Les grands titres des médias libéraux ont rapidement changé de ton, parlant de « centres d’accueil pour enfants migrants » au lieu « d’enfants en cage ». De leur côté, les « progressistes » dans la Chambre des représentants ont critiqué la gestion de la situation par l’administration, mais leurs critiques sont bien loin de la rhétorique utilisée les années précédentes contre Trump.
En 2019, Alexandria Ocasio-Cortez a qualifié des centres de détention de migrants semblables de « camps de concentration ». Cette année, elle a tweeté que la situation « n’est pas acceptable, n’a jamais été acceptable, ne sera jamais acceptable, quelle que soit l’administration ou le parti » – avant de souligner qu’une « amélioration immédiate » pour atténuer la situation « exigerait que les installations d’accueil [avec] des enfants soient certifiées ». Dans une interview, elle a déclaré que nous ne devrions pas « établir de faux équivalents » entre les politiques d’immigration de Trump et celles de Biden et que « quiconque essaie de le faire rend un très mauvais service à la cause de la justice ».
En effet, la politique de « tolérance zéro » de Trump n’était pas exactement la même que celle de Biden ou d’Obama. Trump a systématisé la séparation forcée des enfants de leurs parents comme méthode barbare de dissuasion. Cependant, la mise en œuvre du Titre 42 pour tout le monde, sauf les mineurs non accompagnés, a conduit à un nouveau type de séparation forcée des familles – de l’autre côté de la frontière. De nombreuses familles qui endurent actuellement des conditions déshumanisantes dans des villes de tentes dans les camps frontaliers mexicains envoient leurs enfants seuls de l’autre côté de la frontière, une décision désespérée qu’ils voient comme leur seule chance d’avoir une vie meilleure.
Des témoignages récents montrent que la patrouille frontalière et le département de la Sécurité intérieure (DHS) ont, en fait, continué à séparer les enfants de leurs gardiens adultes sous Biden. Par exemple, lorsqu’une fillette de 4 ans originaire du Guatemala a franchi la frontière avec sa tante en mars, les autorités ont expulsé la tante et placé l’enfant dans le centre de tentes de Donna. Bien que ses parents vivent dans le Maryland, la fillette a finalement été envoyée dans une famille d’accueil du Michigan.
D’autres témoignages montrent que certaines familles détenues par la patrouille frontalière avant le mois de mars ont ensuite été relâchées aux États-Unis pour faire de la place dans les centres pour migrants. Mais ces familles, pour la plupart des mères avec de très jeunes enfants, ont été déposées dans les minuscules villes du désert de l’Arizona, qui ne disposent d’aucune ressource, d’aucun hôpital, d’aucun service d’incendie, et qui sont séparées de la prochaine ville par 50 km de désert. L’année dernière, l’Arizona a connu un nombre record de restes humains retrouvés dans le désert. Depuis 2004, environ 3400 migrants ont péri à cause de la chaleur en tentant de traverser les terres désertiques du sud de l’État.
Dans les traces d’Obama
Malgré toutes les promesses de campagne grandiloquentes et les décrets de Biden, Harris et consorts, peu de choses les distinguent de leurs prédécesseurs. Biden a rapidement pris des mesures exécutives en matière d’immigration, visant à arrêter la construction du mur frontalier de Trump, à préserver le programme DACA, à annuler l’interdiction de voyages à l’encontre des pays à prédominance musulmane et à sabrer dans le soi-disant « Protocole de protection des migrants », qui obligeait les migrants demandant l’asile à attendre que leur dossier soit traité dans les camps sordides le long de la frontière mexicaine. Il a également annulé une règle datant de l’ère Trump qui refusait la résidence permanente aux immigrants ayant recours aux prestations publiques.
En outre, Biden a dévoilé une proposition visant à offrir un « chemin vers la citoyenneté » aux 11 millions de travailleurs sans papiers résidant déjà aux États-Unis. Le New York Times a qualifié cette proposition de « dernier effort en date dans le cadre d’une tentative de réimagination du système d’immigration de la nation menée depuis des décennies par des présidents des deux partis, dont George W. Bush et Barack Obama ». Cependant, la Maison Blanche et d’autres démocrates ont admis qu’il était peu probable que le projet soit adopté par la Chambre ou le Sénat dans sa forme actuelle, à moins qu’il ne soit radicalement modifié et vidé de sa substance. C’est une chose sur laquelle l’administration comptait depuis le début. Le fait que cet illusoire « effort » bipartisan de « réimagination » du système d’immigration dure depuis des « décennies » sans que rien ne se passe, si ce n’est l’horreur sans fin pour des millions de migrants, en dit long.
Beaucoup d’autres décisions de Biden doivent également être assorties de réserves. Bien que Biden ait promis de ne pas construire « un autre pied de mur », les parties déjà construites restent intactes. Et Mayorkas a depuis dit aux employés du DHS qu’ils pourraient reprendre la construction pour « combler les brèches » laissées par Trump. Si le Protocole de protection des migrants ne sera plus appliqué, ce changement ne s’appliquera pas aux demandeurs d’asile dont le dossier est déjà traité suivant ce protocole. Quoi qu’il en soit, tous les migrants qui traversent la frontière sont renvoyés au Mexique en vertu du Titre 42! Et si Biden avait initialement proposé un moratoire de 100 jours sur les expulsions d’immigrants sans papiers résidant déjà aux États-Unis, cette initiative a été bloquée indéfiniment par un juge fédéral.
Au mieux, la plupart des propositions de Biden équivalent à un retour aux « beaux jours » de son bon ami, Barack Obama. Si elles reviennent sur certaines des politiques les plus draconiennes imposées par l’administration Trump, elles sont loin d’être suffisantes pour apporter un soulagement significatif aux conditions horribles auxquelles sont confrontés des millions de demandeurs d’asile. Mais n’oublions pas qu’Obama n’était pas surnommé le « déportateur en chef » pour rien, puisqu’il a déporté plus d’immigrants que tout autre président. À titre de comparaison, Trump en a expulsé environ 940 000 au cours de ses quatre années de mandat, contre 1,6 million au cours du premier mandat d’Obama, et plus de 3 millions au total. C’est l’administration Obama qui a conçu et construit les premiers « enclos grillagés », ces cages utilisées pour enfermer les enfants et les familles de migrants. Et le responsable du DHS qui supervisait les plans à l’époque n’était autre qu’Alejandro Mayorkas, le même qui a été choisi par Biden pour occuper ce poste aujourd’hui!
C’est Bill Clinton qui a commencé à construire la clôture frontalière existante. Et malgré toutes les promesses des démocrates de ne pas donner « un dollar » pour financer le mur de Trump, ils ont ensuite cédé et approuvé 1,4 milliard de dollars pour une clôture, ainsi qu’un budget record pour le CBP et l’ICE (lmmigration and Customs Enforcement) et pour augmenter le nombre d’agents et la technologie aux points d’entrée. Les administrations républicaines et démocrates des deux dernières décennies ont adopté fondamentalement la même approche.
Pour les socialistes, il n’y a pas de contradiction entre le fait de fournir un niveau de vie digne et décent à tous les citoyens « légaux » du pays le plus riche du monde et celui de faire de même pour ceux qui sont nés dans les régions du monde pillées par l’impérialisme américain. Il y a plus qu’assez de ressources aux États-Unis et dans le monde pour fournir un logement, une éducation, des soins de santé et des emplois de qualité pour tous, mais cela exige que ces ressources soient libérées des chaînes du marché capitaliste et de l’État-nation.
Comme Marx l’a expliqué, les travailleurs n’ont pas de pays. Un représentant socialiste au Congrès qui refuserait de se laisser contraindre par les limites étroites des deux partis capitalistes ne servirait pas de couverture de gauche aux démocrates. Les socialistes révolutionnaires présentent un programme audacieux de revendications qui comprend la légalisation immédiate et inconditionnelle de tous les travailleurs et la fin de tous les contrôles de l’immigration et de l’asile. De telles revendications exigent que nous rompions avec les limites du système bipartite et que nous construisions un parti socialiste de masse qui se battra pour les droits de tous les travailleurs, quel que soit leur statut d’immigration.