Pour la première fois depuis la Grande Dépression, la productivité du travail chute au Canada. La Banque du Canada parle d’une « urgence » et les analystes bourgeois peinent à fournir une explication. Tous ces analystes blâment des facteurs secondaires et ne voient pas l’éléphant dans la pièce : le système lui-même.
La productivité du travail se résume essentiellement à la production économique par heure de travail. Le développement de la productivité du travail représente le fondement de toute société. Depuis les débuts de l’humanité, l’art, la culture et la politique dépendent, en dernière analyse, de notre capacité à développer les forces productives, et la productivité du travail est une unité de mesure centrale permettant d’estimer ce développement. Le fait qu’elle décline indique que quelque chose ne tourne vraiment pas rond pour le capitalisme canadien.
Comme l’expliquait Marx, le système capitaliste a joué un rôle historiquement progressiste par le passé, écrasant les barrières féodales et développant massivement les forces productives. Pendant longtemps, le Canada était l’une des économies les plus productives au monde. Le secteur manufacturier et celui de l’extraction des ressources représentaient le cœur de l’économie canadienne, et le pays possédait les usines manufacturières parmi les plus productives au monde. C’est ainsi que le Canada est devenu une puissance économique dont la productivité du travail augmentait chaque année. Mais cette tendance a été complètement renversée.
Carolyn Rogers, première sous-gouverneure de la Banque du Canada, explique : « En 1984, la valeur générée par heure dans l’économie canadienne représentait 88% de celle générée dans l’économie américaine. » Et elle ajoute : « Mais en 2022, ce chiffre avait baissé à seulement 71%. » La productivité du travail a même chuté en chiffres absolus, baissant de 0,3% dans les cinq dernières années.
Au Sommet sur la croissance du Canada le 11 avril dernier, Trevor Tombe, un professeur d’économie à l’Université de Calgary, affirmait que « l’ampleur du problème, la rapidité de son aggravation et la nécessité de s’y attaquer sont peut-être plus importantes que jamais auparavant dans notre vie ».
Mais il ne s’agit pas d’une discussion abstraite. Une baisse de la productivité du travail entraîne inévitablement une baisse du niveau de vie. C’est la classe ouvrière et les pauvres qui sont les plus durement touchés. Et cela a un impact sur les consciences, car cela pousse des millions de personnes vers la conclusion qu’il faut en finir avec le capitalisme.
Crise de surproduction
Le facteur fondamental expliquant les crises capitalistes est la surproduction. Les capitalistes sont en compétition les uns avec les autres pour les parts de marché, ce qui les pousse à investir pour produire toujours plus rapidement. En même temps, dans le processus de production capitaliste, les travailleurs ne sont pas payés pour la pleine valeur de leur travail. Il est donc impossible pour le marché (composé surtout de travailleurs) de racheter l’ensemble des marchandises produites.
Comme Marx l’explique dans Le Capital, vol. 3 : « […] la cause ultime d’une crise réelle se ramène toujours à l’opposition entre la misère, la limitation du pouvoir de consommer des masses, et la tendance de la production capitaliste à multiplier les forces productives […]. »
Ainsi, le marché étant laissé à lui-même, des crises éclatent inévitablement. Il y a trop de marchandises pour un marché limité. Les capitalistes répondent en cessant d’investir leurs capitaux, ce qui exacerbe encore davantage la crise.
Mais les capitalistes ont toutes sortes de méthodes pour reporter ces problèmes à plus tard. Mais la façon dont la crise de surproduction s’est exprimée au Canada, ainsi que les différentes politiques que la bourgeoisie a mises en place pour y remédier, a mené directement à la crise de productivité actuelle.
Repousser l’inévitable
Après près de trois décennies de prospérité à la suite de la Seconde Guerre mondiale, le système a atteint un point de rupture avec la récession mondiale de 1973. Pour tenter de surmonter les répercussions de cette crise, la bourgeoisie canadienne a eu recours à l’endettement pour étendre le marché au-delà de ses limites naturelles. Puisque les salaires des travailleurs étaient insuffisants, on les a encouragés à s’endetter et à acheter comme jamais auparavant. D’énormes hypothèques, les cartes de crédit et toutes sortes de prêts individuels sont devenus la norme. Les gens utilisaient leur argent de demain pour survivre aujourd’hui. Mais cela ne faisait que repousser l’inévitable.
La dette ne peut pas grandir constamment sans aucune répercussion. Les limites de cette politique ont même été soulignées par l’ancien directeur de la Banque du Canada, Mark Carney, qui affirmait en 2012 que « la croissance ne peut se poursuivre indéfiniment en comptant sur les ménages canadiens pour augmenter leurs emprunts par rapport à leurs revenus ». Depuis lors, le problème n’a fait qu’empirer.
Aujourd’hui, l’endettement a atteint des niveaux astronomiques. L’endettement des ménages était d’environ 16 milliards de dollars en 1961, mais atteint maintenant le chiffre incroyable de 2940 milliards de dollars – soit environ 50% plus que le PIB de tout le pays.
La crise des subprimes de 2008-2009 a été un réveil brutal. Toutes les politiques que la bourgeoisie avait mises en œuvre pour faire face aux effets de la crise ont créé une crise encore plus grande qui s’est exprimée par une crise de la dette.
Les capitalistes ont répondu en retirant leurs investissements dans l’industrie productive. C’est ainsi que le phénomène de la « thésaurisation » a pris de l’ampleur; les capitalistes préfèrent s’asseoir sur leur argent plutôt que de l’investir dans la production. À son pic, cela a atteint 1500 milliards de dollars d’argent mort prenant la poussière dans les comptes de banque des entreprises. L’industrie manufacturière est entrée en déclin. Son pourcentage du PIB est passé de 16% en 2000 à seulement 10% aujourd’hui.
De plus en plus, l’État s’est mis à intervenir, utilisant l’argent du gouvernement pour susciter l’investissement dans la production. Les deux exemples les plus flagrants sont l’oléoduc Transmountain et l’usine de véhicules électriques Stellantis. Dans le cas de Transmountain, le gouvernement a sorti le chéquier pour 21,4 milliards de dollars. Pour Stellantis, la subvention étatique de 28,2 milliards de dollars équivaut à quatre millions de dollars par emploi! Rendu ici, à quoi peuvent même prétendre servir les capitalistes?
Le gouvernement intervient pour sauver les capitalistes chaque fois qu’il y a un problème. Nous l’avons vu clairement en 2008-2009 et en 2020, lorsqu’il est entré dans la mêlée pour sauver le système. En conséquence, la dette fédérale a plus que doublé, passant de 600 milliards de dollars à plus de 1200 milliards de dollars dans la dernière décennie. En additionnant tous les paliers de gouvernement, nous en arrivons à un énorme 2800 milliards de dollars! À tous les niveaux, l’économie canadienne croule sous le poids immense de la dette.
Mais ces mesures n’ont fait que créer davantage de problèmes. Bien que l’on nous répète constamment que les capitalistes méritent leurs profits car ils « prennent tous les risques », ce n’est clairement pas vrai puisque chaque fois que tout s’effondre, l’État vient à la rescousse. Cela a contribué à la crise de productivité puisque des entreprises qui feraient faillite en temps normal sont maintenues artificiellement en vie. Le Canada a maintenant un nombre très grand d’entreprises « zombies » – c’est-à-dire des entreprises qui disparaîtraient si ce n’était du support étatique.
Selon Statistique Canada, laisser ces compagnies faire faillite augmenterait la productivité de 5%. Mais ce n’est pas si simple. Les petites entreprises qui emploient moins de 100 personnes comptent pour 12 millions de travailleurs. Neuf cent mille de ces entreprises ont accepté des prêts sans intérêt du gouvernement sous la forme d’aides reliées à la COVID. Maintenant que le gouvernement tente retirer ces aides, un cinquième de ces entreprises n’ont pas pu rembourser leurs prêts. Nous voyons déjà une montée des faillites, ce qui pourrait être l’étincelle d’un effondrement économique, qui en retour affecterait négativement la productivité. Tout ne tient qu’à un fil.
Le parasitisme de la bourgeoisie
Le portrait devant nous est celui d’un système décadent, où la bourgeoisie, nourrie par l’État, refuse d’investir dans la production.
Mais de plus en plus, elle a trouvé le moyen d’engranger un profit sans se salir les mains dans le processus de production lui-même. Bien que la bourgeoisie soit techniquement toujours parasitaire car la valeur créée par les travailleurs est appropriée par elle, nous voyons maintenant la tendance à ce qu’elle ne participe même pas à la production elle-même!
Les bulles spéculatives de toutes sortes sont devenues monnaie courante, des centaines de milliards de dollars circulant sur le marché. Au Canada, cela s’est traduit par l’une des plus grandes bulles immobilières de tous les temps. C’est ainsi que le secteur de l’immobilier, la location et la location à bail – un secteur totalement improductif – est devenu la plus grande industrie du pays.
Alors que les capitalistes spéculent plutôt que d’investir dans la production, l’investissement moyen des entreprises par travailleur a baissé de 18 363 à 14 687 dollars entre 2014 et 2021. Si l’on compare avec les États-Unis, les entreprises au Canada sont passées d’investissements de 79 cents par travailleur pour chaque dollar investi aux États-Unis en 2014 à seulement 55 cents en 2021. Selon l’OCDE, en termes de formation brute de capital fixe, le Canada est en 44e place sur 47 entre 2015 et 2023.
Il ne faut donc pas se surprendre d’une baisse de la productivité du travail. Inévitablement, une telle baisse entraînera une chute du niveau de vie. Il s’agit d’un exemple frappant de l’échec du système capitaliste.
Socialisme ou barbarie
Mais la bourgeoisie ne peut plus retarder l’inévitable. Toutes les méthodes qu’elle a utilisées dans le passé pour surmonter les contradictions de son système sont désormais épuisées. Quoi qu’elle fasse, la crise la guette.
Face à une économie plombée par la dette et à un système vivant aux crochets de l’État, de nombreux hommes politiques et économistes tirent la conclusion qu’une remise en question brutale s’impose.
C’est probablement Pierre Poilievre qui l’a le mieux résumé en déclarant en avril de cette année : « Je mettrai fin aux aides aux entreprises dans tous les secteurs. Je ne crois pas aux aides aux entreprises. Nous sommes le seul parti qui s’oppose aux aides aux entreprises. Nous pensons que les entreprises doivent gagner de l’argent et non en prendre. Nous croyons au marché libre, pas au capitalisme d’État. »
Faisant écho à un point de vue similaire, David Rosenberg, écrivant pour le Financial Post, déclare que le gouvernement actuel a mis « trop l’accent sur l’intervention gouvernementale et moins sur la promotion de l’investissement pro-productif des entreprises et de la compétitivité à l’exportation ».
Dans le même ordre d’idées, Poilievre et des économistes comme Rosenberg sont partis en croisade contre les dépenses publiques. Rosenberg affirme qu’« il n’y a pas eu d’approfondissement du capital ou de croissance de la productivité au Canada depuis des lustres parce que les dépenses massives par le gouvernement ont continué à prendre la place des investissements du secteur privé ».
La solution de Rosenberg est de revenir aux politiques de Thatcher, Mulroney et Reagan. Il qualifie Mulroney de « premier ministre le plus efficace du 20e siècle ».
Sa solution, semblable à celle de Mulroney, est que le gouvernement fédéral privatise les entreprises publiques, réduise les dépenses publiques, procède à des licenciements massifs dans le secteur public et abaisse les taux d’imposition des sociétés. Apparemment, ce n’est qu’après cela que les capitalistes investiront.
Si vous pensez qu’il s’agit d’une idée libertaire marginale, détrompez-vous. Toute l’élite politique, y compris les représentants de la Banque du Canada, pousse dans cette direction.
L’automne dernier, le gouverneur de la Banque du Canada Tiff Macklem déplorait les dépenses gouvernementales, affirmant que « ce serait utile de voir les politiques monétaire et fiscale ramer dans la même direction ». En langage normal, cela signifie que le gouvernement devrait couper dans les services publics – ce qui est précisément le programme de Pierre Poilievre.
Mais cette soi-disant « solution » montre bien ce à quoi nous pouvons nous attendre du capitalisme. Soit la bourgeoisie poursuit sa politique actuelle dans laquelle l’inflation gruge les salaires, les taux d’intérêt font gonfler les hypothèques et la productivité baisse, soit elle coupe dans les services sociaux, procède à des licenciements de masse, privatise et attaque le mouvement ouvrier.
C’est un choix entre la peste et le choléra. Dans les deux cas, c’est la classe ouvrière qui paye.
Éventuellement, la bourgeoisie pourrait bien trouver une façon de stabiliser son système. Mais à quel prix? Pour reprendre les mots de Rosa Luxemburg, le choix qui s’offre à nous est « socialisme ou barbarie ».
Il y a longtemps, Marx disait que la capacité d’un système socio-économique donné à se maintenir est basée sur sa capacité à développer les forces productives de la société. Lorsqu’il n’y parvient pas, cela se répercute sur l’ensemble de la société et, selon Marx, « alors s’ouvre une époque de révolution sociale ». C’est précisément ce à quoi nous assistons aujourd’hui. C’est pourquoi nous organisons les communistes au sein du Parti communiste révolutionnaire : pour préparer la révolution.
Avec la main-d’œuvre la plus éduquée au monde et d’immenses quantités de richesses et de capacités productives, la crise actuelle est entièrement le produit du capitalisme. Sous un gouvernement ouvrier, ces parasites seraient expropriés et nous utiliserions cette richesse productive pour investir massivement afin de produire pour les besoins humains. Ce n’est qu’avec un plan de production socialiste que nous pourrions libérer les forces productives de la classe ouvrière du Canada. Nous pourrions facilement commencer à nous attaquer à tous les énormes problèmes auxquels l’humanité est confrontée aujourd’hui.