Il y a 20 ans aujourd’hui, les États-Unis ont subi l’attaque sur leur territoire la plus grave et la plus sanglante de l’histoire moderne. Au moins 2997 personnes ont péri et au moins 25 000 ont été blessées après qu’une bande de terroristes ait précipité une série d’avions commerciaux dans les tours jumelles du World Trade Center à New York, plongeant le peuple américain dans un état de choc et d’incrédulité. À travers le monde entier, des millions ont regardé avec horreur les scènes tragiques de gens désespérés, prisonniers des étages supérieurs des tours, certains préférant sauter vers une mort certaine pour éviter d’être brûlés vifs, peu de temps avant l’effondrement des tours, qui a laissé des milliers de victimes écrasées sous les débris.
Les événements qui ont suivi cette tragédie, cependant, sont une insulte à la mémoire de tous ces gens innocents qui ont perdu la vie ce jour-là. La poussière avait à peine retombé et le sang des victimes avait à peine séché que déjà les vautours avaient pris leur envol. En profitant de l’atmosphère de deuil national, ils ont lancé une campagne de mensonges et de propagande guerrière dans le but de pousser la population américaine à accepter que les États-Unis entrent en guerre, dans le but supposé de se venger de l’attaque. Le Patriot Act et d’autres lois ont été adoptées en toute vitesse par le Congrès, limitant gravement les droits civils et étendant de façon spectaculaire les pouvoirs de surveillance de l’État. Tout cela au nom d’une prétendue « guerre contre le terrorisme » et pour « défendre la démocratie ».
L’une après l’autre, jour après jour, des personnalités comme le président de l’époque George W. Bush, Dick Cheney, et un flot ininterrompu de fonctionnaires, de militaires et de « spécialistes » se présentaient à la télévision pour condamner l’atteinte à la « liberté » par les « forces maléfiques » de l’Islam. L’ancien secrétaire de l’Éducation William Bennett et une foule d’autres néoconservateurs ont exhorté le gouvernement à « déclarer la guerre à l’islam politique », déclarant que « les États-Unis devraient agir comme s’ils étaient en guerre, parce que c’est la guerre ». Bennett et sa bande ont réclamé la guerre avec l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Libye, malgré l’absence complète de lien entre ces pays et les attentats ou l’organisation réactionnaire Al-Qaïda qui en était à l’origine.
Sur les 19 personnes qui ont détourné les avions dans le cadre des attentats, 15 étaient des citoyens de l’Arabie saoudite, et pourtant toute mention de l’Arabie saoudite était manifestement absente des déclarations publiques. En fait, tous les efforts ont été déployés pour protéger les intérêts saoudiens, jusqu’à permettre à huit avions affrétés de transporter en toute sécurité des saoudiens de haut rang hors du pays dès le 13 septembre, malgré la fermeture encore en vigueur de l’espace aérien américain. Parmi les passagers de ces vols se trouvaient feu le prince Ahmed Salman, qui était lié à Al-Qaïda et dont la connaissance des attentats à venir a par la suite été découverte. Alors qu’une campagne raciste et déchaînée de harcèlement envers les personnes originaires du Moyen-Orient était mise en place, ces sombres personnages liés à l’un des régimes les plus réactionnaires au monde recevaient de véritables passe-droit pour échapper à la prison.
Toutes les preuves quant à l’origine des attentats pointent vers l’Arabie saoudite, qui a longtemps été le plus grand commanditaire mondial du fondamentalisme islamique. En fait, c’est la monarchie saoudienne, en collaboration avec la CIA, qui avait initialement encouragé Al-Qaïda dans le cadre de l’insurrection islamiste contre les Soviets en Afghanistan dans les années 1980. Aujourd’hui, le monstre de Frankenstein que l’impérialisme avait créé a échappé à tout contrôle jusqu’à devenir un sérieux problème pour les États-Unis et l’Occident. Pas une seule chaîne de télévision n’a osé mentionner ce fait, malgré avoir sonné jour après jour l’alarme de la « guerre contre le terrorisme ». La classe dirigeante américaine cherchait à réaffirmer son autorité à travers le monde et à donner certains de ses ennemis en exemple. Le fait qu’elle avait elle-même formé de tels ennemis au départ n’était qu’un détail mineur.
Hubris
Certains esprits superficiels de gauche croient souvent que la classe dirigeante est infaillible et que toutes ses décisions correspondent à un plan conçu dans les moindres détails dans les salles de réunion des puissants. Mais ce n’est pas du tout le cas. Les erreurs et les accidents jouent un rôle dans l’histoire. Après l’effondrement de l’Union soviétique au début des années 1990, les États-Unis se sont imposés en tant que seule superpuissance sur la scène mondiale. Soudainement, ils se faisaient ridiculiser par une petite bande de fanatiques religieux réactionnaires. Ce n’était pas quelque chose qu’ils allaient tolérer.
Sur la chaîne Fox News, dans la soirée du 11 septembre, le colonel David Hunt, survolté, a clairement démontré cette attitude lorsqu’il a déclaré à Bill O’Reilly qu’il était temps pour les États-Unis de « lâcher les chiens de la guerre ». La bouche écumante, les chiens de la caste dirigeante militaire mouraient d’envie d’être lâchés afin de restaurer leur fierté. L’Arabie saoudite, la véritable source de l’attentat, se trouvant trop proche de leurs intérêts, les bourreaux se sont donc rabattus sur l’Afghanistan en s’imaginant qu’il s’agirait d’une cible facile pour une démonstration brutale de la vengeance de l’impérialisme américain. Mais comme le dit la Bible, « l’orgueil précède la chute ».
Une fois prise, cette décision s’est avérée fatidique. La guerre contre l’Afghanistan était une entreprise vouée à l’échec. À la veille de la chute de Kaboul aux mains des troupes américaines en novembre 2001, Alan Woods écrivait :
« Encore une fois, nous voyons comment les Américains n’ont rien pensé jusqu’au bout. Ils ont imaginé qu’une fois les talibans chassés de Kaboul, le problème serait résolu. Mais ce n’est pas du tout le cas. (…) Les talibans ont perdu leur emprise sur le pouvoir, mais pas leur potentiel guerrier. Ils sont très habitués à mener une guérilla dans les montagnes. Ils l’ont fait auparavant et ils peuvent le faire à nouveau. (…) La perspective se dessine d’une guérilla prolongée qui pourrait durer des années. La première partie de la campagne alliée a été facile. La deuxième partie, elle, ne sera pas aussi facile.
« (…) Si le but de cet exercice était de combattre le terrorisme, ils constateront qu’ils ont obtenu le contraire. Avant ces événements, les impérialistes pouvaient se permettre de maintenir une distance relativement sûre par rapport aux convulsions et aux guerres de cette région du monde, mais maintenant ils y sont complètement empêtrés. Par leurs actions depuis le 11 septembre, les États-Unis et la Grande-Bretagne se sont laissés entraîner dans un bourbier dont il leur sera difficile de s’extraire. »
On ne peut pas nier l’exactitude de ces mots aujourd’hui. Insatisfaits des résultats obtenus en Afghanistan, Bush, Cheney et leur bande, suivis de leurs loyaux laquais britanniques, ont décidé de redoubler leurs efforts et d’ouvrir un nouveau front en Irak sous prétexte que ce dernier abritait des fondamentalistes islamiques et des armes de destruction massive. Bien entendu, il s’agissait de mensonges flagrants. Il n’y avait pas de fondamentalisme islamique notable en Irak jusqu’à l’arrivée des impérialistes. Le régime de Saddam ne possédait pas non plus d’arme de destruction massive. Le véritable objectif de la guerre était d’accéder au pétrole irakien, d’accroître la pression sur le régime iranien et de s’imposer dans les zones qui étaient auparavant tombées sous la sphère d’influence soviétique.
Les Américains pensaient que ce serait une affaire rapide. Une fois encore, ils avaient mal évalué la situation. En détruisant l’armée irakienne, qui avait été utilisée pour tenir l’Iran sous contrôle pendant deux décennies, ils ont déstabilisé non seulement l’Irak, mais aussi toute la région. D’une part, l’invasion a renforcé les Iraniens, qui ont construit une base de soutien solide parmi la majorité chiite en Irak. D’autre part, elle a jeté les bases de la montée du fondamentalisme islamique sunnite, sur lequel les États-Unis eux-mêmes se sont appuyés dans une certaine mesure pour contrer l’influence iranienne; nous avons vu le résultat sordide de cette manœuvre avec la montée de Daech en 2014.
Aujourd’hui, les politiciens et les soi-disant experts font la queue devant les médias occidentaux pour décrier la situation des femmes afghanes après la prise de pouvoir par les talibans. Ce sont des larmes de crocodile hypocrites. Il n’y a pas de tollé pour les droits des femmes en Arabie saoudite. L’Afghanistan sous l’occupation américaine était loin d’être le paradis sur terre qu’on nous a décrit. Selon Airwars, les frappes de drones américaines depuis le 11 septembre 2001 ont tué au moins 22 000 civils, voire 48 000 selon les estimations plus élevées. Un rapport de 2015 de Physicians For Social Responsibility, estime que les campagnes en Irak, en Afghanistan et au Pakistan ont causé 1,3 million de morts! Le rapport conclut « ce n’est qu’une estimation prudente. Le nombre total de morts (…) pourrait également dépasser les 2 millions, alors qu’un chiffre inférieur à 1 million est extrêmement improbable ».
En Irak, les mêmes « amoureux de la liberté » qui se sont opposés à corps et à cris aux supposées armes de destruction massive n’ont pas hésité à utiliser des armes chimiques comme le phosphore blanc dans les quartiers civils de Falloujah. Pendant ce temps, tant en Irak qu’en Afghanistan, les États mis en place par les États-Unis étaient bondés des criminels et des sectaires les plus corrompus et les plus réactionnaires. L’impérialisme américain n’a pas apporté la démocratie et les droits de la personne à ces pays. Il a apporté le sectarisme, la corruption, la mort et la destruction à une échelle sans précédent.
Changement d’humeur
Bien qu’il y ait eu de grandes manifestations anti-guerre aux États-Unis au départ, dans l’ensemble, les masses américaines ont d’abord été poussées à accepter les guerres après le choc des attaques du 11 septembre. Très vite cependant, on a pu assister à un changement d’humeur générale. Selon Gallup, à son apogée en 2002, le soutien à la guerre en Afghanistan s’élevait à 93%. Après ce point, cependant, les chiffres n’ont fait que baisser. En 2019, après 18 ans de combat au prix de milliers de vies américaines et de plus de mille milliards de dollars, six Américains sur 10 ont déclaré que la guerre en Afghanistan n’en valait pas la peine. Les travailleurs américains sont aujourd’hui bien plus intéressés à améliorer leurs propres conditions qu’à financer des guerres sans fin à l’étranger. Ce changement d’humeur a eu des conséquences politiques importantes.
En 2012, la proposition de bombarder la Syrie de l’administration Obama est tombée à plat après que le Congrès ait refusé de la soutenir, avec seulement 9% de la population américaine qui y était favorable. En 2016, lorsque Donald Trump a été élu président, l’une de ses promesses de campagne les plus populaires était celle de retirer les États-Unis des guerres au Moyen-Orient. L’opposition à la guerre entrave sérieusement la capacité de l’impérialisme américain à manœuvrer comme il en avait l’habitude. Le coût politique de toute campagne militaire majeure mobilisant des troupes au sol est trop important pour n’importe quelle administration, et cette possibilité est ainsi écartée. À cela s’ajoute le coût économique de ces interventions militaires. En 2019, le coût total des interventions américaines au Moyen-Orient était estimé à 6400 milliards de dollars – un frein supplémentaire à la volonté de se lancer dans de nouvelles aventures militaires.
Crise de l’impérialisme
L’aboutissement des guerres en Irak et en Afghanistan était prévisible, mais les administrations d’Obama et de Trump tardaient à prendre la décision finale, peu désireuses d’accepter l’humiliation de la défaite. Tôt ou tard, cependant, quelqu’un allait devoir céder. Joe Biden a été critiqué à juste titre pour son exécution du retrait d’Afghanistan au cours du dernier mois. L’avancée rapide des talibans et l’évacuation chaotique de Kaboul sont la conséquence directe de son incompétence et de celle de ses collègues à la tête de l’armée. Mais quelle que soit la manière dont elle a été exécutée, la défaite des États-Unis était certaine depuis de nombreuses années. Le retrait n’a été que l’aveu final. Cela aura des conséquences importantes.
L’Irak est le prochain pays concerné. Que ce soit par un retrait chaotique comme en Afghanistan ou dans le cadre d’un accord avec l’Iran, la présence américaine en Irak est actuellement intenable. Mais les choses ne s’arrêteront pas là. À la vue de la machine militaire américaine écrasée par une bande de fanatiques talibans armés de kalachnikovs, d’autres pays comme la Chine, la Russie et même des régimes plus faibles comme l’Iran seront encouragés à défier la domination américaine. Le résultat est à l’opposé de l’objectif visé par les généraux tout feu tout flamme lorsqu’ils ont entrepris de montrer leur puissance après le 11 septembre. Au lieu d’une démonstration de la puissance militaire américaine, c’est l’incompétence, les limites et les faiblesses de l’impérialisme américain qui ont été exposées aux yeux du monde entier. Les alliés des États-Unis partout dans le monde auront désormais de sérieux doutes quant à l’efficacité du soutien que Washington peut leur apporter.
L’impérialisme américain reste à ce jour la force militaire et économique la plus puissante de la planète. Cependant, comme nous l’avons expliqué, sa capacité de manœuvre a été sévèrement réduite. Par conséquent, toute campagne militaire américaine majeure est exclue pour le moment. À la place, ils seront plus enclins à recourir à la guerre économique, à des opérations particulières limitées et à des campagnes par procuration. Loin de faire du monde un endroit plus sûr, cela va accroître l’instabilité et les tensions dans les relations diplomatiques mondiales. Comme un ivrogne au lendemain d’une beuverie, la classe dirigeante américaine est maintenant obligée de tenir compte des processus qu’elle a déclenchés.
Crise du régime américain
Les conséquences de ces événements ne se limitent pas aux relations mondiales, mais aussi aux relations entre les classes à l’intérieur du territoire des États-Unis. Près de 800 000 soldats américains ont participé à la guerre en Afghanistan. La majorité d’entre eux sont rentrés chez eux avec de profondes cicatrices physiques et mentales – si tant est qu’ils soient rentrés chez eux. Dans une interview accordée à Vice, un ancien marine qui a participé à certaines des batailles les plus difficiles en Afghanistan a donné un aperçu intéressant de l’état d’esprit de beaucoup de gens dans cette couche de la population. Lorsque l’intervieweur lui a demandé s’il pensait que la guerre a été en vain, il a répondu :
« Oui, je le pense. Vous savez, en tant que personne qui a saigné dans cette guerre comme nous tous… les gars qui ne sont pas rentrés à la maison… pourquoi? Pourquoi ne sont-ils pas rentrés? Ce sont des jeunes de 19, 20 ans qui n’ont jamais pu rentrer à la maison. Ils n’ont jamais pu commencer leur vie et on les a abandonnés. Nous avons abandonné ces gars-là. Et c’est blessant. »
Le sentiment de trahison transparaît dans chaque mot. Il n’est pas difficile d’imaginer la colère qui doit envahir beaucoup de ces Américains ordinaires qui ont soutenu les guerres en Afghanistan et en Irak lorsqu’ils se rendent compte qu’ils ont été floués. Après 20 ans de guerre, aucune des promesses qu’on leur a faites ne s’est concrétisée. Au lieu d’un monde plus sûr et plus démocratique, le carnage de l’impérialisme américain a laissé derrière lui une traînée de barbarie et de misère.
Le fondamentalisme islamique n’a pas été vaincu – au contraire, avec l’aide des États-Unis, il a trouvé de nouveaux refuges en Irak, en Syrie et en Libye. L’Irak et l’Afghanistan ne sont pas plus près de la démocratie qu’ils ne l’étaient auparavant. Tous les discours sur un « nouvel ordre mondial » fondé sur des valeurs américaines dites démocratiques, sur « l’édification de nations », sur la « guerre contre le terrorisme » et sur l’exceptionnalisme américain se sont révélés n’être que des paroles en l’air. Ce sont de sérieux problèmes pour l’establishment, qui est de plus en plus perçu par les Américains comme une meute incompétente de menteurs, d’opportunistes et de charlatans. Dans le podcast Net Assessment, Christopher Preble, du groupe de réflexion conservateur Cato Institute, a tiré la sonnette d’alarme :
« Nous avons ce schéma de déclarations trompeuses, fausses ou, dans quelques cas, carrément mensongères [dans les] déclarations relatives à l’efficacité des forces de sécurité afghanes. (…) Le déficit de crédibilité était le problème de l’époque du Viêt Nam, lorsque des responsables du gouvernement américain affirmaient des choses sur l’évolution de cette guerre, par exemple sur la durabilité du gouvernement du Sud-Viêt Nam ou sur l’efficacité de l’armée de la République du Viêt Nam, qui se sont révélées fausses. C’était un manque de crédibilité. Et ainsi on ne faisait pas confiance aux responsables américains pour dire la vérité. (…) Ce que je veux dire, c’est que ce problème de crédibilité ne se limite pas aux guerres étrangères. Nous avons en ce moment un effondrement de la confiance dans les institutions de ce pays. Et des millions d’Américains sont incapables de différencier la réalité de la fiction (…) Il y a un problème de crédibilité et il s’aggrave. Le peuple américain ne croit pas les représentants du gouvernement. »
Il s’agit d’un avertissement qui porte à réfléchir, venant de l’un des stratèges les plus intelligents du capitalisme américain. Si la tragédie du 11 septembre 2001 et les guerres qui ont suivi en Irak et en Afghanistan ont initialement renforcé le sentiment de patriotisme et d’unité nationale, les défaites ont renforcé le sentiment de haine et de méfiance envers la classe dirigeante. La crise de l’impérialisme américain à l’étranger est également une crise du capitalisme américain à l’intérieur du pays. Associée à des facteurs tels que la gestion criminelle de la pandémie de COVID-19, la baisse du niveau de vie, l’incertitude économique généralisée et le fléau du racisme, elle a alimenté le processus moléculaire de la révolution qui se déroule sous la surface. L’impérialisme américain commence à récolter ce qu’il a semé. Les conditions sont réunies pour que la classe capitaliste américaine soit punie pour ses crimes – non pas par les fous furieux islamistes qu’elle a elle-même nourris, mais par les masses révolutionnaires.