Philippe Couillard et le Parti libéral du Québec n’ont été élus qu’il y a six mois, mais ils ont déjà réussi à briser toutes leurs promesses. Ayant gagné leur élection sous le thème de « l’économie et l’emploi, la santé et l’éducation », ils ont au lieu de cela sorti la hache et se sont mis au travail, coupant dans les pensions, les soins de santé, les garderies, les emplois du secteur public et le financement en éducation. Ces mesures sont prises afin d’abattre le déficit de 3,2 milliards et d’atteindre le déficit zéro en 2015-16. La colère gronde chez les Québécois-es à mesure que de nouvelles coupures touchant à tous les aspects de leurs vies sont annoncées. En quelques semaines, la province a vu les deux plus grandes manifestations depuis le «printemps érable» de 2012, alors que plus de 50 000 travailleur-euses et étudiant-es ont participé à chacune d’elles. Les travailleur-euses étant visés cette fois, les chefs syndicaux parlent de mobilisation massive et d’un «nouveau printemps érable» pour 2015. Que doit faire le mouvement pour gagner ?
Sous prétexte d’éliminer la bureaucratie et d’améliorer le service à la clientèle, le gouvernement propose une série de changements profonds aux réseaux gouvernant plusieurs services sociaux de la province. Ces propositions élimineraient la plupart des commissions scolaires et de santé locales, les plaçant sous le contrôle direct des ministres. Sous ce plan, les ministres seront donc capables de déterminer les budgets, le personnel, et nommeraient directement les directeurs et gérants locaux, mettant fin à tout contrôle local existant auparavant. Sous la structure actuelle, les conseils d’administration du secteur de la santé contiennent généralement des représentants élus des travailleurs, (des docteurs, infirmières, dentistes, employés d’entretien), ainsi que des représentants élus de la communauté comme des sage-femmes ou d’autres intervenants. Ces conseils, comme ceux, élus, des commissions scolaires, sont généralement plus près des travailleur-euses et de la communauté et tendent à résister aux coupures.
La résistance de la part des commissions locales est déjà une épine au flanc du gouvernement. La Commission scolaire de Montréal a refusé de réduire son budget d’un 8,6 millions additionnel, et assumera un déficit de 29,3 millions de dollars à la place. Le Montreal English School Board a refusé de couper 4 millions de son budget de 275 millions de dollars et a décidé de fonctionner avec un déficit de 5,2 millions. Ces coupures se seraient ajoutées à celles de 800 millions de dollars que les commissions ont subies dans les cinq dernières années.
Nous devons nous demander si les intentions du gouvernement libéral sont vraiment d’améliorer le système, ou de trouver les fonds nécessaires dans le système pour équilibrer le budget ? Daniel Boyer, président de la FTQ, a ouvertement critiqué ce nouveau processus de nominations aux commissions centralisé entre les mains du ministre, qui « [ouvrira] la porte au copinage, au favoritisme et aux petits amis du parti. » Dans une province qui a baigné dans les scandales de corruption, au cœur desquels le parti libéral s’est retrouvé dans plusieurs situations louches, pouvons-nous croire à la sincérité des intentions du gouvernement dans ce cas-ci?
Il semblerait qu’aucun domaine ne soit à l’abri de la hache du Parti libéral. Les libéraux ont demandé aux centres jeunesse de réduire leurs budgets de 20 millions. Cela malgré le fait que dans les cinq dernières années le nombre d’adolescents bénéficiant des services de protection de la jeunesse ait augmenté de 17,3%. Ces attaques proposées sont en addition aux coupures ayant déjà eu lieu. D’après Sylvie Théorêt, présidente du syndicat des employés des centres jeunesse, «entre 2010 et 2013 il y a eu autour de 11 millions de coupure dans les centres de Montréal seulement».
Même le financement public pour les arts passe à la hache. La ministre de la culture, Hélène David, a affirmé que le réseau des conservatoires de musique et de théâtre de la province était sous examen. Un rapport du directeur des conservatoires au Québec publié début octobre suggère la fermeture de cinq conservatoires régionaux pour pallier au déficit de 14 millions dans leur budget. Les conservatoires ont servi leurs régions respectives depuis 1940 et ont mis à jour certains des musiciens les plus connus du Québec. La révolte des communautés commence à se voir dans certaines régions sous forme de manifestations, dont une au centre-ville de Montréal menée par le musicien renommé Jean-François Rivest.
Si on additionne toutes les coupures déjà annoncées, on n’approche pas du 3,2 milliards requis pour atteindre le budget équilibré désiré par le gouvernement. Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (qui représente 130,000 travailleurs), affirmait avec raison sa méfiance à l’égard des intentions du gouvernement : « Nous n’y croyons plus lorsque le ministre dit qu’il ne touchera pas aux services. » Où prendra-il le reste de l’argent ?
Le mouvement ouvrier promet un nouveau printemps québécois
La frustration et la colère des travailleur-euses au Québec est de plus en plus apparente. Des grèves et actions sporadiques et non reliées entre elles ont eu lieu un peu partout au Québec, menées par des leaderships locaux inquiets des pertes d’emplois et des coupures dans les services. L’exemple le plus flagrant de cette colère a été vu quand les pompiers de Montréal ont envahi l’Hôtel de ville pour manifester contre les coupures des pensions des travailleurs municipaux. Dans les deux derniers mois, les rues de Montréal ont été inondées par des dizaines de milliers de travailleur-euses et d’étudiant-es à deux reprises. Le fait que 50 000 travailleur-euses et leurs familles se soient présentés à la grande manifestation du 20 septembre démontre que la pression monte et que ceux-ci cherchent une façon de combattre le gouvernement Libéral. Plus récemment, le 31 octobre, encore 50 000 travailleur-euses et étudiant-es ont pris part à une manifestation qui avait pourtant lieu au milieu d’une journée de travail.
En réponse à cette pression, les chefs syndicaux parlent haut et fort de confrontations majeures dans l’année à venir. À la grande manifestation du 20 septembre, le président de la CSN Jaques Létourneau affirmait : « c’est un marathon, pas un sprint». Le chef de la FTQ, Daniel Boyer, a promis que le printemps prochain ressemblera à 2012. « On va organiser des mobilisations. Ça va être la bataille de l’opinion publique. Je ne sais pas si ça va être à la hauteur du printemps 2012, mais ça va être un printemps 2015 chaud et un automne chaud, » disait-il récemment au Journal de Québec.
De plus, le mouvement étudiant, qui s’était fait connaître à travers le monde pendant le « printemps érable » de 2012, semble revivre. Les étudiant-es, qui étaient quelque peu déprimés et désillusionnés suite à l’élection du PQ et l’indexation subséquente des frais de scolarité, regagnent maintenant confiance et recommencent à combattre. La manifestation du 31 octobre mentionnée plus haut a été en partie organisée par l’ASSÉ, sous le thème de « l’austérité, une histoire d’horreur ». En plus de la manifestation, 82 000 étudiants étaient ce jour-là en grève contre les mesures d’austérité du gouvernement. Il semble que le mouvement des travailleur-euses revitalise celui des étudiant-es et leur donne force et confiance en leur rappelant qu’ils ne sont pas seuls dans la lutte.
En plus des coupures déjà annoncées, les 550 000 employés du secteur public verront leurs contrats expirer en mars 2015, ce qui ouvrira les négociations avec un gouvernement prêt à tout pour équilibrer son budget. Le gouvernement pourrait faire face à un mouvement social plus grand encore que les manifestations historiques de 2012 – la différence clé étant qu’il ne fera pas face aux seuls étudiant-es. La participation des travailleur-euses pourrait être charnière; contrairement aux étudiant-es, les travailleur-euses ont le pouvoir de suspendre l’économie entière.
La légalité bourgeoise poussée à ses limites.
De la part du secteur le plus radicalisé du mouvement, les travailleurs municipaux, on entend des rumeurs de grève illégale. Marc Ranger, porte-parole de la Coalition pour la libre négociation, regroupant 65 000 travailleurs municipaux, n’a pas exclu cela quand il a été explicitement questionné par des journalistes. «Je pourrais appeler ça un grand 24 heures de mobilisation. Il n’y a pas le mot « grève » là-dedans, mais le résultat peut être le même,» a-t-il dit. En plus de cela, à la fin d’octobre, les cols bleus de la ville de Québec ont voté pour un mandat de grève illégale pour combattre les coupures dans leurs pensions. Ce syndicat, qui représente 1200 travailleur-euses, a un contrat qui n’expire pas avant 2018, ce qui veut dire qu’il n’a pas techniquement le droit d’entrer en grève. Poussé par des journalistes à clarifier la légalité de cette grève potentielle, le chef syndical Daniel Simard a répondu : «À partir du temps où tu fais une grève, alors que tu as signé une entente jusqu’en 2018, c’est illégal, mais ce que le gouvernement fait est aussi illégal.» Cette façon de penser est très dangereuse pour la classe dirigeante du Québec qui a besoin que l’on se conforme à ses lois, surtout si elle s’attend à mettre en place son austérité.
Les chefs syndicaux seront-ils prêts à aller jusqu’au bout? Dans les dernières années, le droit à la négociation collective a été constamment attaqué. Divers paliers de gouvernement à travers le pays ont systématiquement forcé par la loi les travailleur-euses à retourner au travail, parfois même avant qu’ils n’entrent en grève ! L’année dernière, ce fut la méthode qu’employa le Parti québécois pour mettre fin à la grève de la construction qui avait coûté aux patrons 15 millions par jour. En plus de cela, une bonne portion du secteur public a déjà été déclaré «service essentiel», lui empêchant d’entrer légalement en grève.
Les intérêts en jeu dans ce mouvement sont trop grands à la fois pour les patrons et les travailleur-euses. Une confrontation sociale de proportions massives est en train de se préparer, ce que tous semblent comprendre. Même la police a exprimé être mal à l’aise avec la situation. Le président de la fraternité des policiers, Yves Francoeur, a déclaré : « ce qui m’inquiète grandement, c’est que je vois venir le chaos au Québec ». Dans une entrevue du 30 octobre, pressé de se prononcer sur la manière dont la police réagirait au fait que la manifestation du lendemain ne se soit pas conformée aux lois anti-manifestation, il a répondu: « On peut difficilement blâmer les gens présentement de ne pas se soumettre à la règlementation quand on voit que le gouvernement actuel déchire des ententes et revient sur des contrats ». En réponse à cette affirmation, Camille Godbout, porte-parole de l’ASSÉ, soulignait avec raison : « Ça prouve juste que le message d’austérité touche tout le monde. À ne faire qu’à sa tête, le gouvernement va récolter la colère de tout le monde. Nous sommes solidaires des travailleurs touchés par le projet de loi 3. Ils sont un exemple concret de l’austérité »
De plus, même les directeurs de la police ont verbalisé les problèmes qu’ils voient venir. Récemment l’ADPQ, l’Association des directeurs de police, a exprimé qu’ils n’étaient pas sûrs de pouvoir compter sur leurs troupes si un autre mouvement se déclenchait: «L’expérience du printemps érable de 2012 est encore fraîche à nos mémoires. Comme dirigeants policiers, nous avons pu compter sur la présence et le professionnalisme de nos troupes. Qu’en sera-t-il dans ce cas-ci? Jusqu’où les choses vont-elles aller? » L’ADPQ s’est aussi plainte que le projet de loi 3 qui propose des coupures dans les pensions de 65 000 employés municipaux pourrait créer « un phénomène d’absentéisme inévitable » dans les rangs de la police. Tout cela avant même le début du mouvement ! Cette situation difficile montre que la balance du pouvoir est en faveur de la classe ouvrière, de la majorité de la province.
Il ne s’agit pas d’une période normale de négociations entre le gouvernement et les travailleur-euses. Dans les années passées, le mouvement ouvrier pouvait s’attendre à recevoir quelques concessions du gouvernement. Avec les Libéraux bien décidés à régler la crise financière à laquelle fait face le Québec, la possibilité que le gouvernement accède aux demandes des travailleurs est virtuellement nulle. Le gouvernement a déjà démontré qu’il est prêt à utiliser des moyens antidémocratiques comme des lois de retour au travail et des attaques en règle contre les libertés civiles pour faire passer ses mesures. Pour gagner, les travailleur-euses et leurs chefs doivent être prêts à défier les lois antidémocratiques qu’on leur impose. Il n’y a pas d’autre option : soit défier la loi, soit accepter de voir son niveau de vie chuter drastiquement. Cette lutte dépasse les conflits économiques, elle est fondamentalement politique. Elle déterminera qui prend les décisions au Québec et les patrons ne peuvent pas se permettre de perdre. L‘issue du mouvement de masse de 2012 n’a pas été satisfaisante pour la classe dirigeante. Les travailleur-euses et la jeunesse se souviennent de ce moment où ils ont presque réussi à imposer leur volonté à la classe capitaliste. Celle-ci ne peut se permettre une autre humiliation; il est crucial pour elle de gagner cette fois-ci.
Pendant des années la classe dirigeante du Québec a fait campagne pour un Québec «lucide», libéré de l’État-providence et des programmes sociaux coûteux. Les libéraux ont rendu incroyablement clair qu’ils feront n’importe quoi pour les 3,2 milliards nécessaires pour balancer le budget. Combien d’emplois du secteur public seront coupés ? Combien de services passeront à la hache ? L’importance de cette lutte n’est pas que de se défendre contre des attaques immédiates. Une victoire des libéraux ne fera que redonner confiance aux patrons et à leur représentants qui iront plus loin, coupant plus et passant au rouleau compresseur les droits démocratiques sur leur chemin. Ces attaques ne cesseront pas tant que nous ne nous débarrasserons pas du système économique pourri qui a mené à cette austérité. C’est pour cela qu’il est important que tous les secteurs de l’économie Québécoise qui souffrent sous l’austérité – les travailleurs, étudiants, les jeunes et les pauvres – s’unissent pour former un parti des travailleurs, qui se battra pour des politiques socialistes et arrachera le pouvoir des mains des patrons et de leur représentants.