Il est presque banal de dire que nous vivons une époque sans précédent. Beaucoup diraient que le monde est devenu fou. Les guerres, les épidémies, la pauvreté, les violations des droits et la destruction de l’environnement s’abattent sur le monde en même temps, avec des conséquences désastreuses. En réalité, il ne s’agit pas d’événements isolés les uns des autres, mais de différentes expressions d’une même crise : la crise du capitalisme.
Capitalisme en crise
Notre système actuel de production pour le profit s’est avéré totalement incapable de résoudre les problèmes urgents auxquels nous sommes confrontés en tant que société.
La réponse à la COVID-19 en est un exemple frappant. Qu’il s’agisse de la mortalité massive dans les soins de longue durée privés, de la concurrence pour les vaccins, de l’obligation pour les travailleurs de travailler dans des conditions dangereuses, de la surpopulation et de l’épuisement dans des hôpitaux sous-financés, des réouvertures précipitées ou du refus des congés de maladie payés, chaque nouveau chapitre de la pandémie montre que lorsque la classe dirigeante prend des décisions, elle privilégie les profits et que les travailleurs finissent par payer de leur vie. Aujourd’hui, apparemment las de devoir gérer la crise, les gouvernements capitalistes du monde entier ont décidé que si nous agissons comme si la pandémie était terminée, alors elle le sera. Pendant ce temps, les systèmes de santé sont en état de faillite, et de nouvelles épidémies se profilent à l’horizon avec la recrudescence de la variole du singe et le retour de la polio.
Toutefois, si la pandémie n’est plus la préoccupation majeure de nombreux travailleurs, c’est tout à fait compréhensible, étant donné que l’inflation galopante est la pire depuis 40 ans. L’inflation a atteint un sommet de 8,1 % en juin, bien que ce chiffre ne représente qu’une moyenne à travers l’économie. L’inflation des denrées alimentaires est plus forte, avec un taux de 14,5 % pour le pain, de 20 % pour le beurre et de près de 21 % pour les pâtes. Et en juillet, le prix de l’essence a augmenté de 35,6 %. Par conséquent, plus d’un quart des Canadiens ont déclaré avoir dû emprunter à des amis ou à des parents, ou contracter des dettes supplémentaires, pour couvrir leurs dépenses ; et un cinquième des Canadiens s’attendent à devoir se tourner vers les banques alimentaires ou d’autres organismes communautaires.
La Banque du Canada a réagi en augmentant rapidement son taux d’intérêt directeur, qui est passé de 0,25%, son plus bas niveau historique au début de l’année, à 2,5%. Certains commentateurs financiers ont poussé un soupir de soulagement en constatant qu’en juillet, l’inflation n’était « que » de 7,6 %. Cependant, les prix continuent d’augmenter et les Canadiens doivent maintenant payer davantage pour leurs prêts et hypothèques.
L’augmentation du coût de la vie pousse les travailleurs à se battre pour des salaires plus élevés. Les capitalistes savent que les augmentations salariales ne peuvent pas expliquer la hausse actuelle de l’inflation – les augmentations salariales sont inférieures au taux d’inflation depuis des années – mais cela ne les empêche pas d’essayer d’agiter le spectre de la « boucle prix-salaires ». Il s’agit d’une nouvelle tentative de faire porter le fardeau des échecs du capitalisme sur le dos des travailleurs afin que les capitalistes puissent continuer à engranger des profits massifs.
Et les capitalistes ont engrangé d’énormes profits. Les profits des entreprises pour cette année s’élèvent à 402 milliards de dollars, soit une augmentation de 109% par rapport à il y a deux ans. Cela est dû en partie à un gonflement flagrant des prix, qui consiste à profiter des pénuries actuelles pour faire monter les prix encore plus haut, ou à maintenir artificiellement l’offre basse malgré la demande accrue. C’est le comble de l’hypocrisie que les capitalistes sermonnent les travailleurs sur la modération salariale.
Cependant, l’inflation n’est pas simplement due à la cupidité des patrons, elle est systémique. Pendant les confinements de la pandémie, les gouvernements ont injecté des milliards de dollars dans l’économie sous forme de subventions aux entreprises, ce qui équivaut à imprimer de l’argent. Ils ont justifié cette mesure en disant qu’il s’agissait d’un moyen de protéger les emplois, mais en réalité, les entreprises ont licencié des travailleurs de toute façon et ont empoché l’argent. Et comme l’argent ne pousse pas dans les arbres, les capitalistes essaient maintenant de refiler la facture aux travailleurs. S’ils n’y arrivent pas directement, appauvrir les travailleurs par l’inflation fonctionne tout aussi bien.
La guerre en Ukraine exacerbe également la crise économique. La guerre est un autre exemple de comment la classe capitaliste sème le chaos et la destruction. Il s’agit essentiellement d’un conflit entre les États-Unis et l’OTAN d’une part (qui soutiennent le gouvernement de Kiev par procuration) et la Russie d’autre part, pour savoir qui aura le contrôle de la sphère d’influence de l’Europe de l’Est, les impérialistes ne se souciant pas du nombre de vies perdues dans le processus. En fait, toute la stratégie des États-Unis consiste à faire durer la guerre aussi longtemps que possible, dans le seul but d’affaiblir leur rival – transformant au passage l’Ukraine en un bourbier déchiré par la guerre.
Plus de 5000 personnes sont déjà mortes et plus de 7000 ont été blessées, sans qu’aucune fin ne soit en vue. La guerre a dévasté la production agricole, de sorte que les pays qui dépendent de la région pour leurs importations, comme le Liban et l’Égypte, sont désormais confrontés à la perspective de pénuries alimentaires. De plus, les sanctions qui ont accompagné la guerre n’ont rien fait pour dissuader la Russie, mais elles ont été efficaces pour faire grimper les prix du gaz, garantissant ainsi que la classe ouvrière du monde entier partage les souffrances de la guerre. Quels que soient les beaux discours sur la « liberté » et « l’indépendance » que la classe dirigeante utilise comme poudre aux yeux, il s’agit d’une guerre pour les intérêts capitalistes, et une fois de plus, les travailleurs la paient de leur vie.
Pendant ce temps, les effets des changements climatiques, annoncés depuis longtemps, commencent à prendre une forme dramatique et mortelle. Pour ne prendre que la Colombie-Britannique, 619 personnes sont mortes lors de la vague de chaleur de l’année dernière, qui a été suivie d’inondations dévastatrices. Cet été, une vague de chaleur a frappé l’Europe, tuant 1 000 personnes rien qu’au Royaume-Uni. Ce ne sont là que deux exemples de ce que l’on peut désormais s’attendre à voir se produire chaque année.
De temps en temps, il y aura une réunion internationale soulignant l’urgence du problème. Et à chaque fois, les gouvernements bourgeois repartiront avec une série d’objectifs qu’ils ne parviendront invariablement pas à atteindre. Les changements climatiques sont une menace internationale qui nécessite une réponse internationale, planifiée et coordonnée. Mais les capitalistes refusent de prendre toute mesure qui pourrait empiéter sur le libre marché ou compromettre les profits. La pérennité de la société humaine passe après les recettes du prochain trimestre financier.
Au milieu de tout cela, nous avons assisté à une nouvelle vague d’attaques contre les droits de la personne. L’exemple récent le plus flagrant est le renversement de l’arrêt Roe v. Wade aux États-Unis, la décision de la Cour suprême selon laquelle le droit à l’avortement est protégé par la constitution. Mais le Canada n’est pas le havre de paix que beaucoup aimeraient croire. Les crimes haineux ont augmenté de 72% au pays au cours des deux dernières années, les musulmans et les personnes LGBTQ étant plus souvent visés. À mesure que la crise s’aggrave, il est certain que nous assisterons à de nouvelles attaques, les capitalistes tentant de monter les travailleurs les uns contre les autres par la discrimination et l’oppression.
Avec tout ce qui se passe, il n’est pas étonnant que la radicalisation et la polarisation augmentent. Le soi-disant « Convoi de la liberté » est un exemple de polarisation vers la droite, une partie de la population ayant trouvé des réponses à ses frustrations dans les théories du complot. Cependant, ce n’est que la moitié du tableau. Une plus grande partie de la classe ouvrière et de la jeunesse se déplace vers la gauche, mais la différence est qu’il n’y a rien à gauche pour les galvaniser. À droite, Pierre Poilievre était ravi de se faire le porte-parole politique du convoi dans l’espoir de profiter de son appui pour remporter un succès électoral. Mais qui y a-t-il à gauche pour expliquer la crise du système ou appeler au changement radical dont les travailleurs ont besoin ?
Que faire?
Au lieu d’appels audacieux en faveur d’un changement radical, ce que nous voyons de la gauche, ce sont des tentatives de travailler dans les limites du capitalisme. En ce qui concerne les dirigeants syndicaux, nous constatons un manque général de volonté de se battre. Les votes de grève à hauts pourcentages d’appui sont souvent suivis non pas d’une mobilisation, mais d’ententes de dernière minute avec les patrons. Lorsque des grèves importantes et combatives surviennent, les patrons savent qu’ils n’ont qu’à attendre que leurs amis du gouvernement adoptent une loi de retour au travail, car aucune direction syndicale ne s’est opposée à ces attaques législatives contre les droits des travailleurs. Il y a eu des moments où la collaboration de classe a atteint des niveaux renversants, comme lorsque l’ancien président du SEFPO, Smokey Thomas, et l’ancien président d’Unifor, Jerry Dias, ont partagé une conférence de presse avec le premier ministre conservateur de l’Ontario, Doug Ford. Confortablement installés dans leur sécurité d’emploi et leurs salaires, ces dirigeants sont entièrement coupés des travailleurs qu’ils sont censés représenter. Pour que la lutte des classes progresse, les mauvais dirigeants devront être remplacés par des combattants de la classe ouvrière.
Quant au reste de la gauche, elle a été entièrement vaincue par le mouvementisme. Autrement dit, la conviction que le mouvement, les actions radicales, sont tout, et qu’il n’est pas nécessaire de construire une organisation révolutionnaire. L’accent est mis sur les campagnes et les manifestations autour d’enjeux uniques ou de réformes spécifiques, menées par de petits cercles d’activistes et déconnectées de la lutte plus large contre le capitalisme. Il n’y a aucune perspective de transformation révolutionnaire de la société. En pratique, cela signifie que l’objectif de ces mouvements, malgré leurs prétentions radicales, ne peut être que de demander aux gouvernements des patrons de leur accorder des réformes, quelles qu’elles soient. Bien sûr, il n’y a rien de mal en soi à se battre pour des réformes; la question est de savoir comment on se bat et dans quel but. Le résultat final du mouvementisme, dans le meilleur des cas, est souvent de soutenir les gouvernements capitalistes qui proposent des réformes de manière opportuniste et de leur donner un vernis « progressiste ». Dans le pire des cas, il conduit à la démoralisation, car rien n’est construit et il n’y a pas de changement substantiel. Dans tous les cas, le mouvementisme repose sur un manque de foi en la classe ouvrière.
Les révolutionnaires comprennent que ce ne sont pas les militants qui créent les mouvements. Le capitalisme crée des mouvements par lui-même, comme nous pouvons le constater en regardant simplement autour du monde. La classe ouvrière se soulève contre le système qui l’exploite et l’opprime. Le Sri Lanka en est un exemple frappant : face à la dévastation économique et à la violence policière, les masses ont renversé le gouvernement en juillet. Cet été a également vu un soulèvement de masse en Libye et une grève nationale en Équateur. La vague de syndicalisation qui balaie les États-Unis montre que des milliers de travailleurs se tournent pour la première fois vers l’action collective pour défendre leurs intérêts en tant que classe. Le Royaume-Uni a connu une vague de grèves des cheminots, des postiers, et une récente vague de grèves sauvages. Il peut être facile de penser que de telles explosions n’arriveront jamais au Canada. Mais les processus qui se déroulent dans ces pays ont lieu ici aussi, et ils donnent un aperçu de la lutte des classes à venir.
La question n’est pas de savoir s’il y aura une lutte des classes. La question est : que faudra-t-il faire pour gagner? Le Sri Lanka, une fois encore, fournit un exemple utile. Malgré la chute de trois cabinets gouvernementaux, du gouverneur de la banque centrale, du ministre des Finances, du premier ministre et enfin du président lui-même, les masses sri-lankaises n’avaient aucun plan pour les remplacer par quoi que ce soit. Par conséquent, la classe dirigeante a eu l’occasion de se ressaisir et de stabiliser son emprise sur le pouvoir. Ce qui était nécessaire pour assurer la victoire au Sri Lanka était une direction révolutionnaire avec un programme pour transformer la société.
Un tel leadership ne se construit pas du jour au lendemain. Il faut des années de travail et de lutte pour gagner le droit de diriger. En ce sens, c’est une bonne chose que les développements politiques au Canada se fassent lentement, car cela signifie que nous avons le temps de construire une organisation révolutionnaire avec les bonnes perspectives et tactiques.
Les mouvements vont aller et venir, certains vont gagner et d’autres perdre, jusqu’à ce que le capitalisme soit renversé. Avec une perspective à court terme, il est facile de regarder les échecs de certains de ces mouvements et de se démoraliser. Même dans le cas des mouvements qui réussissent, les gens finissent par se demander ce qui va suivre. Ces dernières années, nous avons assisté à des manifestations massives contre le racisme de la police et contre les changements climatiques. L’ampleur de ces mouvements a été une source d’inspiration. Mais ils n’ont pas produit de résultats.
Nous devons rejoindre les meilleurs éléments de ces mouvements, les militants les plus déterminés et les plus sincères, et les sauver de la démoralisation en les ralliant à la cause de la révolution. De cette façon, nous entreprendrons chaque nouveau combat plus forts au lieu de repartir de zéro. Nous devons renforcer notre capacité à offrir une direction ouvrière révolutionnaire à ces mouvements, afin qu’ils ne soient pas induits en erreur et ne fassent pas de compromis avec le capitalisme.
Construire le leadership marxiste dont la classe ouvrière a besoin est exactement ce que nous faisons à La Riposte socialiste. Ce n’est pas une tâche facile, mais rien de ce qui vaut la peine d’être fait ne l’est. Bien qu’ils en aient de plus en plus assez du capitalisme, la majorité des gens n’ont pas encore atteint des conclusions révolutionnaires. Lorsqu’ils y parviendront, si nous disposons d’une organisation forte vers laquelle les travailleurs peuvent se tourner, une organisation enracinée dans le mouvement ouvrier et les mouvements des opprimés, alors nous aurons une réelle chance d’aller plus loin que l’insurrection au Sri Lanka, ou que n’importe quel autre soulèvement de ces dernières années. Nous aurons une réelle chance de gagner. Si vous êtes parvenus à des conclusions révolutionnaires, vous avez le devoir de vous préparer à ce moment.
Au cours des 20 années qui ont suivi sa fondation, La Riposte socialiste/Fightback est passé du plus petit groupe de la gauche anticapitaliste au Canada au plus grand. Cela est dû au fait que nous comprenons l’importance de la théorie marxiste, de l’indépendance de classe et de l’organisation. Cependant, nous avons encore beaucoup de travail à faire avant de pouvoir jouer un rôle décisif dans les luttes à venir. Si vous croyez en la nécessité d’une révolution, vous devriez nous rejoindre et nous aider à y parvenir. En tant qu’individus, nous sommes impuissants. Mais en tant qu’organisation, nous pouvons changer le monde.