Le 22 octobre dernier, le ministre fédéral des Finances Bill Morneau affirmait que les jeunes Canadien-nes devraient s’habituer à des emplois mobiles, aux contrats temporaires et à effectuer plusieurs changements de carrière dans leur vie professionnelle. Plus d’un an après son élection, le gouvernement libéral du Canada ne peut plus mentir à sa jeunesse, la promesse des voies ensoleillées n’est pas possible; le capitalisme d’aujourd’hui n’a que la précarité à lui offrir.
Lente érosion des conditions de vie
Bien que le Canada ait évité l’abysse de la crise financière de 2008-2009, il devient clair que de nombreux gains du passé s’effritent et que les travailleur-euses du Canada et du Québec se retrouvent de plus en plus au bord du précipice. Un récent sondage de la Canadian Payroll Association révélait que près de la moitié des répondant-es vivaient d’un chèque de paye à l’autre et que 40 % d’entre eux dépensaient l’équivalent ou plus de leur salaire net à chaque semaine. Une personne sur quatre affirme qu’elle ne pourrait pas trouver 2000 $ si une situation urgente surgissait d’ici un mois. De plus, 11 % des Canadien-nes pensent qu’ils ne se départiront jamais de leur dette.
On note également qu’entre tous les pays du G7, c’est le Canada dont l’endettement des ménages a connu la plus forte hausse depuis l’an 2000. Cet endettement a augmenté de 7 % par année depuis 25 ans. Le pourcentage de ménages ayant un endettement plus important que 350 % de leur revenu brut a doublé depuis 2008, pour atteindre environ 8 % des ménages du pays, « une inquiétante poche émergente » selon Stephen Poloz, directeur de la Banque du Canada. Cette « poche émergente » serait surreprésentée par les Canadien-nes de moins de 45 ans avec un faible revenu.
Un des aspects les plus importants de l’augmentation de la dette des ménages est la hausse du prix des propriétés et donc de l’hypothèque des Canadien-nes. Le prix des maisons au Canada a augmenté de 9,2 % dans la dernière année : 10,2 % pour Toronto, 24,6 % pour Vancouver (avec une moyenne des prix des propriétés évaluée à 1 098 599 $), et 3,5 % pour le Grand Montréal (4,9 % pour les propriétés du centre de la ville). L’augmentation rapide, voir spéculative dans certains cas, du prix des propriétés rend inaccessible l’achat d’une première propriété sans s’endetter fortement. De nombreuses personnes préfèreront ne pas se payer le « luxe » d’acheter une maison plutôt que d’être esclaves d’une dette immobilière qu’elles ne pourront peut-être jamais rembourser. Cela touche d’abord et avant tout les jeunes.
La crise et la jeunesse
Les jeunes sont particulièrement affectés par le déclin des conditions de travail et de vie en général. Selon le recensement de 2011, 31,9 % des jeunes de la tranche des 25-34 ans détenaient un diplôme universitaire, tandis que seulement 20,2 % des 55-64 ans s’étaient rendus jusque-là. Pour ce qui est des diplômes d’études collégiales, c’était 22,1 % contre 18,3 %. Les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus éduqués que leurs parents. Et pourtant, la jeune génération fait face à une pénurie de bons emplois et à des conditions de travail dont auraient rougi leurs aînés ayant vécu le boom d’après-guerre.
Selon la Canadian Intern Association, on compterait au Canada près de 300 000 stagiaires non-rémunéré-es. Les jeunes d’aujourd’hui sont de plus en plus forcés à gagner de l’expérience dans leur domaine sans être payés, sans quoi il serait encore plus ardu pour eux de trouver un bon emploi. Les entreprises profitent ainsi de main d’œuvre fraîche à rabais leur permettant de garder de hauts niveaux de productivité tout en augmentant leurs profits. Il n’y a pas d’autre mot pour qualifier ce système que celui d’exploitation.
Pour pouvoir survivre, il est rendu de plus en plus fréquent d’occuper plusieurs emplois en même temps, souvent temporaires, à des salaires peu élevés. Entre 1997 et 2007, le nombre d’emplois temporaires chez les jeunes a augmenté de 54,18 %, tandis que le nombre d’emplois permanents de seulement 27,17 %. Après une diminution des emplois temporaires et permanents lors de la récession de 2008-2009, le nombre d’emplois temporaires est remonté pour se situer en 2015 à 158,77 % de son niveau de 1997, donc au-dessus de son niveau de 2007. Le nombre d’emplois permanents, quant à lui, se situait à seulement 116,84 % de son niveau de 1997, soit inférieur à celui de 2007.
Non seulement les emplois temporaires ne sont pas nécessairement des emplois bien rémunérés, mais surtout ils ne comportent aucune garantie de renouvellement contractuel, laissant ces travailleur-euses devant un avenir incertain et rendant la planification familiale ardue. Le lien entre l’accès difficile à la propriété et les emplois temporaires est évident : tandis que les contrats peuvent ne pas être renouvelés et qu’il puisse y avoir des moments où la personne sous contrat n’ait plus aucun revenu, il devient imprudent de prendre une hypothèque et difficile de s’assurer des paiements mensuels.
À cela s’ajoutent les dettes étudiantes monstrueuses, qui font que des centaines de milliers d’étudiant-es entrent sur le marché du travail en traînant un lourd boulet. En effet, le niveau d’endettement étudiant au Canada a augmenté de 44,1 % entre 1999 et 2012, et en 2015 la dette étudiante moyenne était de 26 819 $. Non seulement cela a des effets sur la vie matérielle, mais cela est certainement un facteur dans la recrudescence des maladies mentales chez les jeunes, comme l’anxiété et la dépression.
Ainsi, ce n’est pas par hasard si les jeunes d’aujourd’hui restent plus longtemps chez leurs parents que ceux ayant vécu dans les décennies 1980 et 1990. Selon le dernier recensement disponible, 42,3 % des jeunes Canadien-nes de 20-29 ans vivaient chez leurs parents, alors qu’en 1991 c’était 32,1 % et en 1981 seulement 26,9 %. L’explication de cette tendance est simple : les jeunes ont besoin d’un soutien financier et émotionnel plus grand qu’auparavant, faisant face à des conditions de vie et de travail pires que celles de leurs parents. Il n’y a pas pire condamnation d’un système social et économique que de voir une génération vivre moins bien que la précédente. Mais que peut-on faire face à cela ?
Aucune solution sous le capitalisme
Dans nos perspectives politiques pour l’année 2016, nous disions que le gouvernement Trudeau avait été élu grâce à ses promesses en apparence progressistes (réinstauration du courrier à domicile, la fin des attaques militaires sur l’État islamique, la fin de l’achat d’avions militaires), mais qu’il était déjà en train de les renier les unes après les autres. Malgré le reniement de ces promesses électorales, le discours progressiste du gouvernement était quant à lui maintenu, laissant paraître l’illusion d’un gouvernement qui contraste avec le précédent. Le discours de Morneau vient changer la donne.
Morneau affirme qu’il faut trouver comment former et reformer les Canadien-nes pour qu’ils soient en mesure de s’adapter à un marché de l’emploi en changement constant. Il ajoute que tous devront s’y conformer « parce que ça va se produire [et que nous] devons l’accepter ». Le travail que le ministre vient faire est de préparer l’opinion publique au fait que les libéraux seront dans l’incapacité de tenir leurs promesses et de satisfaire les espérances légitimes de la classe ouvrière. Cela s’inscrit dans la même logique des commentaires de Justin Trudeau selon lesquels le gouvernement libéral aurait à prendre des « décisions difficiles » lors de sa deuxième année de mandat.
Ces remarques des deux ténors du gouvernement surviennent dans une période où les symptômes inquiétants s’accumulent pour l’économie canadienne. Nous avons déjà parlé des dettes privées immenses qui s’accumulent et du prix des maisons qui atteint des sommets inégalés. Cette augmentation drastique du prix des maisons a pour effet de créer une bulle immobilière qui n’attend que d’éclater.
De plus, avec le recul de l’économie albertaine qui était jusqu’en 2015 le moteur économique du Canada, l’économie canadienne repose maintenant en grande partie sur la croissance du marché immobilier. En fait, celui-ci compte présentement pour 50 % de la croissance au Canada : autant dire que l’économie croît sur du sable.
Jusqu’à présent, l’austérité a été remise à plus tard au profit de budgets déficitaires et d’un keynésianisme mou, mais la question n’est pas de savoir si les mesures d’austérité vont revenir, mais quand. En octobre dernier, la Banque du Canada a encore une fois réduit ses prévisions pour la croissance du PIB canadien à 1.1 % pour l’année, comparativement à une prédiction de 1.3 % en juillet dernier seulement. L’économie canadienne croît faiblement et sur la base d’un marché immobilier surévalué et sur une bulle immobilière immense. Que la prochaine crise économique provienne de l’intérieur ou d’une secousse extérieure au pays, le Canada sera parmi les plus touchés, et les capitalistes demanderont du gouvernement Trudeau qu’il envoie la facture aux travailleur-euses et aux jeunes. Nous n’avons pas de doute que le Parti libéral l’acceptera sans hésiter.
Un phénomène mondial
Le Canada n’est pas le seul pays où la jeunesse est affectée par la crise. Tout autour du globe, les jeunes font face à un marché de l’emploi hostile et à des perspectives d’avenir sombres. Environ le tiers des 1,8 milliard de jeunes de 15-29 ans sur la planète sont sans emploi, ont abandonné l’école ou ne suivent pas des programmes de formation. Les différents gouvernements imposent des lois qui détériorent les conditions de vie et imposent la précarité à des pans de la population de plus en plus large, comme la loi El Khomri en France et les contrats zéro heure au Royaume-Uni, des lois qui affectent avant tout la jeune main-d’œuvre. Il suffit de penser à tous ces pays d’Europe où le taux de chômage des jeunes atteint des sommets vertigineux. Celui-ci s’élève à plus de 50 % en Grèce, 45 % en Espagne, 39 % en Croatie, 36 % en Italie et 24 % en France. Ces chiffres montrent une chose : les jeunes sont délaissés par le capitalisme.
On peut donc comprendre que la jeunesse soit en colère et que cela se soit exprimé à travers des mouvements de protestation de masse dans les dernières années, comme avec l’apparition spectaculaire de Podemos en Espagne en 2014, la montée de Syriza en 2015 et la mobilisation autour du référendum de juillet 2015 en Grèce, ou encore Nuit debout en France au printemps dernier. Partout les masses se mettent en mouvement, et partout les jeunes occupent l’avant-scène de ces mouvements. Ceux-ci sont désespérément à la recherche d’une alternative radicale au statu quo capitaliste.
La radicalisation de la jeunesse face à la crise frappe de notre côté de l’Atlantique également. On l’a vu dans la dernière année avec la forte popularité du sénateur socialiste autoproclamé Bernie Sanders auprès des jeunes lors de la primaire du Parti démocrate. Un sondage de Gallup datant du début de l’an dernier démontre que 69 % des jeunes Étasunien-nes de moins de 30 ans voteraient en faveur d’un candidat socialiste aux élections, tandis qu’un autre sondage montre que chez les jeunes de 18 à 26 ans, 58 % préféraient le socialisme au capitalisme.
L’American Dream véhiculé par la classe dirigeante n’a plus aucune concordance avec la réalité matérielle des jeunes, car le système capitaliste n’a plus rien à leur offrir, excepté la misère. Non seulement ils rejettent le statu quo capitaliste et les politiciens qui le représente, mais ils sont prêts à lutter activement pour un monde meilleur. Les jeunes sont aujourd’hui l’avant-garde de la lutte contre Donald Trump, remplissant les rues de toutes les grandes villes étasuniennes en riposte à l’élection du raciste, sexiste, misogyne qui entrera en poste à la Maison-Blanche en janvier.
Partout la jeunesse se soulève contre le statu quo d’exploitation et d’oppression. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle se mette à bouger au Canada aussi.
Le calme avant la tempête
Au Québec, la défaite du mouvement ouvrier en 2015 a inauguré une période d’accalmie de la lutte des classes. Au Canada, mis à part quelques mouvements d’importance relative dans quelques secteurs, les luttes de masse ont été plus ou moins absentes dans la dernière période. Pourtant, sous la surface, l’insécurité et l’accumulation de frustrations grandissent et touchent tous les travailleur-euses, et les jeunes en particulier.
Quelques jours après la déclaration de Morneau, c’est Justin Trudeau qui a été chahuté lors de son allocution au Congrès des jeunes travailleur-euses du Congrès du travail du Canada, lui qui avait été invité par la bureaucratie syndicale pour s’adresser aux jeunes. Certains ont même tourné le dos au premier ministre durant son allocution comme moyen de protestation. Comme partout ailleurs, les jeunes sont souvent les premiers à bouger pour transformer la société.
Lentement mais sûrement, la lune de miel des libéraux fédéraux commence à prendre fin en exposant le vrai visage de ce parti. Les douces remarques de Trudeau suite à l’élection de Donald Trump, où le premier ministre affirmait qu’ils ont des « valeurs en commun », ne peuvent que dégoûter les jeunes qui se radicalisent, et contribueront à dissiper l’écran de fumée progressiste des libéraux fédéraux.
La jeunesse canadienne, elle, n’a pas de « valeurs en commun » avec Donald Trump, pas plus qu’avec Justin Trudeau, et elle commence à l’exprimer. La réaction des jeunes du CTC est un premier symptôme du réveil de la jeunesse. Sans pouvoir dire exactement ce qu’il va se passer, il est clair que les jeunes du Canada se mettront en mouvement afin de transformer la société dans la prochaine période.
Le capitalisme démontre clairement qu’il n’est plus capable d’offrir quoi que ce soit à la jeunesse, à la classe ouvrière en général et aux autres couches opprimées de la société. Nous devrons nous battre d’arrache-pied pour soutirer des gains à la classe dominante. Mais les gains possibles à travers la lutte ne peuvent être pérennisés qu’en s’attaquant au capitalisme lui-même. Il faut donc se préparer à lutter consciemment pour un nouveau système, à se battre pour une société socialiste. Pour y arriver, il est nécessaire de s’organiser ici et maintenant.